Shimizu Takashi, l’un des maîtres de la J-horror et créateur de la saga des Ju-On/The Grudge, reprend du service avec Jukai : La Forêt des Suicides, sorti en DVD et Blu-ray chez The Jokers.
Comme le titre du long-métrage l’indique, Jukai : La Forêt des Suicides campe son récit autour de la tristement célèbre forêt Aokigahara, connue pour être l’un des lieux accueillant le plus de tentatives de suicides au monde. Shimizu raconte ainsi l’histoire de deux sœurs, Hibiki et Mei, dont la mère a mis fin à ses jours et qui vivent désormais avec leur grand-mère dans un petit village en lisière de forêt. Les deux jeunes filles et leurs amis trouvent fortuitement une boîte étrange en bois sous les fondations de leur maison et dès lors, des évènements tragiques commencent à prendre place dans la petite bande adolescente. En tentant de palier ce torrent de malédictions, ils vont finalement être dirigés vers la source de la boîte : la fameuse forêt Aokigahara.
Jukai : La Forêt des Suicides est le deuxième opus d’un triptyque conçu par Shimizu et rejoint Inunaki : Le Village oublié, sorti en 2020. Nous retrouvons d’ailleurs à cet effet beaucoup de ressemblances avec Inunaki. Certains de ces éléments fonctionnent très bien et trouvent une résonance encore décuplée dans Jukai. Nous retrouvons par exemple l’insertion de personnages de youtubeurs/vloggers, utilisant alors une formule sensationnaliste pour parler de tragédies au détriment des victimes et, dans le cas précis de ce décor de la forêt Aokigahara et du nombre de véritables polémiques tournant autour des vidéos et live insensibles envers les personnes s’étant suicidées sur place, le propos ne peut que faire mouche. De même, Shimizu construit, comme dans Inunaki, des liens entre un passé historique et des catastrophes actuelles qui s’adaptent particulièrement bien aux thématiques tournant autour du suicide. Nous apprenons durant le film que la forêt Aokigahara est hantée par les esprits des enfants et vieilles personnes que l’on abandonnait au début du XXème alors qu’ils étaient jugés inutiles à la société pour des raisons variées. Le parallèle établi avec les visiteurs suicidaires de la forêt est alors une façon assez pertinente de replacer la problématique des suicides dans un cadre social et non pas individuel et circonstanciel.
Malheureusement, nous retrouvons aussi dans Jukai : La Forêt des Suicides les mêmes limites que dans Inunaki. Sans attendre de Shimizu qu’il révolutionne à nouveau le genre horrifique, comme à ses débuts avec Ju-On, il est frustrant de le voir céder à des facilités narratives ou visuelles, sans tenter de les approfondir ou les renouveler. Les morts qui surviennent manquent légèrement de panache et de créativité et l’utilisation de la technologie comme terrain de jeu des fantômes ne peut plus se permettre d’être une innovation en tant que telle, dès lors que l’on a assisté à des dizaines de variations sur le sujet depuis une vingtaine d’années. Là où d’excellentes productions comme Kairo de Kurosawa Kiyoshi ou La Mort en ligne de Miike Takashi, en passant bien évidemment par Ring de Nakata Hideo, proposaient des innovations et un véritable propos sur les évolutions des moyens de communication modernes, Shimizu reste ici très en surface de cette idée. Si le film finit pourtant par décoller dans son dernier quart et proposer des idées intéressantes, notamment en ce qui concerne le design des créatures spectrales de la forêt, il peine réellement à surprendre pendant sa mise en place et son développement. La construction des personnages n’aide pas vraiment à combler cette impression trop prégnante de déjà vu, puisque les protagonistes sont réduits à des archétypes, sans développement particulier. A l’exception de Hibiki, interprétée par Yamada Anna (révélée par son premier rôle principal dans Liverleaf de Naito Eisuke) qui convainc et dégage un certain charisme, le reste des individus que nous suivons sonne assez creux. Le casting n’est pourtant pas à blâmer, car nous retrouvons des (habituellement) bons acteurs comme Kunimura Jun (Outrage) ou Kurosawa Asuka (Cold Fish), ce qui là encore, fait regretter un certain manque d’approfondissement.
Junkai : La Forêt des Suicides est donc malheureusement en demi-teinte, à l’instar d’Inunaki qui laissait présager une légère baisse de régime chez le réalisateur, malgré des qualités toujours présentes. Le résultat n’est pas rebutant et se laisse très facilement regarder mais les amateurs forcenés de J-horror en quête de renouveau pourraient bien être laissés sur leur faim.
Bonus
The Jokers joint au film une partie de l’interview sur Zoom (Covid-19 oblige) de Shimizu par le youtubeur Azz l’épouvantail. Si l’entretien entier a malheureusement disparu de la chaîne, les segments sélectionnés parviennent à faire un très bon tour d’ensemble assez éclectique de la production du film. Le cinéaste parle tout aussi bien de ses ambitions cinématographiques, notamment en immisçant des séquences de souvenirs au sein même d’une scène sans la couper, que de son avis sur l’affaire Logan Paul, ce youtubeur américain qui avait filmé un cadavre de la forêt Aokigahara dans un de ses vlogs. Il est particulièrement intéressant d’entendre Shimizu parler de son rapport personnel aux films d’horreur et de ses influences que l’on retrouve dans le film, comme la boîte maudite de Jukai pour le design de laquelle il s’est inspiré du Necronomicon de Raimi dans Evil Dead. De même, il est très appréciable d’avoir accès aux références réelles du film, comme lorsque l’on apprend que Shimizu a été très influencé par la catastrophe de Fukushima, même si le film n’en traite pas directement.
Elie Gardel.
Jukai : La Forêt des Suicides de Shimizu Takashi. 2021. Japon. Disponible en DVD et Blu-Ray chez The Jokers le 16/03/2022.