Le festival Black Movie propose de découvrir dans sa sélection 2022 l’un des films du réalisateur hongkongais Herman Yau, From the Queen to the Chief Executive, sorti initialement en 2001.
La carrière du très prolifique Herman Yau est pour le moins éclectique. Devenu célèbre avec des films de Catégorie 3 (The Untold Story et Ebola Syndrome), il a ensuite réalisé de l’action, des drames, des romances, des films biographiques, etc. Il se penche cette fois, avec From the Queen to the Chief Executive, sur l’adaptation d’un fait divers survenu en 1985 à Hong Kong, les meurtres de Braemar Hills. Dans la réalité comme dans la fiction, un couple anglais en voyage à Hong Kong, qui appartenait encore aux Britanniques, s’est fait détrousser par un groupe de jeunes délinquants chinois, puis torturer et tuer. Néanmoins, ce n’est pas sur l’attaque que se concentre Yau mais sur les conséquences judiciaires de l’affaire. Le groupe des assaillants étant constitué à moitié d’adolescents mineurs, la sentence ne pouvait être déterminée de la même façon que pour des adultes. Le flou juridique concernant cette question à l’époque a alors mené à des emprisonnements de durée indéfinie, « au plaisir de sa Majesté ». Nous suivons dans ce film le combat de Cheung Yue-ling, jeune femme s’étant intéressée au sort de l’un des prisonniers, et de Leung Chung-ken, membre du conseil exécutif, pour offrir une vraie sentence délimitée à ces détenus abandonnés par le système. Leur mobilisation est d’autant plus urgente que Hong Kong s’apprête à être rendu à la Chine et que Leung Chung-ken ne sera alors bientôt plus membre du conseil en vigueur.
Ce n’est pas la première fois que Yau réalise un film à thèse anticarcérale à partir de faits réels. Dans The Untold Story, nous assistions à une mise en parallèle des meurtres sanglants d’une famille de Macao et de la brutalité de la police ainsi que celle de la justice durant l’arrestation et la détention du criminel. Dans From the Queen to the Chief Executive, toutefois, Yau troque l’horreur pour une approche plus didactique. Le changement de genre s’accompagne d’une esthétique plus épurée et efficace au service de la thèse de son auteur. Le réalisateur éclaire ses prises de position militantes et prend le temps de développer les différents enjeux de société concernant l’enfermement des prisonniers. Pour ce faire, Yau s’attaque frontalement à tous les groupes sociaux responsables de la tournure de l’affaire de Braemar Hills. Lorsque le film débute, Leung Chung-ken, déjà fervent supporter des mouvements sociaux, porte son aide à une grève d’ouvriers d’usine exploités. Leur manifestation ne trouve aucun écho dans les journaux, tant les unes sont prises d’assaut par le fait divers des Britanniques assassinés. Une telle couverture médiatique oblige également le Gouverneur à traiter les faits avec une rigueur implacable, d’où le choix de la sentence maximale réservée aux mineurs à cette époque. Yau porte ainsi un coup non dissimulé aux médias mais également au colonialisme britannique, ultimement à l’origine de cette frénésie précise. La nationalité des victimes, qui fait prendre de l’ampleur au fait divers ainsi que l’application des lois anglaises, sont pointées du doigt comme éléments déclencheurs de la tragédie que vivent les prisonniers. La spirale administrative qui empêche les détenus d’obtenir justice n’est pas en reste et Yau prend le temps d’exposer les dérives du système bureaucratique. Les « prisonniers au plaisir de sa Majesté », puisque leur sentence n’est techniquement pas encore appliquée, n’ont droit ni à des probations, ni même à faire appel. Leur seul espoir est d’attendre que le comité de détention s’applique à lire leur dossier, ce qui bien évidemment, n’arrive jamais à moins d’obtenir une aide extérieure.
Yau remonte également à ce qui précède les offenses des coupables et le film trouve un intérêt encore renouvelé dans sa pertinence sociologique lorsqu’il traite des raisons amenant aux crimes et à la délinquance. Il explicite son propos à plusieurs reprises via les prises de parole publiques de Leung Chung-ken et souligne résolument que les rouages du capitalisme et le système corrompu sont à l’origine de la hausse de la criminalité juvénile. Il évoque aussi la difficulté d’envisager la question dans son ensemble et le choix de préférer jeter les prisonniers aux oubliettes en prétendant régler ainsi tous les problèmes pour se rassurer momentanément. Les écueils qui surgissent vis-à-vis de l’opinion publique lorsque l’on base une lutte sociale sur l’aide aux personnes particulièrement marginalisées sont également soulevés par Yau. Qu’il s’agisse de passants dans la rue lors des manifestations, des agents du comité de détention ou bien des politiques qui refusent de se mouiller et de perdre leurs électeurs, les difficultés et les détracteurs se rencontrent à divers degrés de l’échelle sociale.
En dehors de sa pertinence politique globale sur la question de la détention, Yau réussit également à donner une subtilité bienvenue à son film, via ses protagonistes. Leung Chung-ken a beau être idéaliste et engagé, il n’est pas un saint pour autant. Sa lutte pour les détenus force son épouse à s’occuper seule de leur famille et lorsqu’elle évoque un meeting pour les droits des femmes auquel elle aimerait assister, elle n’est pas prise au sérieux par son propre mari qui pense être le seul à avoir des causes à défendre. Cheung Yue-ling, quand à elle, ne commence à s’intéresser à la situation des détenus que parce qu’elle se reconnaît en l’un d’eux, et sa foi vacille lorsqu’elle réalise l’ampleur du crime qui s’est produit. Elle manque de cesser d’apporter son aide aux prisonniers en apprenant qu’il y a eu agression sexuelle et torture en prime de l’assassinat, prouvant ainsi que même dans les rangs des défenseurs, le soutien n’est pas indéfectible.
From the Queen to the Chief Executive a beau souffrir de quelques petits défauts, comme quelques séquences inutilement larmoyantes, le film offre un approfondissement très intéressant des positions de Yau sur la question des prisons et des droits des détenus. Davantage un manifeste qu’une fiction, le long-métrage propose tout de même des moments de cinéma très intéressants, notamment au travers du montage, pour un résultat très solide et pertinent, encore aujourd’hui.
Elie Gardel.
From the Queen to the Chief Executive de Herman Yau. Hong Kong. 2001. Sélectionné au festival Black Movie 2022.