Hasegawa Kazuhiko, itinéraire d’un cinéaste libertaire au Japon

Posté le 1 août 2022 par

Réalisateur de seulement deux films, Le Meurtrier de la jeunesse (1976) et L’Homme qui a volé le soleil (1979), Hasegawa Kazuhiko a traversé l’industrie cinématographique de la fin des années 1960 au début des années 1990. Son parcours est essentiel pour comprendre l’évolution du cinéma japonais. Portrait.

Hasegawa Kazuhiko est une pièce maîtresse de l’industrie cinématographique japonaise des années 70 et 80. S’il n’a réalisé que deux films, ô combien loués et considérés comme des classiques au Japon, il a travaillé comme assistant réalisateur, scénariste et producteur. Il a participé aux films Roman Porno de la Nikkatsu et son rôle a été majeur, dans les années 1980, dans la production des films de grands noms comme Somai Shinji, Kurosawa Kiyoshi ou Ishii Sogo. Rien que ça.

Hasegawa Kazuhiko sur le tournage de L’Homme qui a volé le soleil

C’est un acteur et un témoin clef de 25 ans de mutation de l’industrie, du déclin des grands studios de production jusqu’à l’essor des indépendants, entre films de pure exploitation et vision d’auteur. Tout cela dans un Japon explosif en plein miracle économique. Miracle à court terme, bien sûr. Bienvenue dans la passionnante histoire de Hasegawa Kazuhiko.

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D’Imamura Productions à la Nikkatsu

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Hasegawa Kazuhiko rejoint le monde du cinéma en 1968, à l’âge de 22 ans, comme assistant directeur d’Imamura Shohei pour Le Profond désir des dieux, film fleuve de 3h et un des sommets du cinéma mondial. Le tournage, étalé sur plus d’un an, n’est pas de tout repos : tourné dans l’île d’Ishigaki, dans la préfecture d’Okinawa, le décor est détruit à plusieurs reprises par des typhons. Malade, l’acteur vétéran Sessue Hayakawa doit quitter le tournage et ses scènes sont rejouées par un autre acteur. Sans oublier le légendaire comportement dictatorial d’Imamura. Le Profond désir des dieux est un échec commercial retentissant qui fragilise la situation financière de la société de production Nikkatsu, déjà peu glorieuse. Endetté, Imamura ne tournera plus de longs-métrages de fiction avant La Vengeance est à moi en 1979, se consacrant alors à une série de documentaires moins onéreux.

En 1971, Hasegawa Kazuhiko rejoint la Nikkatsu comme scénariste et assistant réalisateur. C’est une date charnière pour la Nikkatsu qui, pour éviter la faillite, se lance dans la production de films érotiques, les fameux Roman Porno. Apartment Wife: Affair in the Afternoon de Nishimura Shogoro sort sur les écrans le 20 novembre 1971. C’est un succès commercial et critique. Jusqu’en 1988, la Nikkatsu produira ou distribuera près de 850 Roman Porno. L’importance de ces films softcore sur l’industrie cinématographique japonaise n’est plus à démontrer : ou comment des produits d’exploitation basés sur le sexe ont permis à des nouveaux réalisateurs d’émerger et d’expérimenter à peu de frais et dans une liberté plus grande qu’il n’y paraît. Le cahier des charges est simple : dans un film d’environ 70 minutes, inclure toutes les 10 minutes une scène de sexe (soft, rappelons-le). Peu importe le scénario ou le genre : drame social, comédie de mœurs, polar ou film d’époque.

Nulle volonté d’idéaliser ce courant cinématographique : sur les 850 films, on compte bien sûr des films médiocres et sans ambition. En revanche, derrière cette promesse de chair dévoilée à un public voyeur, des réalisateurs ont pu s’affirmer comme de véritables auteurs. C’est le lot commun du cinéma : développer sa vision poétique dans un cadre mercantile.

Hasegawa Nikkatsu

Jusqu’en 1975, Hasegawa est assistant réalisateur de grands noms comme Nishimura Shogoro, Tanaka Noboru (qui lui aussi a commencé sa carrière comme assistant d’Imamura en 1965 pour Le Pornographe) ou Fujita Toshiya. Il écrit également plusieurs scénarios dont ceux de Love Bandit Rat Man de Sone Chusei, une histoire à la Robin des Bois, et, le plus dingue et subversif, Retreat through the Wet Wasteland de Sawada Yukihiro. L’histoire de deux flics corrompus à la poursuite d’un de leur ancien collègue, violeur en série et pyromane, obsédé par les adolescentes, qui vient de s’évader d’un asile d’aliénés après y avoir mis le feu et tué huit personnes. Le film commence par une scène choc, mélange d’Orange Mécanique et de Bad Lieutenant, dans laquelle les policiers corrompus cambriolent la maison d’un prêtre qui vient de récolter 2 millions de yen destinés à aider les Vietnamiens. Non contents de voler le prêtre, ils en profitent pour violer sa fille, au sein même de l’église. La suite du film nous donne à voir une adolescente fugueuse, une troupe de freaks post-hippies et une horde de motards, sans doute une milice ultra-nationaliste répugnée par les cheveux longs.

Retreat through the Wet Wasteland est un film dans l’ère du temps. Le contexte socio-politique et l’esprit de contestation sont retranscrits à travers la référence à la guerre du Vietnam, le désir de liberté de l’adolescente fugueuse (énième variation de la Monika de Bergman) et la troupe de freaks. Le film est également un doigt d’honneur au Département de la Police métropolitaine de Tokyo. En 1972, la police a débarqué dans les studios de la Nikkatsu, arrêté son directeur et saisi les copies du film Love Hunter de Yamaguchi Seiichiro pour violation de l’article 175 du code pénal : autrement dit, la distribution d’objets obscènes. Une attaque directe contre le cinéma érotique et le Roman Porno. Un procès opposera la Nikkatsu contre les autorités de 1975 à 1980. Sans surprise, la Nikkatsu sera jugée non coupable. On comprend donc qu’à l’époque, Yamaguchi était bien énervé et a pris un malin plaisir à mettre en scène des flics pourris jusqu’à l’os. Il a poussé l’outrance jusqu’à ajouter des caches noirs couvrant une bonne partie de l’écran lors des scènes de sexe. Des caches complètement inutiles. Du trolling de haut niveau. Un des caches prend même la forme du sigle anarchiste.

Retreat through the Wet Wastelands de Sawada Yukihiro

À la Nikkatsu, le scénario de Retreat through the Wet Wasteland n’a pas plu à tout le monde, notamment au syndicat des travailleurs, alors dirigé par le Parti Communiste Japonais. Dans un indispensable entretien donné en 2011 à Eiga Gogo, Hasegawa revient sur cet épisode : « Ce syndicat était extraordinairement puissant et influent dans l’entreprise. Il contrôlait même la programmation des tournages. Un jour, il a fait suspendre le tournage de Retreat Through the Wet Wasteland. La raison invoquée : ce scénario représentait les idées d’un trotskiste qui provoquait inutilement les autorités. Trotskiste ! Pour un type apolitique comme moi, qui avait abandonné l’université et ne s’était jamais impliqué dans le mouvement étudiant ! ».

D’après lui, sa non adhésion au syndicat l’a même empêché à deux reprises de réaliser ses propres films : « Je n’aimais pas leur point de vue dans la lignée du Parti Communiste Japonais selon lequel en tant que travailleurs de l’industrie cinématographique, nous devrions arrêter les Roman Porno sordides et produire des films « authentiques et appropriés ». Je trouvais ce raisonnement ridicule parce que tout le monde à la Nikkatsu gagnait sa vie grâce au Roman Porno. Qui plus est, je n’avais jamais considéré les Roman Porno comme des films sordides ».

Les rapports de Hasegawa avec ce syndicat et le Parti Communiste Japonais ont à première vue de quoi étonner. On connaît les liens de nombreux réalisateurs des années 1960 avec l’extrême gauche et les mouvements étudiants contestataires. On l’a vu avec Oshima Nagisa, Wakamatsu Koji, Shinoda Masahiro ou Kuroki Kazuo. Critique globale du capitalisme, contestations du Traité de sécurité nippo-américain, manifestations contre la guerre du Vietnam ou la construction de l’aéroport de Narita. Au début des années 1970, ces mouvements étudiants s’atomisent en groupuscules de plus en plus extrêmes et violents, avec en point d’orgue, sur le sol nippon, les purges de l’Armée rouge unifiée et la prise d’otages du chalet Asama, et au Proche Orient, la création de l’Armée rouge japonaise et son terrorisme international. La contestation la plus pérenne et qui suscite le plus de mobilisation est l’opposition à la construction de l’aéroport de Narita par la communauté agricole de Sanrizuka. La lutte de ces fermiers, menacés d’expropriation, et soutenus par des militants gauchistes, a été largement documentée dans la série de films documentaires d’Ogawa Shinsuke, entre 1968 et 1973.

D’après ses aveux, Hasegawa n’a jamais participé à ces mouvements collectifs. Libertaire, il exprime plutôt ses idées de manière individuelle, notamment dans ses scénarios. Ce n’est pas un hasard si Evening Primrose de Kumashiro Tatsumi met en scène des anarchistes des années 1920, plus particulièrement Daijiro, benshi (un narrateur qui, sur scène, racontait l’histoire des films muets et lisait les dialogues) et meneur du groupe anarchiste Dam Dam. L’individualisme de Hasegawa est aussi symptomatique d’un nouvel état d’esprit plus nihiliste face à un Japon irrémédiablement tourné vers la consommation de masse et l’aliénation, sans opposition possible. Un état d’esprit qui va s’illustrer dans ses deux longs métrages.

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Le Meurtrier de la jeunesse

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En 1975, la Nikkatsu décide de se passer des services de Hasegawa. Il est temps pour lui de réaliser son premier film, produit par l’Art Theatre Guild (ATG pour les intimes, soit le nec plus ultra de la production indépendante), Imamura Productions et Soeisha. Le Meurtrier de la jeunesse s’inspire d’une histoire vraie, adaptée en nouvelle par Nakagami Kenji (qui deviendra l’un des auteurs les plus populaires du Japon) : un jeune homme de 22 ans qui a échoué à plusieurs reprises d’entrer à l’université de Tokyo, voit son avenir compromis. Son père lui achète un bar-restaurant. Au désespoir de ses parents, le jeune homme tombe amoureux d’une amie d’enfance qui devient la serveuse du bar. Absorbé dans une spirale d’échecs et de reproches permanents de la part de ses parents, le jeune homme craque et tue ces derniers.

Sorte de Badlands japonais avec des réminiscences du roman Le facteur sonne toujours deux fois de James Cain, Le Meurtrier de la jeunesse met en scène un anti-héros lâche et brutal, incapable de s’insérer dans la société et en conflit permanent avec ses parents. Parents avec lesquels il entretient des liens troubles. Si on le voit tuer de sang froid son père, Hasegawa suggère une relation incestueuse avec la mère dans un simulacre de double suicide raté, à la fois ridicule, pathétique et glaçant. Le cocon familial est décrit comme un trouple sadomasochiste sans frontière entre l’amour et la haine.

Hasegawa Le meurtrier de la jeunesse

Pour inscrire son film dans son époque, Hasegawa fait une référence explicite à la construction de l’aéroport de Narita, alors contesté par les fermiers de Sanrizuka et les militants gauchistes. C’est un marqueur politique de l’époque. Le père du jeune homme voit la construction de cet aéroport comme une opportunité de développer son commerce et de sortir de sa condition précaire de garagiste. Pour lui, l’aéroport s’inscrit dans l’essor économique du Japon de l’après-guerre. Un nouveau Japon prospère. Rappelons que dans les années 1970, le Japon disposait du troisième produit national brut mondial, derrière les États-Unis et l’Union soviétique. Son fils n’a pas les mêmes aspirations. Nihiliste accompli, il ne croit en rien : ni au développement du Japon ni à la famille ni à l’amour. Même ses idéaux artistiques sont éteints, comme le montrent les scènes de flashback où, au lycée, il réalisait des films expérimentaux en 8 mm mettant en scène des adolescents en révolte contre les autorités (avec une scène wakamatsu-esque de crucifixion d’adultes). C’est un être solitaire désengagé, un raté incapable de s’ouvrir aux autres et de savoir ce qu’il veut.

Sa brutalité et son refus de l’autorité sont symptomatiques de l’époque post-mouvements étudiants. Les rêves de révolution sont bien terminés. Il faut plier face au joug du capitalisme nippon et d’une société aliénante. En 1976, dans le même ton, Ishii Sogo réalisait son premier court métrage Panic High School, avec le pétage de plombs d’un adolescent qui ouvre le feu dans un lycée (court métrage adapté en long en 1978 et distribué par la Nikkatsu). Ce n’est pas un hasard si les chemins de Hasegawa et Ishii ne tarderont pas à se croiser.

panic high school destruction babies forest of love

Les vibrations brutales et meurtrières du Meurtrier de la jeunesse feront des émules et réapparaîtront dans le cinéma des années 2000 (le Japon de la crise économique et de la déflation). On les retrouve chez Sono Sion, notamment dans Cold Fish, Himizu et Forest of Love, mais aussi dans Destruction Babies de Mariko Tetsuya

Le Meurtrier de la jeunesse est un succès critique qui fait le plein de récompenses dans le journal Kinema Junpo : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleur acteur et meilleure actrice. À noter enfin, l’assistant réalisateur n’est autre que… Somai Shinji, tout droit sorti de la Nikkatsu, et que l’on retrouvera pour le film suivant : L’Homme qui a volé le soleil.

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L’Homme qui a volé le soleil

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Le scénario de L’Homme qui a volé le soleil est co-écrit par Hasagewa et Leonard Schrader, frère de Paul, et fin connaisseur du Japon pour y avoir vécu plusieurs années (sa femme est japonaise). À l’époque, il a déjà écrit le scénario de Yakuza, un film réalisé en 1974 par Sidney Pollack, et il récidivera avec le scénario de Mishima, réalisé en 1985 par Paul Schrader.

Avec L’Homme qui a volé le soleil, Hasegawa continue dans la veine nihiliste et aborde un sujet brûlant au Japon : l’arme nucléaire. Kido, professeur de sciences au lycée, construit tout seul une bombe nucléaire. Ses motivations ? A priori, simplement faire du Japon le neuvième pays détenteur de cette arme. Mais tout n’est pas si simple. On n’arrivera jamais à sonder les motivations réelles de Kido. En a-t-il vraiment ? Hasegawa prend un malin plaisir à brouiller les pistes et à accumuler les ruptures de ton : parodie d’épopée ? drame sans cesse désamorcé ? comédie pince-sans-rire ? ironie grinçante ? satire à balles réelles ? C’est tout cela à la fois. 

Hasegawa L'homme qui a volé le soleil

Comment ne pas rire lorsque Kido se met à danser autour de sa bombe nucléaire au son de Get Up, Stand Up de Bob Marley & the Wailers ? Ou exiger des autorités l’organisation du premier concert au Japon des Rolling Stones (le premier concert des Rolling Stones au Japon aura lieu le 14 février 1990) ? Mais comment ne pas ressentir de la pitié pour Kido lorsqu’il constate les premiers symptômes de son exposition aux radiations ? Ou du dégoût à son encontre lorsqu’il menace de faire sauter sa bombe par pure bravade ou bras-de-fer macabre avec la police ? Qui est vraiment Kido ? L’enfant attardé de la bombe atomique et du Japon prospère d’après-guerre qui exige des autorités d’organiser le premier concert des Rolling Stones à Tokyo ? Un Docteur Folamour nippon ? Un parfait contemporain d’Unabomber ? 

Hasegawa laisse ces questions ouvertes mais une chose est sûre : son Kido est bien un anti-héros comme celui du Meurtrier de la jeunesse, avec un (désir de) parricide bien plus grand : le Japon lui-même.

Pour ce film, Hasegawa a été assisté par Somai Shinji (qui réalisera l’année suivante son premier long métrage) et… un dénommé Kurosawa Kiyoshi. En 2009, le journal Kinema Junpo a classé L’Homme qui a volé le soleil à la neuvième place des meilleurs films japonais de tous les temps.

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La Director’s Company : du cinéma indépendant au Japon

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Le paysage cinématographique des années 1980 est encore plus éclaté que dans les années 70. Alors que la fréquentation des salles de cinéma continue de baisser, la télévision prend de plus en plus de place dans les foyers avec l’arrivée du magnétoscope. Le marché de la vidéocassette se développe à partir de 1989 avec le V-Cinéma (des sorties non en salles mais directement en vidéo club). Le cinéma érotique est progressivement remplacé par la pornographie. Conséquence directe : la Nikkatsu met fin en 1988 à ses Roman Porno. Le cinéma indépendant reste vivace, notamment grâce au format 8 mm : Tsukamoto Shinya, Sono Sion et Suwa Nobihuro se feront (plus ou moins rapidement) un nom. En revanche, l’institution qu’est devenue l’ATG ferme ses portes en 1984. Entre le Do It Yourself en 8 mm et les grandes productions, il y a une place à prendre pour des jeunes cinéastes indépendants. 

En 1982, Hasegawa Kazuhiko s’entoure de 8 autres jeunes réalisateurs pour fonder leur propre maison de production, la Director’s Company : Ikeda Toshiharu, Ishii Sogo, Izutsu Kazuyuki, Kurosawa Kiyoshi, Negishi Kichitaro, Omori Kazuki, Somai Shinji et Takahashi Banmei. Une société créée par et pour les réalisateurs.

L’histoire de la Director’s Company est malheureusement méconnue hors du Japon. Il n’existe pas d’articles fournis ou même de recension exhaustive de tous les films produits pendant les dix ans de son existence, de 1982 à 1992. La plupart des réalisateurs et des personnes gravitant autour de la Director’s Company (techniciens, acteurs et actrices, scénaristes, distributeurs, critiques cinéma…) étant encore en vie, on rêverait d’un livre polyphonique, à la Please Kill Me : L’histoire non censurée du punk racontée par ses acteurs de Gillian McCain et Legs McNeil. C’est une aventure essentielle de la production japonaise des années 1980 avec plusieurs premiers films de réalisateurs naissants ou des œuvres qui n’auraient peut-être pas pu être produites ailleurs.

crazy family typhoon club doremifa girl

Si les films sont produits (ou co-produits) par la Director’s Company, ils sont ensuite distribués par d’autres sociétés : la Nikkatsu, la Toho, l’ATG… Les tout premiers films de la Director’s Company surfent allègrement sur la vague de l’érotisme en y ajoutant un brin de provocation et de nihilisme : Running is Sex de Takahashi Banmei, Rock is Sex d’Uzaki Ryudo et Blood is Sex d’Izumiya Shigeru.

Parmi les films phares produits par la Director’s Company, on trouve presque tous les films de Somai Shinji de cette période : Love Hotel (1985), Typhoon Club (1985), La Femme lumineuse (1987) et Tokyo Heaven (1990).

Ishii Sogo tourne, en co-production avec l’ATG, son classique Crazy Family, brûlot hilarant contre l’aliénation de la société japonaise et la destruction de la cellule familiale (thème chéri du cinéma nippon) mais aussi 1/2 Mensch, son documentaire sur le groupe de musique industrielle allemand Einstürzende Neubauten.

Citons également Evil Dead Trap d’Ikeda Toshiharu (récemment édité en DVD par Le Chat qui fume), variation japonaise du slasher, particulièrement perverse, malsaine et mâtinée d’horreur, avec un acte final… pour le moins étonnant !

La Director’s Company, c’est enfin trois des quatre premiers longs métrages de Kurosawa Kiyoshi : les films (plus ou moins) érotiques Kandagawa Wars (1983) et The Excitement of the Do-Re-Mi-Fa Girl (1985) et le slasher Le Gardien de l’enfer (1992). Dans cet entretien réalisé en 2012 lors de sa rétrospective organisée à La Cinémathèque française, Kurosawa parle de son début de carrière. Sa décision de commencer sa carrière par des films érotiques n’avait pas plu aux autres réalisateurs de la Director’s Company… sauf à Takahashi Banmei, qui avait commencé de la même manière chez Wakamatsu Productions et la Nikkatsu.

Et Hasegawa Kazuhiko dans tout ça ? Il avait pour projet de réaliser un film sur les purges de l’Armée rouge unifiée et la prise d’otages du chalet Asama en 1972. Malheureusement, la situation financière de la Director’s Company ne lui a pas permis de le réaliser. En effet, même si la société a produit d’excellents films, elle faisait peu ou pas de bénéfices. Les films n’étaient pas assez rentables. Somai Shinji, le réalisateur le plus célèbre de la société, a même été le plus « mauvais élève », comme le raconte, aujourd’hui avec amusement, Hasegawa dans son entretien pour Eigo Gaga : « Le réalisateur qui était constamment dans le rouge était Somai Shinji. Il n’y avait rien à faire avec lui. Il avait un déficit de près de 200 millions de yens pour un projet de 200 millions de yens ! Je pensais sérieusement que je le tuerais un jour. Dans les derniers jours de la société, tous les administrateurs se sont réunis pour évaluer les pertes. À ce moment-là, Somai a dit : « Mon Dieu, j’ai merdé autant que ça ? » Il a rougi d’embarras. Alors, il a regretté ce qu’il avait fait. Nous on lui a dit « Trop tard ! » et on s’est fâché contre lui. » Exit le projet de film sur la prise d’otages du chalet Asama. En 2007, Wakamatsu Koji réalisera un film sur ces événements : United Red Army.

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La révolution par les films

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Depuis la faillite de la Director’s Company, Hasegawa Kazuhiko se fait rare. Il s’est éloigné de l’industrie cinématographique : aucun scénario, aucune production, aucune réalisation. En 2011, il évoquait la possibilité de réaliser un film lié au séisme du 11 mars et à la catastrophe de Fukushima. Un projet qui a fait long feu. Il n’en garde pas moins un statut particulier au Japon, qui a non seulement réalisé deux films importants mais a participé à l’essor de jeunes réalisateurs dans les années 1980. De ses débuts chez Imamura Productions en 1968 à la fin de la Director’s Company en 1992, son parcours épouse l’évolution du cinéma japonais : ou comment proposer sa vision d’auteur dans une industrie malmenée par les impératifs économiques, le déclin des grands studios et la difficile lutte pour une indépendance artistique.

Hasegawa Kazuhiko Iwai Shunji

Du 9 au 15 juillet 2022, une rétrospective « Kazuhiko Hasegawa Revolutionary Film Art » a été organisée à l’Euro Space de Tokyo. Au programme : ses deux longs métrages, les films de la Nikkatsu dont il a écrit les scénarios mais également Yumeji de Suzuki Seijun (1991) pour lequel il a fait l’acteur. L’occasion d’organiser des discussions avec Mizutani Yutaka, l’acteur principal du Meurtrier de la jeunesse, et le réalisateur Iwai Shunji, et de présenter la première monographie consacrée à Hasegawa, composée de ses scénarios et d’articles critiques.

Marc L’Helougalc’h