Le Roi cerf, sorti en salles le 4 mai 2022, est la première réalisation d’Ando Masashi, cador technique de l’animation japonaise. A défaut d’originalité, il signe là une œuvre de fantasy au message pacifiste bienvenu.
Van était autrefois un valeureux guerrier du clan des Rameaux solitaires. Défait par l’empire de Zol, il est depuis leur prisonnier et vit en esclave dans une mine de sel. Une nuit, la mine est attaquée par une meute de loups enragés, porteurs d’une mystérieuse peste. Seuls rescapés du massacre, Van et une fillette, Yuna, parviennent à s’enfuir. L’Empire de Zol ne tardant pas à découvrir leurs existences, Il mandate Hohsalle, un prodige de la médecine pour les traquer afin de trouver un remède. Mais Hohsalle et Van, tous deux liés par le fléau qui sévit, vont découvrir une vérité bien plus terrible.
Le Roi cerf est la première réalisation d’Ando Masashi (ici en duo avec Miyaji Masayuki), homme de l’ombre mais personnalité majeure du paysage de l’animation japonaise. Entré à 21 ans au sein du studio Ghibli, il y gravit les échelons en tant qu’animateur-clé (Porco Rosso (1992), Je peux entendre l’océan (1993), Pompoko (1994), Si tu tends l’oreille (1995)) avant de s’imposer comme directeur de l’animation sur les opus majeurs que sont Princesse Mononoké (1997) et Le Voyage de Chihiro (2002). Hors du giron de Ghibli, il fera également des prouesses chez Kon Satoshi dans Tokyo Godfathers (2003), la série Paranoïa Agent (2004) et Paprika (2007). Il contribuera aux derniers feux de Ghibli dans le magnifique Le Conte de la princesse Kaguya (2013) et à la réussite du nouveau wonderboy de la japanime, Shinkai Makoto dans Your name (2016).
Ando, au-delà de ses prodigieuses compétences techniques, a toujours eu une profonde implication artistique dans tous ses projets et collaborera étroitement avec Miyazaki Hayao dans la conception de l’héroïne du Voyage de Chihiro. Sur Souvenirs de Marnie (2014), en plus du character design et de la direction de l’animation, il coécrit notamment le scénario. Il ne lui manquait donc plus qu’à franchir le pas pour passer à la réalisation, ce qui sera le cas dans Le Roi cerf. Le film est l’adaptation d’une série de roman de Uehashi Nahoko, autrice japonaise de fantasy pour la jeunesse publiée en France (en 2009 et 2011) pour sa saga La Charmeuse de bêtes et Le Gardien de l’esprit sacré. Le Roi cerf est un de ses succès récents, publié une première fois en 2014 puis à nouveau en 2017 avant de bénéficier d’une adaptation en manga en 2021.
La saga (de 2 volumes dans sa première mouture de 2014 puis 4 en 2017) est dense à travers un univers riche d’histoires, de personnages et de rites. Il y a un relatif sentiment de trop-plein sur les deux heures que dure le film mais dans l’ensemble, Ando Masashi s’en sort assez bien pour ne pas perdre le spectateur dans ce foisonnement. Nous découvrirons l’antagonisme entre les envahisseurs de l’empire Zol, et les occupés du pays d’Aquafa quelques années après le conflit qui les opposa. Van, ancien guerrier d’Aquafa ayant perdu sa famille, survit en esclavage dans les mines aux côtés de la fillette Yuna. Les attaques de loups et la peste étrange qu’ils transmettent se répand au sein de la population Zol, mais Van et Yuna vont y survivre et développer des aptitudes surnaturelles.
Le questionnement du film sera l’hésitation en pacifisme et bellicisme dans l’usage de ce pouvoir, et des attitudes face à cette maladie. En montrant le contexte plusieurs années après le conflit initial, l’histoire raconte la cohabitation et le rapprochement naturel s’étant fait entre les deux peuples. La vraie haine, et l’origine du mal, se trouve dans la soif de pouvoir des puissants avides de conquêtes chez les Zol, ou revanchards obtus pour Aquafa. Tout le cheminement des protagonistes consiste à accepter cette coexistence et oublier les affrontements passés, en passant par la collectivité. Van retrouve son humanité grâce à la candeur de Yuna, et à l’amitié que lui témoigne les habitants d’un village où toutes les peuplades se mélangent. La peste étrange est une métaphore de cette haine et schisme opposant en vain les individus, l’histoire nous révélant progressivement qu’il s’agit d’une sorte d’arme « bactériologique ».
Le passif d’Ando Masashi se ressent dans l’imagerie du film sous haute influence de Princesse Mononoké. Les costumes, les visions du héros chevauchant un cerf dans des paysages ruraux monumentaux, la présence de loups magiques, tout concoure à rappeler le classique de Miyazaki. Ando n’atteint certes à aucun moment la puissance évocatrice et la sidération des moments cultes de son modèle, mais parvient néanmoins à illustrer de manière intéressante cette mythologie. La fraternité de ce monde rural, l’envers et l’endroit de la magie amènent une absence de manichéisme qui nourrit les protagonistes principaux comme Van, la traqueuse ou le médecin. Le remède à cette peste et les velléités pacifiques sont étroitement liés et il n’incombe qu’à la volonté progressiste des personnages de résoudre l’énigme. Ando entrecroise habilement tonalité intimiste et souffle épique et, bien que certains éléments cruciaux aillent parfois un peu vite (on sent le condensé de plusieurs romans en un unique film plein comme un œuf), l’émotion est là et fonctionne. Une œuvre de fantasy réussie donc, au message positif bienvenu.
Justin Kwedi.
Le Roi cerf d’Ando Masashi. Japon. 2022. En salles le 04/05/2022