Cette année au Black Movie, l’exploration du cinéma kazakhstanais continue, et après les polars noirs d’Adilkhan Yerzanov ou les comédies loufoques comme Sweetie, You Won’t Believe It, il est désormais possible de découvrir un cinéma plus social, intime et on ne peut plus proche du réel.
Tolik est livreur de pain dans une grande ville du Kazakhstan. Mais sous ses airs joviaux et amicaux se cache un quotidien beaucoup plus sombre. Tolik est en effet endetté jusqu’au cou, habite dans un minuscule appartement avec son père, ses enfants, et sa femme qui attend un troisième bébé. Acculé et mis au pied du mur financièrement, Tolik ne sait plus quoi faire.
De prime abord, on pourrait penser que ce pitch n’est pas des plus originaux et a déjà servi de base à de nombreuses productions, quels que soient les pays concernés, la précarité étant malheureusement un sujet international toujours d’actualité. Il était donc logique que le cinéma du Kazakhstan s’y intéresse à un moment ou à un autre. La réalisatrice va donc suivre les efforts qu’un individu issu de la classe moyenne va fournir pour essayer de s’en sortir et ne pas sombrer dans la misère. Et sans divulguer les rebondissements du film, il faut reconnaître que le destin va vraiment s’acharner sur son héros, qui va subir une loi de Murphy sociale lui rappelant violemment sa condition de citoyen précaire qui ne devrait même pas essayer de s’en extirper.
Mais la bonne surprise du film, c’est que là où il aurait été simple, voire trop facile de sombrer dans le misérabilisme et le pathos avec son héros qui voit sa vie et son bonheur se dérober à lui en permanence, la réalisatrice choisit de prendre un chemin diamétralement opposé et opte pour un ton de comédie tendre et doux-amer. Son personnage est au fond du gouffre, subit souvent plus qu’autre chose, mais à aucun moment il ne baisse les bras ni ne craque, essayant systématiquement de trouver une solution à ses ennuis, persuadé qu’il doit bien exister une solution qui mettra fin à son calvaire. Parfois ça marche, comme avec son ami qui l’aide pour manger, et parfois ça échoue brutalement, à l’image de cette scène de demande de prêt où la violence et la froideur administrative vient rappeler à Tolik qu’il rêve peut-être un peu trop fort et un peu trop gros.
Et parfois, entre deux problèmes qui viennent encore plus charger la galère de notre héros, la vie va lui offrir des plages de liberté et de bonheur, comme pendant une surréaliste scène de danse latine improvisée dans une supérette, où l’espace d’un instant, le spectateur et Tolik oublient le quotidien morose d’une vie devenue impossible à supporter, avec son ami épicier qui lui précise, très pragmatiquement, qu’il existe toujours une solution à un problème. Mais rien ne se passe comme prévu, et c’est à ce moment que le film bascule sans prévenir dans la comédie dramatique et burlesque, qui tranche radicalement avec la tonalité drame social qui a précédé. Comme si l’existence proposait à Tolik une échappatoire complètement non-sensique et surréaliste, loin de son quotidien qui commence à ressembler une boîte de Pandore de la galère. Cette parenthèse divertissante et plus légère se termine de manière assez poétique, avec un Tolik qui commence à reconnaître frontalement que tout n’est pas gagné, et qu’inconsciemment, il aimerait beaucoup tout envoyer promener, au travers d’un rêve où il se voit seul et face à un grand feu destructeur et purificateur, un rêve qui mine de rien va lui remettre les pendules à l’heure et lui permettre d’envisager un avenir moins pessimiste.
La grande qualité du film d’Aizhana Kassymbek est ce refus de juger ses personnages dans le besoin et cette volonté d’en faire des petites gens pleins d’optimisme et de volonté, qui se savent pris à la gorge mais qui finissent par s’en accommoder et profitent de chaque petit instant d’échappatoire que la vie leur offrira. D’ailleurs, le générique de fin est un des plus tendres et optimistes de ce début d’année, avec son héros qui se dandine sur fond de merengue dans son entrepôt d’emballage de pain. On notera aussi au passage que la mise en scène d’Aizhana Kassymbek a beau filmer un drame, son film est toujours lumineux et solaire, loin des tons gris et tristes que le sujet pourrait visuellement entraîner.
En conclusion, malgré une durée un peu trop courte (le film dure 1h17) et un script qui aurait sans doute gagné à développer un peu plus certains points (notamment le parcours de la femme de Tolik, femme forte au grand cœur mais pas épargnée par la vie, elle non plus), Fire est une très belle surprise kazakhstanaise, pleine d’humanité et de tendresse.
Romain Leclerq.
Fire d’Aizhana Kassymbek. Kazakhstan. 2021. Sélectionné au Black Movie 2022