VIDEO – Heroes (The Battle at Lake Changjin) de Chen Kaige, Tsui Hark et Dante Lam

Posté le 29 juillet 2022 par

En 2021, Heroes (The Battle at Lake Changjin), commandé par le département de la propagande pour le 100ème anniversaire du PCC, se hissait à la 2ème place du box-office mondial de son année et à la 1ère de tous les temps en Chine. Chen Kaige, Tsui Hark et Dante Lam se réunissent afin de conjuguer leurs talents respectifs et de réaliser le plus gros budget de l’histoire du cinéma chinois, à propos d’une bataille décisive de la guerre de Corée. Disponible en DVD et Blu-Ray le 27 juillet 2022 aux éditions Wild Side.

Hiver 1950, l’armée populaire de Chine entre en Corée du Nord. Les troupes postées sur le front oriental vont combattre au lac Changjin, dans des conditions de froid extrême, n’ayant que peu de rations et accusant un important retard d’armement face à l’armée américaine menée par le général MacArthur. Avec pour seuls alliés leur volonté de fer et leur courage, les soldats chinois vont lutter au-delà de l’entendement et livrer une bataille qui restera à jamais dans les mémoires.

Ce n’est plus un secret pour personne. Depuis des années, le cinéma chinois continental rivalise de plus en plus avec son homologue hollywoodien sur le terrain des blockbusters, développant toujours plus de projets ambitieux et allouant toujours plus de budget aux productions à grande échelle, qui rencontrent éminemment plus qu’un franc succès au pays et parfois à l’international. Heroes (The Battle at Lake Changjin) sonne comme l’accomplissement de ces bulldozers cinématographiques souvent portés sur les gloires, les sacrifices et les mémoires du peuple chinois. Le film raconte les événements de la bataille du réservoir de Chosin opposant l’armée américaine aux volontaires de l’armée populaire de Chine, mais a, propagande oblige, la fâcheuse tendance à réécrire l’Histoire au profit d’une promotion manichéenne de l’héroïsme dont l’armée chinoise a fait preuve lors du conflit, du fait de son intervention pour « sauver la Corée de l’impérialisme américain ». Ces derniers, en plus de n’échapper à aucun cliché du genre, seraient ici purement et simplement à l’origine de la guerre, occultant toute déclaration belliqueuse entre les deux Corées ainsi que tout ce qui a pu se dérouler à la frontière entre les deux belligérants que sont le Nord (dirigé par Kim Il-sung) et le Sud (dirigé par Rhee Syng-man). Le problème étant que les Coréens, premières victimes et premiers concernés du conflit, ne sont jamais importants ni même humanisés, pour la simple et bonne raison qu’ils ne sont jamais montrés. L’ensemble du métrage se concentre sur les Américains repoussés par la glorieuse intervention chinoise sous l’ordre du Grand Timonier, et sur la grandeur de la nation exprimée à chaque plan, comme lorsque les soldats volontaires se retrouvent à bord d’un train, inondés par le crépuscule, face à la grande muraille de Chine sur une émouvante mélodie symphonique. Une fois le bouillon de propagande digéré par le spectateur, se dévoile un film aux qualités spectaculaires indéniables.

Difficile de percevoir quel réalisateur a eu quel rôle sur le tournage. Arnaud Lanuque semble admettre que Tsui Hark et Chen Kaige n’étaient que peu impliqués dans le projet, et que Heroes (The Battle at Lake Changjin) s’avère bien plus être l’œuvre de Dante Lam, dont le style tape-à-l’œil et sensationnel rappelle les scènes d’action endiablées d’Operation Mekong (2016) et Operation Red Sea (2018). Et de l’action, il y en a. C’est un véritable festival de pyrotechnie qui dicte le ton du film. Si les effets spéciaux ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions démesurées des scènes d’affrontement (notamment du point de vue des avions), la direction artistique, les quelques fulgurances esthétiques, les mouvements de caméra perçants et les nombreux plans séquences attestent de la maîtrise générale de l’action made in China. La tension naît alors de la violence dont se permet le métrage afin de retranscrire les aspérités particulièrement meurtrières de cette guerre.

Pour donner de l’humanité à ce carnage, le personnage interprété par Wu Jing, fils de pêcheurs, incarne tout autant le courage et la dévotion des Chinois que leur humilité. Il personnifie bien plus l’esprit de groupe qu’une identité seule, conformément aux valeurs prêchées par le PCC. S’oppose à la valeureuse armée chinoise le général MacArthur, connu pour ses positions politiques radicales et sa cruauté, ce qui en fait un antagoniste intéressant d’un point de vue historique et narratif, car en plein cœur du conflit. D’autres personnages secondaires ont aussi droit à leur arc narratif, comme Mao Anying, fils de Mao Zedong, érigé en martyr.

Finalement, Heroes (The Battle at Lake Changjin) a de quoi rappeler cet autre blockbuster sorti une année plus tôt qui s’attelait à raconter un épisode de guerre glorieux et tragique pour la Chine : La Brigade des 800 (2020) de Guan Hu. Mais là où ce dernier brillait de sa rigueur plastique impeccable et de son immersion sans faille au cœur d’un microcosme explosif, son successeur paraît parfois trop confus et ne prend pas suffisamment le temps de respirer pour décemment caractériser ses personnages ou renforcer ses scènes d’action, qui ont tendance à s’essouffler à l’issue de 3h de pure spectacularisation du moindre enjeu. En somme, une série B musclée, peut-être pas à la hauteur de son budget ou des attendus du genre, mais qui se prête volontiers au plaisir coupable.

Malgré ses défauts apparents, son manque de nuance et de subtilité déconcertant, Heroes (The Battle at Lake Changjin) demeure toujours intéressant avec prise de recul pour ce qu’il dit de la propagande moderne, des stratégies commerciales chinoises, ainsi que pour l’image que la Chine cherche à renvoyer à l’international.

Richard Guerry. 

Heroes (The Battle at Lake Changjin) de Chen Kaige, Tsui Hark et Dante Lam. Chine. 2021. Disponible en DVD et Blu-Ray le 27/07/2022 aux éditions Wild Side.

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