Sélectionné dans plusieurs festivals en 2020, Balloon de Pema Tseden voit enfin la lumière. On peut s’émerveiller devant ce nouveau film, en salles dès aujourd’hui.
Dans les années 1990 vit une famille paysanne dans un village reculé du Tibet. Sous l’autorité de la Chine, la province connaît une politique de contrôle des naissances rigoureuses. L’homme de la famille et sa femme ont déjà trois enfants, un ainé et deux jumeaux cadets. Ces derniers ne peuvent s’empêcher de dérober et jouer avec les préservatifs de leurs parents, le seul moyen de contraception accessible et alors que le mari déborde de concupiscence. En parallèle, la sœur de l’épouse, devenue nonne suite à un échec amoureux, fait une rencontre bouleversante.
Alors que Tharlo, dernière œuvre remarquée de Pema Tseden, abordait avec gravité, dans un noir et blanc maussade, la vie tragique d’un berger qui a trop vécu en dehors de la modernité pour s’intégrer en société, Balloon explore des horizons différents. Cette famille dont il est question, comporte sept membres, en comptant la sœur de l’épouse et le grand-père non mentionné ci-dessus. À travers eux, Pema Tseden met en scène des enjeux de toutes natures, de manière parfaitement logique et cohérente, que ce soit la politique familiale de l’administration chinoise, l’émancipation de la femme, les habitudes sexuelles des hommes, et le poids des traditions par son membre le plus ancien. Il s’agit d’un vaste programme que le réalisateur prend à bras le corps et en utilisant aussi bien des registres dramatiques que comiques.
Bien différent de So Long, My Son de Wang Xiaoshuai, le sujet de la politique de contrôle des naissances (dont les amendes commenceraient au bout d’un quatrième enfant au Tibet) est au centre des autres, qui s’articulent autour de lui. Le désir sexuel génère un risque de grossesse et couplé à certaines idées religieuses, telle la réincarnation d’un aïeul au sein de la famille, la femme tibétaine entre en plein questionnement. Doit-elle accepter la grossesse dans un objectif de piété filiale ? Doit-elle avorter pour la survie financière de sa famille ? Ne doit-elle pas tout simplement avorter car c’est son choix de femme ? Pema Tseden est un homme et on sent une certaine subtilité dans le propos ; l’épouse n’est pas l’héroïne du film, c’est la famille qui est au centre. Tseden ne prétend pas que le choix est évident, compte tenu des croyances qui ne peuvent qu’influencer ces personnages au vu de leur environnement culturel. Il finit tout de même, par un long cheminement, à trancher le sujet, d’une manière aussi élégante que salvatrice. Ce choix affirmé du protagoniste a toutefois des conséquences malheureuses, et la dramaturgie du récit reprend le dessus. C’est le cinéma dans sa meilleure partie : des sujets divers, riches et connectés, mis en scène dans une narration claire et franche, nuancé lorsque cela est nécessaire seulement. C’est cette qualité que Balloon possède totalement et doit nous alerter sur le fait que Pema Tseden est en train de devenir un cinéaste asiatique incontournable.
Au-delà de cette intention amenée de la meilleure manière, Balloon dispose également d’autres points positifs non négligeables. La colorimétrie de son décor tibétain est merveilleuse, adoptant une teinte gris-bleu et une pointe de rouge pour la tenue de l’épouse, et la magnifique kesa (tenue bouddhiste) de sa sœur nonne, qui lorsque le personnage apparaît avec son couvre-chef, crève totalement l’écran. Pema Tseden n’oublie pas non plus que le cinéma est art visuel et malgré une intrigue très sociologique, il dote son film d’une image et d’une photographie uniques. Enfin, Balloon, lors de ses incursions comiques, est vraiment drôle. L’œuvre se rit d’une certaine masculinité, comme pour se moquer, presque tendrement, de l’épaisseur des hommes et des petits garçons. Son grotesque n’est jamais vulgaire et propose même une scène mémorable de bagarre, avec en caméo l’acteur qui incarnait Tharlo dans son précédent film.
À travers les registres et les thèmes, Pema Tseden nous offre un film complet, parfaitement abouti. Cette fenêtre qu’il ouvre sur la société tibétaine est très prometteuse et il est heureux que des films de cette région, pour le moment rarissimes chez nous, parviennent dans nos contrées.
Maxime Bauer.
Balloon de Pema Tseden. Chine. 2019. En salles le 26/05/2021