MUBI – Disappearance d’Ali Asgari

Posté le 26 avril 2022 par

En ce mois d’avril, la plateforme MUBI nous emmène en Iran avec une sélection de films, dont Disappearance d’Ali Asgari. Réalisé en 2016, il est une nouvelle confirmation du passionnant dynamisme du cinéma iranien.

À Téhéran, de nos jours, lors d’une froide nuit d’hiver, de jeunes amants se heurtent à un problème grave. Ils n’ont que quelques heures pour trouver une solution. Ils vont d’un hôpital à l’autre à la recherche d’aide, mais aucun des hôpitaux n’admettra la jeune femme et ne lui dispensera les soins médicaux dont elle a désespérément besoin. Alors qu’ils s’efforcent de trouver un moyen de résoudre leur problème, ils doivent cacher ce qui se passe à leurs parents. En outre, leur relation est confrontée à une crise qui aura des conséquences désastreuses. Pris entre les traditions conservatrices et les désirs modernes, le couple doit faire face à son avenir incertain

Disappearance s’ouvre et se clôt de la même manière : dans un oppressant silence. Dans sa première scène, une jeune fille de dos marche dans la nuit. L’aube se lève dans la dernière scène, tandis qu’un jeune homme rebrousse chemin, hagard. Entretemps, il y aura eu cette longue soirée, une course contre la montre aux effets dévastateurs sur nos jeunes héros, incarnations d’une jeunesse iranienne coincée entre la volonté de vivre selon leurs désirs et la crainte des inévitables répercussions.

Pour son premier long-métrage, Ali Asgari signe un drame social prenant la forme d’un polar aussi économe dans l’installation d’une tension diffuse, qu’il est ample dans sa manière de figurer la dissolution d’un couple pris au piège d’un événement sur lequel ils perdent tout contrôle. L’équilibre est précaire, et il faut bien reconnaître que le cinéaste fait preuve d’une gestion assez remarquable de son scénario. Le film surprend en dévoilant ses cartes dans les premières minutes et évite ainsi de s’embourber dans une ambiguïté douteuse pour rentrer dans le vif du sujet. Les péripéties s’enchaînent alors sur un rythme au cordeau, chaque passage à l’hôpital comme un nouvel obstacle ou une nouvelle opposition fracturant un peu plus la détermination des personnages. Tenant une ligne rigoureuse, Disappearance ne laisse rien au hasard. Peut-être un peu trop car le film a les qualités de ses défauts. En effet, bien qu’il soit redoutablement efficace, il ne ménage que peu de moments de respiration, sacrifiant ainsi l’émotion (cette charge repose essentiellement sur les épaules des deux comédiens, Sadaf Asgari et Amir Reza Ranjbaran, excellents par ailleurs) à la précision de son découpage. Sur la durée, le procédé devient parfois un peu mécanique, laissant le spectateur à distance au lieu de complètement le saisir. Pourtant, c’est bien dans cette durée, le temps de cette nuit interminable, que ce Disappearance tire une indéniable force.

Asgari convoque avec assurance les figures tutélaires d’un cinéma iranien familier. On pense à Une Séparation d’Asghar Farhadi dans la représentation d’une bureaucratie absurde et désabusée, mais également à l’œuvre de Mohammad Rasoulof, particulièrement Un Homme intègre, dans la noirceur mélancolique de son constat. Il emprunte aussi aux codes du film noir classique, travaillant soigneusement le son et l’espace afin d’instiller tantôt du suspense, tantôt du malaise. Sec et implacable, Disappearance ne perd jamais de vue ses enjeux dramatiques, et les met en balance avec les risques insensés pris par les personnages. Par ce biais, il observe la société iranienne et son fonctionnement à la limite du tenable, d’un point de vue pratique (des procédures qui tournent en boucle) comme d’un point de vue humain (une jeunesse empêtrée dans une forme de clandestinité du banal). Cette longue nuit s’achève sur une note bien amère, et sur un plan de son actrice, le regard rempli d’une résignation médusée qui s’imprime durablement dans l’esprit du spectateur.

Avec ce Disappearance, Ali Asgari rejoint les rangs plus que prometteurs des artistes iraniens déterminés à commenter leur société par l’art et le récit. La nouvelle garde se crée et la relève semble définitivement assurée.

Claire Lalaut

Disappearance d’Ali Asgari. Iran. 2016. Disponible sur MUBI