FFCP 2020 – Baseball Girl de Choi Yoon-tae : déclinaison de la phallocratie

Posté le 28 juin 2021 par

Le prolongement en juin 2021 de l’édition 2020 du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), stoppé en octobre pour cause de confinement, permet de profiter à nouveau de la sélection. Parmi les beaux films de ce début de réouverture, se présente Baseball Girl de Choi Yoon-tae, un nouveau metteur en scène qui s’attaque à la domination masculine dans le baseball coréen.

Joo Soo-in est lycéenne et cartonne en baseball depuis sa tendre enfance. Elle rêve de devenir une joueuse pro, et pour cela, elle n’a pas d’autre choix que d’intégrer une équipe masculine. Les élues sont rares, on reproche aux sportives féminines de ne pas montrer des indicateurs de lancers suffisamment bons et forts pour rivaliser avec les autres joueurs. Qu’à cela ne tienne, son entraîneur, d’abord dédaigneux vis-à-vis de son projet au point de l’exclure de l’équipe, lui propose de mettre au point la technique de la balle papillon, qui pourrait la mener bien loin.

Baseball Girl se subdivise en deux grands parties, deux grandes intentions et donc deux formes de stylisation cinématographique. Tout d’abord, Choi Yoon-tae entend développer un commentaire sur la phallocratie dans le milieu du baseball coréen, un système présenté comme injuste, car ce qui mine la carrière de Soo-in, c’est avant tout qu’on ne lui laisse même pas la chance de montrer ce qu’elle sait faire. Tout au plus, au début de l’intrigue, ses performances scolaires remarquées lui valent les faveurs du proviseur de son lycée, intéressé par la communication qu’engendre une joueuse atypique comme elle. Passée la facette créature de foire, rentrer dans le vif du sujet (les essais à destination d’intégrer une équipe pro) ne lui est possible qu’au prix d’efforts titanesques et même, de rébellion vis-à-vis de l’autorité, ses parents ou le système éducatif. Elle fait face à de nombreux clichés et moqueries. Loin d’un profond drame sur le rejet et la différence, Baseball Girl questionne son sujet d’un point de vue bien plus concret et civil. Le film met en exergue les difficultés auxquelles est confrontée le personnage de Lee Joo-young de manière progressive et didactique, pour apporter une meilleure fluidité au dénouement. Le commentaire sociétal prend une part importante de l’attention du spectateur, pendant le premier tiers du métrage et dans sa toute fin. Entre les deux sous-segments, Baseball Girl laisse la part belle à l’imagerie et la narration du sport. Un film focalisé uniquement du point de vue social aurait pu s’en passer, au prix d’une austérité de ton. Comme extasié, le réalisateur parvient à associer son propos précédemment développé avec les essais de Soo-in, le personnage étant désormais chargé d’une énergie revancharde pour montrer sa valeur. Cela se manifeste par quelques scènes d’entraînement ou d’essai de baseball magnifiquement ciselés, dans lesquelles la construction du personnage de Soo-in peut s’appuyer sur la narration alors développée. Lorsque le coach pro voit les trois strikes qu’elle inflige au joueur junior lors de l’essai, il décide de lui opposer directement un joueur pro senior – dont la nonchalance ne cache aucunement son talent, mais est plutôt symptomatique d’une situation absconse pour tout le monde. Dans ces séquences sportives, la tension apparaît et l’on se prend à vibrer comme lors d’un match. On ajoute à cela quelques effets de mise en scène audacieux pour styliser l’imagerie du sport, un procédé bienvenu, bien qu’encore timide pour s’imprimer dans les esprits des spectateurs.

Par cette association d’un commentaire sur un sujet de société et de séquences de tension sportive (donc dramatique), Choi accouche d’un film intelligent, tant dans ses qualités intrinsèques que le débat qu’il pourrait ouvrir. Le réalisateur s’est inspiré de l’interview d’une femme joueuse de baseball en Corée qui a été contrainte d’abandonner. Il existe des structures internationales pour le baseball féminin – auxquelles la Corée participe – mais ces compétitions semblent reléguées au troisième plan médiatique. La situation géographique et culturelle de la Corée lui permet de faire intégrer des joueurs au Japon, pays du baseball, et par rebond, aux États-Unis. La non-mixité dans le sport coréen est un sujet spécifique et il est heureux que certains films ne se cantonnent plus à développer des thèmes généraux tels que la communication avec les autres ou la condition de l’homme. Toucher à un sujet aussi précis, c’est apposer un point dans le temps. Cela n’empêche nullement Baseball Girl de laisser apparaître une palanquée de personnages fouillés et sympathiques, à commencer Soo-in, magnifiquement campée par une Lee Joo-young qui nous fait ressentir sa jeunesse, sa détermination et sa fermeté. La famille de Soo-in est décrite par petites touches avec beaucoup de précisions, et le cadre familial parvient à rendre aisément l’environnement de Soo-in, là où elle peut trouver ses appuis et ses freins. Moins développé que Soo-in, son coach au lycée, qui passe du macho pragmatique au soutien inconditionnel, n’a pas non plus besoin d’emphase extrême sur son passé et ses démons pour donner le ton juste. En somme, Baseball Girl est un récit subtil sur un sujet précis, qui n’oublie pas que le cinéma, comme le sport, est affaire de divertissement pour ceux qui y assistent. Le choix de ce sujet de lutte féministe dans le milieu sportif est parfaitement intéressant, et il est peu exploré dans la fiction. La thématique de Baseball Girl est une déclinaison des réflexions autour de la phallocratie.

Maxime Bauer.

Baseball Girl de Choi Yoon-tae. Corée du Sud. 2020. Projeté dans le cadre du Festival du Film à Paris 2020 (reprise de juin 2021).