Mk2 Curiosity – Madadayo de Kurosawa Akira

Posté le 8 avril 2021 par

En 1993 sortait dans les salles japonaises le chant du cygne de l’un des plus éminents cinéastes que l’île ait jamais connue. Madadayo, réalisé par Kurosawa Akira, est disponible gratuitement sur la plateforme Mk2 Curiosity pendant 7 jours à compter d’aujourd’hui.

Les élèves d’un vieux professeur d’allemand, Uchida, organisent chaque année un banquet en son honneur depuis son départ à la retraite en 1943. La cérémonie traverse les âges, la guerre et les changements sociétaux, mais jamais ne disparaît.

Affiches designées par Kurosawa Akira lui-même et Tony Stella.

Le cinéma de Kurosawa Akira a toujours flirté avec la littérature et le théâtre, desquels il a su puiser la finalité esthétique pour alimenter ses formes, des grandes adaptations shakespeariennes qu’on lui connaît à Dostoïevski en passant par les nouvelles, romans et arts scéniques japonais. Théâtral et romanesque sont, à raison, des aspects souvent associés aux exercices de style de Kurosawa, preuve que l’intermédialité est au cœur de ses préoccupations cinématographiques. Nul n’oserait avancer en tout état de cause qu’il est surprenant que le dernier film du réalisateur soit un hommage à l’écrivain qu’il admirait, Uchida Hyakken. Mais Madadayo n’est pas une transposition de ses textes sur grand écran, c’est la figure même du romancier qui se retrouve en la personnalité de ce vieux mentor adulé par ses élèves. L’année de son départ à la retraite, 1943, n’est certainement pas le fruit du hasard et c’est précisément celle de la sortie du premier film de Kurosawa, La Légende du grand judo.

S’il n’est pas non plus une autobiographie romancée, Madadayo semble fictivement retracer le parcours du cinéaste japonais, et rien ne pouvait mieux le symboliser qu’un vieux professeur bravant les époques au côté de ses disciples, élèves et amis. Au rythme de l’alcool et de la joie de vivre, envers et contre tous, rien ni personne ne peut entraver la cérémonie annuelle de retrouvailles et le rituel qui en découle. « Maadakai » demandent les élèves, littéralement « êtes-vous prêts » (à nous quitter), ce à quoi le professeur interprété par Matsumura Tatsuo répond « Madadayo » (pas encore) en scandant à tue-tête. On sait la présence d’un sensei importante pour Kurosawa, lui qui revendique ses influences et nous a offert parmi les plus beaux rôles du genre, Mifune en vieux docteur dans Barberousse (1965) ou Okochi Denjiro pour le professeur Yagihara dans Je ne regrette rien de ma jeunesse (1946). C’est en ce sens que Madadayo sonne comme l’aboutissement du démiurge qu’il était, en dépit de ses projets abandonnés avant sa mort.

L’humanisme de Kurosawa transparaît de toute part dans cette nouvelle et dernière chronique, comme un ultime chant d’espoir au diapason de la vieillesse. Ivres de bière et des belles années vécues, tous célèbrent l’instant présent, même le plus dur, avec une joie candide et contagieuse. Laissés sans abri par la guerre, le professeur et sa femme, interprétée par la courageuse et rayonnante Kagawa Kyoko, ne se démontent pas, et aménagent une petite bicoque de fortune où les élèves ne manquent pour autant jamais à l’appel. Ce format tout en fresque au fil des saisons est aussi l’occasion pour le metteur en scène de porter un regard sur la société japonaise d’après-guerre, que l’on devine tourmentée et en phase de révolution culturelle. Mélancolique, Madadayo l’est parfois, nostalgie oblige et la sénilité guettant le vieil homme. Voir la vie du sensei s’écrouler lorsqu’il perd son chat aurait tout du ressort comique, mais il n’en est rien, car tous répondent à sa détresse et accourent pour le consoler.

Kurosawa fleurit sa fable de belles images en couleurs comme il avait alors l’habitude de les maîtriser, mais fort d’une approche beaucoup plus sobre, paisible et méditative que dans ses précédents essais stylistiques. Il incombe à la transmission du savoir que le film dépeint de s’assagir, de faire preuve d’humilité et par-dessus tout de générosité. « Même si vous n’enseignez plus, vous êtes et resterez un sensei » confient les élèves en lesquels chacun des enfants et admirateurs de Kurosawa peuvent désormais s’identifier. C’est avec Vivre, ou Ikiru (1952), que Madadayo s’associe le mieux, le professeur Watanabe interprété par Shimura Takashi refusant d’embrasser la mort avant de transmettre un héritage aux vivants. Ce sont de biens réjouissants adieux que A.K nous faits, cathartiques peut-être, testamentaires sûrement, mais jamais dans les larmes car l’ombre du guerrier veille et veillera pour toujours sur le 7e art.

Madadayo est en quelque sorte le film de la sérénité, de la modération, bien loin des batailles épiques, des drames torturés ou des balades oniriques qui sillonnent les sommets de la carrière de Kurosawa Akira. Il n’est néanmoins pas incohérent, tout ce cinéma grandiose l’habite et Madadayo n’a pu voir le jour que parce qu’il y a un avant, face à l’incertitude de l’après. Un ultime chef-d’œuvre selon certains, lettre d’adieu décevante et timide selon d’autres, Madadayo fait couler l’encre mais restera dans les esprits comme la page d’un grand livre que l’on referme, rêveur, avec le sourire aux lèvres. A déguster gratuitement sur Mk2 Curiosity pendant 7 jours le 08/04/2021.

Richard Guerry.

Madadayo de Kurosawa Akira. Japon. 1993. Disponible sur Mk2 Curiosity jusqu’au 15/04/2021

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