Fleuron du film catastrophe « Made in Japan », Super Express 109 (1975) de Sato Junya réunit tous les bons ingrédients du genre pour embarquer à bord d’un Shinkansen où se joue une course effrénée contre la montre et contre la mort. Fermeture des portes, départ imminent, ce voyage à fleur de peau vous est proposé par Carlotta Films dans une superbe Edition Prestige Limitée DVD/Blu-Ray, en Blu-Ray et DVD, le tout en version restaurée en haute définition.
1 500 passagers viennent d’embarquer à bord du train à grande vitesse Shinkansen reliant Tokyo à Hakata, dans l’Ouest du Japon. Peu après son départ, le directeur de la sécurité ferroviaire reçoit l’appel d’un homme déclarant avoir placé une bombe à son bord. Celle-ci explosera si la vitesse du train descend en dessous des 80 km/h. Le compte à rebours est lancé : toutes les forces du pays se mobilisent pour rechercher le groupe de terroristes et payer la rançon exigée de 5 millions de dollars…
Pour un pays tel que le Japon, où l’intérêt pour les trains est proéminent chez une grande partie de la population, il n’est pas étonnant qu’un film catastrophe se soit un jour attelé à jouer de cette passion pour susciter la peur et l’angoisse de son audience. Kurosawa Akira déjà, écrivait en 1966 un scénario sur la course folle d’un train qui ne sera finalement adapté qu’en 1985 par Andreï Kontchalovski, le bien connu Runaway Train. Près d’une décennie plus tard, Sato Junya, alors connu pour ses yakuza eiga et ses films de guerre, prend les commandes du tout nouveau projet phare de la Toei, Super Express 109 a.k.a The Bullet Train (1975), en réponse au succès planétaire de La Tour infernale (1974) de John Guillermin. Le blockbuster, comme pour garantir son tour de force, rassemble une prestigieuse distribution menée par Takakura Ken et Sonny Chiba, tout en faisant mijoter quantité d’éléments assimilés par le public et directement puisés des films de kaiju, à commencer par l’approche procédurale de la catastrophe en cours.
En effet, il n’est pas seulement question d’un train qui file à toute vitesse et explosera s’il ralentit en dessous des 80 km/h. C’est bien le savant mélange de pure fiction dramatique et de réalisme procédural qui fait de Super Express 109 un spectacle de tous les instants, car Sato Junya nous emmène sur chaque front de l’évènement, aussi bien au cœur de l’enquête qu’au plus près des passagers et du personnel de bord qui vivent la situation en direct. À terre, le centre de contrôle de la société des chemins de fer (dont le président est incarné en caméo par ni plus ni moins que Shimura Takashi) s’active pour entrer en contact avec les terroristes et trouver une solution afin d’éviter le pire. De la police aux médias en passant par les considérations politiques de l’affaire, pléthore de personnages accompagnent le récit dans sa volonté d’apporter du réalisme à la catastrophe, tout comme Shin Godzilla (2016) de Anno Hideaki le fera sur les plans stratégiques, militaires et géopolitiques. Soucieuse du moindre détail, l’écriture prend par exemple la peine, dès le début, de donner un sens à la sophistication de la bombe et de prouver à la compagnie son fonctionnement en faisant exploser un autre train (cette fois-ci de marchandises) s’il descend en dessous d’une certaine vitesse. À bord du Shinkansen, les réactions des voyageurs, d’abord déconnectés de la situation puis paniqués, continuent d’ancrer le métrage dans une réalité palpable. Chaque question que pourrait se poser le spectateur est alors répondue par le film, à un moment ou à un autre.
Super Express 109 ne manque également pas, en parallèle d’une tension tout en suspense et de retournements de situation pour le moins spectaculaires, de proposer une critique sociale mordante en filigrane. Réalisé dans un contexte de miracle économique et de réformation de la société japonaise autour du modèle urbain des salarymen, de plus en plus de films de cette époque s’attachent à donner une voix aux oubliés, aux marginaux et aux éraflés du système. En ce sens, bien que Sato Junya se montre parfois un poil trop moralisateur, chacun des protagonistes a droit à un développement égal, en particulier les mystérieux terroristes aux convictions étouffées. Sur un plan strictement esthétique, la sobriété de l’ensemble est bien venue pour résonner avec l’approche terre-à-terre des enjeux, et l’urgence de ces derniers se suffisent confortablement à eux-mêmes. Peut-être le film est-il ceci dit trop long pour tenir en haleine du début à la fin, la faute à un milieu d’histoire moins mouvementé, mais jamais l’on ne boude son plaisir devant un tel monument du cinéma catastrophe japonais, toujours à l’heure en matière de tension et encore aujourd’hui intéressant dans ce qu’il aborde.
Bonus
Un express poupée russe par Fabien Mauro (20mnt) : l’auteur de Ishiro Honda : Humanisme monstre (2018) et Kaiju, Envahisseurs & Apocalypse : L’Âge d’or de la science-fiction japonaise (2020) revient sur les prémices du genre catastrophe au Japon avec, notamment, La Submersion du Japon (1973) de Moritani Shiro en réponse au succès grandissant de ces blockbusters à Hollywood. D’abord localisées sur l’archipel, il constate que les catastrophes s’étendent de plus en plus au niveau planétaire. Vient alors Super Express 109 en 1975, en quelque sorte un retour aux sources pour un film mêlant le policier au drame social. Le long-métrage est parcouru de fond en comble, de ses atouts narratifs et esthétiques jusqu’aux coulisses de la production. Le légendaire Narita Tohl a par exemple participé à la maquette du train et aux storyboards. Fabien Mauro porte une attention toute particulière sur le casting de haut vol et la raison de ces choix. De croustillantes anecdotes ponctuent l’entretien, comme le fait que l’éternel yakuza Sugawara Bunta était à l’origine envisagé pour le rôle de Takakura Ken.
Gros film, grosse panique : Junya Sato à propos de Super Express 109 (25mnt) : entretien avec le réalisateur de Super Express 109 datant de 2016. Souvenirs de plateau, genèse du projet, rassemblement des équipes et des acteurs, regard affirmé d’un cinéaste sur son propre travail, tout ce qu’il faut pour accompagner le visionnage du film et l’aimer un peu plus.
Les suppléments de l’édition comprennent également Super Express 109 en version française, tel qu’il est sorti dans nos salles en 1976 (1h40 au lieu de 2h30), ainsi que 3 bandes annonces.
Grand film catastrophe s’il en est, Sato Junya ne pouvait recevoir meilleur hommage que cette formidable Edition Prestige concoctée par Carlotta. En plus de Super Express 109 dans sa version restaurée, et des bonus de qualité ci-dessus sélectionnés, le coffret est accompagné de l’affiche grandeur nature, d’un fac-similé de eiga chirashi (petit flyer recto-verso des posters d’origine distribués dans les cinémas japonais lors d’une campagne de promotion), et d’un jeu de 9 lobby cards.
Richard Guerry.
Super Express 109 de Sato Junya. Japon. 1975. Disponible en DVD, Blu-Ray et Edition Prestige Limitée le 15/03/2022 chez Carlotta Films