BLACK MOVIE 2022 – No. 1 Chung Ying Street de Derek Chiu

Posté le 27 janvier 2022 par

Parmi la sélection asiatique toujours très fournie du festival Black Movie en Suisse, on retrouve cette année 2022 le drame No. 1 Chung Ying Street de Derek Chiu. Par le portrait de deux générations de manifestants à Hong Kong, le film parvient à saisir l’impasse politique dans laquelle se situe la ville au port parfumé.

1967. Des émeutes éclatent à Hong Kong pour manifester contre le pouvoir colonial britannique. Parmi les opposants au pouvoir se trouvent des étudiants et leurs parents ouvriers engagés dans la lutte des classes, et ayant fait de Mao Zedong leur figure de proue. Une jeune fille part à la recherche de son ami d’enfance, qui a pris part aux évènements et n’est pas revenu.

2019. Cinq ans après la révolution des parapluies, des jeunes gens continuent la lutte. L’un d’eux n’est pas revenu chez lui depuis plusieurs jours et inquiète sa mère. Il se retrouve à côtoyer un vieil homme, ancien manifestant de 1967, cultivant un terrain en bordure de Hong Kong et menacé d’expropriation.

Ces deux dernières années, Pékin a durci sa politique vis-à-vis de Hong Kong. Des mesures ont été prises à l’égard de l’industrie cinématographique locale – notamment des restrictions de distribution et des coupes, sur d’anciens et nouveaux films – ce qui donne à No. 1 Ching Ying Street, produit en 2018, une saveur particulière. Que ce soit pour le segment se déroulant en 1967 ou celui en 2019, le ton se trouve mélodramatique et teinté d’une sensation de regret. Le film est intégralement tourné en noir et blanc, lui conférant une aura d’instant figé. Ces deux points dans le temps montrent une chose : jamais Hong Kong n’a pu décider par elle-même. Si cette forme de mélodrame peut sembler trop appuyée, légèrement tire-larmes par instant (surtout dans le second segment), elle ne retire rien à la richesse thématique et la force politique du film.

Les deux segments portent une ligne scénaristique sensiblement similaire (des manifestations, un jeune participant disparu et son amie d’enfance qui le recherche), et leurs rôles principaux sont joués par les mêmes acteurs et actrices. Ce choix de mise en scène de la part de Derek Chiu permet de créer un parallèle net entre les deux situations, pour mieux décrire les errances politiques des uns et des autres. Cela étant dit, Derek Chiu juge des idéaux au regard de l’histoire, mais il ne juge aucun de ses personnages. Le réalisateur a même connu, lors de la sortie du film, des critiques de toutes parts, de tous camps, preuve de la complexité dont fait preuve No. 1 Chung Ying Street. Le film ne manque malgré tout pas de fermeté dans son discours vis-à-vis des restrictions démocratiques que connaissent actuellement les Hongkongais.

La partie de 1967 se révèle très maligne : les personnages masculins principaux sont de fervents maoïstes, jusqu’à arborer un portrait gigantesque du Grand Timonier dans leur chambre exiguë. Être maoïste en 1967, à Hong Kong comme ailleurs dans le monde, en France aussi, trouve sa justification dans la contestation légitime du colonialisme et de l’impérialisme occidental. En creux, le cinéma hongkongais a toujours fait sous-entendre une voix de protestation à l’égard des Britanniques, qui n’ont pas apporté la démocratie à cette population et qui ont par ailleurs exercé eux-mêmes une censure assez lourde sur son cinéma – l’exemple le plus éminent étant le premier tiers de L’Enfer des armes de Tsui Hark, sorti en 1980, qui a dû être intégralement repitché et retourné. No. 1 Chung Ying Street ne tombe dans aucun piège : Derek Chiu filme des personnages soutenant Mao face à des anti-Mao. Il reste relativement neutre quant à la légitimité des Britanniques, jusqu’à ce qu’il peigne la police hongkongaise à ses ordres comme commettant une erreur judiciaire terrible. Dans le même temps, le personnage féminin principal, telle une voix de la raison, ne manque pas d’opposer des arguments aux discours des pro-Mao, et dire que les Chinois sombrent dans la misère (nous somme en pleine Révolution culturelle). Tout fait sens lorsqu’un clandestin continental se cache dans l’appartement de l’étudiant maoïste : loin de toute implication politique, son comportement est régi par la faim et la survie. L’écart entre son mode de vie et celui des manifestants hongkongais est subtilement écrit et montre la méconnaissance de l’un sur l’autre. La conclusion du segment, dans le sang et les geôles, est pleine d’empathie pour ces citoyens, pris entre deux feux mais animés d’un sentiment de liberté qui leur est propre et qu’il n’ont jamais connu.

La subtilité du film s’étend lorsque le second segment, prenant place en 2019 (soit dans le futur proche de la sortie du film, et cinq ans après les manifestations de 2014) évoque les manifestants du « camp jaune », soit pro-démocratie, en total mésentente avec les anciens manifestants de 1967, du « camp bleu » et soutenant toujours la Chine. Le réalisateur place au centre de l’intrigue un protagoniste âgé, ancien manifestant de 1967. Lui soutient la nouvelle génération de manifestants et son implication dans l’une et l’autre des époques et des courants, ce qui traduit la complexité de la situation dans laquelle se trouve Hong Kong. Difficile de ne pas voir en lui l’avatar du réalisateur, de son opinion générale sur cette situation sans issue. Le film ne se montre en effet guère optimiste quant au devenir de la cité-état, et les évènements les plus récents lui donneront raison. Reste ces jeunes protagonistes, qui même tiraillés par l’envie de trouver la sécurité, ne serait-ce que pour rassurer leurs proches, sont invités par ces derniers à se battre pour ce en quoi ils croient. Objectif banal pour un film, on ne peut plus concret et sérieux pour la réalité à laquelle il fait référence. Pour toutes ces raisons, No.1 Chung Ying Street est un film courageux, qui a sans doute eu la chance de ne pas sortir un ou deux ans trop tard.

Maxime Bauer.

No. 1 Chung Ying Street de Derek Chiu. Hong Kong. 2018. Sélectionné au Black Movie 2022