NETFLIX – Homunculus de Shimizu Takashi

Posté le 3 mai 2021 par

Moins d’un an après la sortie de Inunaki : Le Village oublié, Shimizu Takashi présente son nouveau long-métrage Homunculus, sur Netflix, adapté du manga éponyme de l’auteur culte Yamamoto Hideo (Ichi the Killer).

La moitié du film Homunculus est une adaptation relativement fidèle du manga. Nous retrouvons donc le personnage de Nakoshi (interprété par le charismatique Ayano Go, qui s’est déjà illustré dans Helter Skelter ou les deux volets de Shinjuku Swan), un SDF incapable de ressentir des émotions vivant dans sa voiture après avoir renoncé à son travail de banquier. Nakoshi se fait démarcher par Ito (Narita Ryo), fils de chirurgien, qui cherche des cobayes humains pour ses expériences. Ito souhaite en effet effectuer une trépanation sur Nakoshi pour observer si celui-ci développe des facultés hors-normes. Le pari réussit et Nakoshi est désormais en capacité de voir les humains qui l’entourent sous une forme qui représente leurs angoisses secrètes et traumatismes, ce que Ito appelle les fameux homoncules.

Le visuel de Homunculus est la grande force de cette adaptation. Si la diversité des formes des homoncules présente dans le manga laissait craindre une difficulté de transposition, il n’en est rien. En prime d’être très fidèles aux dessins de Yamamoto, les designs des créatures mi monstres-mi humaines sont crédibles et travaillés. De même, certains effets de réalisation sont très engageants et sympathiques comme la vue de l’opération de trépanation depuis l’intérieur de la tête de Nakoshi, à laquelle fait écho la scène d’éclipse solaire.

Néanmoins, sur le plan scénaristique, Homunculus peine davantage à rendre hommage à l’œuvre de Yamamoto. Il est bien évidemment ardu de rendre compte de 15 tomes (très denses) de manga en 2h mais les choix de coupes sont assez surprenants. Le film élude beaucoup de passages explicatifs ou réflexifs sur les personnages, ce qui rend d’abord l’œuvre assez confuse, puis trop explicite et superficielle quand arrive le temps des révélations. Homunculus donne ainsi l’impression de s’adresser uniquement aux lecteurs du manga qui auraient gardé les éléments importants en tête. Ce parti pris est assez regrettable, en prime d’être risqué puisque la fin du film est bien différente de celle de Yamamoto, ce qui constitue un potentiel écueil lorsqu’on s’adresse à un public déjà constitué.

Là réside d’ailleurs tout le problème du film Homunculus. L’œuvre de Yamamoto est réputée pour être sombre et nihiliste. Son Nakoshi semble même être un condensé du contenu de ses œuvres. Le Nakoshi du manga est misanthrope, déviant et dépressif au dernier degré. Le manga montre alors sa descente progressive aux enfers pour aboutir à la conclusion que l’une de ses principales tares est son égocentrisme qui le fait projeter sur les autres ses propres défauts. Nakoshi finit d’ailleurs piégé dans un monde où les humains autour de lui arborent tous son visage, après avoir tué sa petite-amie Nanako en cherchant à la trépaner juste pour qu’elle voit son homoncule. Dans le film, même si on a un peu accès à cette notion d’égocentrisme et de projection dans une confrontation finale entre Ito et Nakoshi, la scène n’a malheureusement pas le même impact que la conclusion de Yamamoto. Shimizu évacue la relation destructrice avec Nanako qui ouvre les yeux à Nakoshi sur ses démons. Il la remplace par une histoire amoureuse avec une femme responsable de la mort de Nanako dans un accident de voiture. Celle-ci étant d’une apparence assez semblable à Nanako, Nakoshi se persuade qu’il s’agit de Nanako. La projection de Nakoshi, qui est certain que cette femme est Nanako, pourrait prendre de l’intérêt au vu des thématiques sur l’égocentrisme et le transfert mais celles-ci sont traitées si rapidement que  les émotions peinent à suivre. De même, l’accident en question passe malheureusement pour une solution de facilité pour créer une « tragic backstory » à Nakoshi.

Quant au personnage de Nakoshi lui-même, Shimizu se tire une balle dans le pied en décidant de transformer un homme profondément auto-destructeur en quasi-héros. Lorsque Miike Takashi, en adaptant Ichi the Killer du même mangaka décidait de transformer le personnage de Ichi, cela faisait sens. Miike décidait de caractériser Ichi comme un otaku instable au lieu de représenter une césure le faisant passer de gentil garçon à tueur comme chez Yamamoto. Ce faisant, il exprimait alors que la bascule dans la violence de Ichi était entièrement prévisible et non pas le fruit de contingences extérieures. Ici, Shimizu réalise l’inverse de Miike en assagissant le personnage de Nakoshi et en le rendant plus sympathique. Il choisit même de changer la dépression de Nakoshi qui est désormais causée par une amnésie suite à son accident, qui provoque alors un manque de sensations et de sentiments. Or, en montrant ainsi Nakoshi comme un personnage moins ambivalent que dans le manga, des scènes entières prennent une tournure assez dérangeante. On pense notamment à la scène d’agression sexuelle où Nakoshi force une lycéenne à coucher avec lui pour lui « apprendre à se rebeller contre ses parents abusifs » qui refusent qu’elle ait des relations sexuelles. Là où dans le manga, cette scène montre les sommets que peuvent atteindre la cruauté de Nakoshi et la déshumanisation qu’il fait subir aux autres, dans le film nous ne pouvons que ressentir de la confusion et de la gêne en se demandant où Shimizu a voulu en venir.

Homunculus n’est donc regrettablement pas à la hauteur de ses ambitions. Si le film nous transporte très adroitement dans une esthétique réussie et fidèle au manga, le script ne suit pas, malgré les efforts des acteurs pour donner davantage de profondeur à leurs actions et personnages.

Elie Gardel.

Homunculus de Shimizu Takashi. Japon. 2021. Disponible sur Netflix le 22/04/2021.

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