VIDEO – People’s Hero de Derek Yee

Posté le 30 août 2021 par

People’s Hero prend un postulat de polar pour proposer un formidable drame humain dont le dispositif en huis-clos offre un passionnant microcosme de la société hongkongaise. C’est disponible en combo DVD/Blu-Ray chez Spectrum Films, ce qui nous donne l’occasion de louer le travail de l’injustement méconnu Derek Yee.

Sai et Boney sont deux gangsters inexpérimentés et rapidement, leur tentative de braquage tourne au cauchemar. Sonny Koo, un redoutable gangster recherché par la police, se trouve également malgré lui pris en otage dans l’établissement bancaire. La situation bascule lorsque deux flics aux méthodes opposées s’affrontent pour la libération des otages…

People's Hero

Derek Yee se fait au départ connaître au sein de la Shaw Brothers où il fait figure d’antagoniste charismatique, notamment dans les films de Chu Yuan comme Le Poignard volant (1977) ou Le Tigre de Jade (1977). Lorsque le studio décline et ralentit sa production au début des années 80, Derek Yee se réinvente et profite de l’émergence de compagnies indépendantes en quête de nouveau talents pour se lancer en tant que réalisateur. Il signe en 1986 The Lunatics, sa première réalisation au sein de la société de production D&B. Il va bien s’y entendre avec un des producteurs, John Shum qui, parti fonder sa propre compagnie Maverick Films, va de nouveau faire appel à lui pour People’s Hero, son second film.

Parmi les talents ayant maintenu un standard de qualité au sein du marché hongkongais déclinant des années 200-2010, Derek Yee se caractérise par l’ancrage social fort de ses polars – son genre de prédilection. Des œuvres comme One Nite in Mongkok (2004), Protégé (2007) ou Shinjuku Incident (2009) se nourrissent ainsi du réel en partant de faits divers ou de mues socio-politiques locales du moment. Cette approche est déjà présente dans People’s Hero. Le postulat évoque le classique Un après-midi de chien de Sidney Lumet (1975), ou d’autres films mettant en scène le déroulement incongru d’un casse qui oriente le récit vers des sphères inattendues – en versant franchouillard réussi, on peut citer Les Fugitifs de Francis Veber.

People's Hero

Ici le point de départ sera lorsque Sai (Tony Leung Chiu-wai), petite frappe apeurée, se lance maladroitement dans le braquage d’une banque avec un complice tout aussi empoté que lui. La situation pourrait se régler au vu de leur inexpérience, mais parmi les otages se trouve Sunny Koo (Ti Lung), vrai criminel en cavale qui va reprendre les choses en main. Lors de la séquence d’ouverture, les futurs otages représentent tout un pendant détestable d’une société hongkongaise froidement égoïste et capitaliste. Une adolescente impose ses caprices à sa mère trop occupée à boursicoter, le vigile pakistanais subit la condescendance de son patron, les nouveaux riches n’ont aucun scrupule à se doubler les uns les autres au guichets… Devenus otages d’un dangereux criminel, ils constituent alors paradoxalement un microcosme solidaire face à l’adversité. Sunny sert de révélateur aux instincts bienveillants enfouis en eux, par l’aura de menace et d’humanité qu’il dégage. Ti Lung est excellent en gangster vulnérable et torturé, catalysant en lui toutes les contradictions de cette société hongkongaise. Attentif au bien-être de ses otages, il s’en fait des alliés sans jamais totalement effacer le danger qu’il représente, le sentiment de peur qu’il éveille en eux. A travers l’inventivité et la diversité des situations dans ce cadre de huis-clos, le malfrat se fait juge, ange-gardien et mauvais génie de ses otages qu’il fustige ou dont il s’amuse du comportement, avant d’être scruté à son tour.

Tous les otages, par le compagnon qui les accompagne dans l’épreuve (mère, fille, mari, épouse, fiancée) ou par les perspectives envisagées en dehors de cet espace (le rêve d’ouvrir un restaurant de curry du vigile pakistanais) renvoient Sunny à sa solitude et à son absence de futur. Dès lors, il saborde presque volontairement sa possible fuite en réclamant à la police de lui envoyer sa fiancée afin qu’ils puissent partir ensemble. Le jeune Sai (excellent Tony Leung Chiu-wai) lui renvoie finalement un miroir juvénile, moins assuré mais tout aussi désespéré que lui. La solidarité créée dans le groupe semble défier ce désespoir et ce déterminisme, la vraie menace se trouvant à l’extérieur. La police se partage en effet entre une loi juste représentée par Chan (Tony Leung Kar-fai), cherchant à trouver une issue positive, et un versant haineux voulant juste se venger en abattant arbitrairement Sonny au détriment de la sécurité des otages. La tension est avant tout psychologique dans ce qui est finalement plus un drame qu’un polar. Derek Yee, par sa conclusion marquante, trouve un équilibre idéal entre nihilisme et espoir en cette société hongkongaise, voire en la nature humaine en son entier tant le récit parvient à quelque chose de plus universel.

Bonus :

Une présentation (15 mn) d’Arnaud Lanuque, spécialiste du cinéma hongkongais et habitué des éditions Spectrum. Il nous parle du parcours de Derek Yee, la prestigieuse lignée d’acteur de sa famille (il est notamment le demi-frère de David Chiang, superstar des films de Chang Cheh à la Shaw Brothers) qui l’amène à débuter dans cette voie avant de passer à la réalisation. Les thèmes récurrents de ses films et la manière dont ils imprègnent déjà People’s Hero sont évoqués en profondeur dans un ensemble concis et intéressant.

Un interview (27mn) du producteur John Shum qui évoque son ascension en tant que producteur dans le cinéma hongkongais des années 80. Débutant comme journaliste, il intègre la compagnie de Sammo Hung avant de fonder la société D&B, place importante du cinéma hongkongais des années 80. C’est très intéressant dans la description du marché local d’alors, les compagnies émergentes, les stars montantes et les genres en vogue. Sa manière de se démarquer sera de faire des films à cheval entre les exigences commerciales et des œuvres plus profondes, avec plus de substance comme les premières réalisations de Sylvia Chang, Derek Yee… Il évoque ensuite plus spécifiquement sa collaboration avec Derek Yee dont il loue le flair au casting, les qualités de scénariste et l’attention qu’il porte à la dramaturgie, parfois peut-être au détriment du visuel. Un module passionnant grâce à la franchise du producteur qui explique le processus difficile de création d’un film, l’équilibre entre aléas financiers et cheminement créatif et l’audace que demandent certains projets qu’il a pu mener à bien.

Justin Kwedi

People’s Hero de Derek Yee. Hong Kong. 1987. Disponible en Combo DVD/Blu-ray chez Spectrum Films en juillet 2021.

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