La reprise du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) a permis à ses fidèles spectateurs de découvrir la suite de la sélection. Parmi les films présentés, Moonlit Winter de Lim Dae-hyung. Avec ce voyage mélancolique et lumineux, l’auteur de Merry Christmas Mr. Mo confirme les belles promesses placées en lui.
Yoon-hee reçoit une lettre d’une personne qui fut son premier amour. Leurs vies semblent symétriques à bien des égards. Toutes deux sont dans une impasse, arrivées à la quarantaine, sans amour véritable. La fille de Yoon-hee, qui a lu la lettre, la pousse à faire avec elle un voyage au Japon, pays où réside le grand amour de sa mère.
En 2016, Lim Dae-hyun dévoilait son premier long-métrage, une formidable comédie douce-amère sur les retrouvailles d’un père et un fils autour de la réalisation d’un court-métrage. Sous des apparences modestes, Merry Christmas Mr. Mo regorgeait d’idées et imposait une sensibilité qui conférait au film un charme fou. Plus ambitieux dans sa forme et sa narration, le deuxième film du cinéaste est néanmoins traversé par la même douceur lancinante dont on aurait bien tort de sous-estimer la puissance émotionnelle. Présenté au FFCP dans la lignée d’une sélection centrée sur la jeunesse et la maternité dans la société coréenne, Moonlit Winter proposait un contrepoint enthousiasmant aux constats majoritairement âpres et désespérés. Tout aussi implacable dans son observation, le film n’est plus tendre qu’en apparence. Il s’est démarqué par la détermination obstinée de son auteur à voir dans la résilience des individus et la communication entre générations, sinon une solution, du moins un début de remède au mal-être rampant du monde.
Louer la simplicité de Moonlit Winter ne saurait rendre justice à la multitude de nuances de son excellent scénario et de la subtilité de sa mise en scène. Moonlit Winter est pourtant bien un film simple, dans le sens le plus noble du terme. Construit en trois actes, l’histoire se déroule et se dévoile avec fluidité, sans fioritures (à l’exception d’une musique parfois omniprésente) ni excès de pathos. Lim Dae-hyung démontre un instinct tout particulier à se retenir sur des scènes qui pourraient faire basculer le film dans des émotions trop démonstratives, tout en ménageant des petits moments « en creux » qui en disent bien davantage que des pages de dialogues. Le film est d’ailleurs assez économe en paroles, comme un écho au silence imposé à Yoon-hee et Jun dès l’adolescence, préférant faire s’exprimer les personnages par d’autres biais (la lentille de l’appareil photo, un gant rafistolé, une cigarette fumée à la va-vite ou encore une étreinte réconfortante). Le procédé épistolaire est alors d’autant plus judicieux qu’il confère ainsi une ampleur émotionnelle immense aux mots lorsque ceux-ci font irruption. Ceci participe à donner à Moonlit Winter, à la fois, une aura de mystère et un singulier sentiment d’intimité avec ses protagonistes. A l’instar de Sae-Bom qui découvre une force et une perspicacité insoupçonnée chez sa mère, tout est une question de perspective et le film navigue entre les points de vue avec beaucoup d’intelligence, un peu de malice et une profonde délicatesse.
De par son sujet, Moonlit Winter a nécessairement une certaine valeur politique dans une société encore très fermée à l’acceptation des minorités sexuelles. Grâce à une écriture exigeante et son approche très universelle d’un premier amour inoubliable, Lim Dae-hyung ne se laisse pas déborder par l’importance symbolique de son sujet. Ni la difficulté extrême du contexte social, ni les destins brisés par la mentalité dominante ne sont éludés, bien au contraire. Le film se confronte assez frontalement, à plusieurs reprises, aux stigmates de la situation dans des scènes qui montrent clairement le poids de la dissimulation et la honte inexplicable qui subsiste chez les deux femmes. Moonlit Winter préfère néanmoins se concentrer sur le moment de la reconstruction, le début d’une acceptation de soi-même et des souffrances du passé pour avancer, enfin. La magnifique photographie de Moon Myung-hwan (qui s’était également occupé du très beau noir et blanc de Merry Christmas Mr. Mo) contribue grandement à suggérer ce chemin vers la lumière, en passant des teintes blafardes de la ville au blanc quasi-irréel des paysages enneigés d’Otaru à un équilibre apaisé entre les deux.
La réussite de Moonlit Winter tient aussi, et surtout, grâce à la manière dont le film laisse chaque personnage exister et évoluer. Lim Dae-hyung soigne les relations qui se créent, se nouent ou se dénouent et les met en parallèle (la relation entre Jun et sa tante avec Yoon-hee et sa fille ; la tragique romance avortée de Jun et Yoon-hee avec la charmante romance naissante entre Sae-Bom et son petit ami). Le film offre alors de bien belles partitions à ses interprètes qui s’en acquittent superbement. Kim Hee-ae et Nakamura Yuko parviennent à exprimer toute la complexité des émotions de leurs personnages d’un seul regard ou d’un seul geste avec une aisance confondante, tandis que la jeune Kim So-hye donne à Sae-Bom une énergie assez irrésistible, complétée idéalement par la dévotion maladroite de Sung Yu-bin. De leurs côtés, Kino Hana et Yoo Jae-Myung tirent le meilleur de leurs apparitions, en initiant deux des plus belles scènes du film.
Moonlit Winter est de ces films discrets dont on ne comprend pas tout de suite la puissance, tant ses moments d’émotion nous prennent par surprise et nous restent en mémoire bien après la projection. En posant un regard résolument bienveillant et dénué de jugement, Lim Dae-hyun démontre une nouvelle fois une sensibilité passionnante et un regard bien plus moderne et radical qu’il n’y parait, dans son propos. Avec la plus grande élégance, le cinéaste nous donne un film qui fait confiance à ses personnages, et ses spectateurs, pour exprimer assez et comprendre beaucoup, sans trop en dire. Cela est de plus de plus rare et c’est bouleversant.
Claire Lalaut
Moonlit Winter de Lim Dae-hyung. Corée du Sud. 2019. Projeté dans le cadre du Festival du Film Coréen à Paris 2020 (reprise de juin 2021).