Stunt Woman

VIDEO – Stunt Woman d’Ann Hui : La femme qui tombe à pic

Posté le 22 mars 2021 par

Stunt Woman est une œuvre assez méconnue dans la filmographie d’Ann Hui. Elle nous offre une plongée quasi documentaire dans le milieu des cascadeurs de Hong Kong tout en dressant un touchant portrait de sa star Michelle Yeoh, qui révèle là des talents dramatiques insoupçonnés.

Kam est une femme qui devient cascadeuse au cinéma sous les ordres de Tung. Elle se rend compte que ce milieu est infiltré par les triades.

Après son magnifique et personnel Song for the Exile (1990), Ann Hui va s’essayer à d’autres genres plus « commerciaux » comme le thriller Zodiac Killers (1991) ou encore Swordsman (1990), film de sabre à la production chaotique puisque coréalisé par Ching Siu-tung, un King Hu sur le déclin, Andrew Kam et Tsui Hark en producteur omnipotent. Ce dernier film est cependant l’occasion pour Ann Hui de se frotter au film martial, elle qui ne cacha justement jamais son admiration pour le genre et plus particulièrement King Hu (dont on dit qu’elle fut l’assistante sur A Touch of Zen (1974), à vérifier). Cela va la conduire tout naturellement au curieux objet qu’est Stunt Woman. Le film est une sorte de La Nuit américaine dans le milieu des cascadeurs de Hong Kong, mais aussi un vrai portrait de sa star Michelle Yeoh.


Le film nous dépeint l’arrivée de Kam (Michelle Yeoh) jeune cascadeuse, dans l’équipe de Tunng (Sammo Hung) chorégraphe d’action. Toute la première partie fleure bon le semi-documentaire tant le mimétisme entre la fiction et la réalité du cinéma de Hong Kong se ressent. Le film que tourne l’équipe dans la scène d’ouverture ressemble à Wing Chun (1994) dont Michelle Yeoh fut la star. Sammo Hung joue un rôle correspondant à une fonction qu’il exerce régulièrement (sur ses films et ceux des autres) et dont l’assurance et l’autorité naturelle transparaissent. Ann Hui entremêle avec fluidité la difficulté d’une production mais aussi de la vie de ses petites mains dont on fait la connaissance le temps d’un brillant plan-séquence en ouverture. La précarité et l’urgence se ressentent ainsi dans le quotidien harassant de Kam, dont la vie alterne entre tournages et retour épuisée dans la chambre minuscule qu’elle partage en colocation. On ressent le regard féminin d’Ann Hui quand elle aborde les éléments très intimes que l’on doit surmonter dans ce contexte comme les difficultés mais aussi l’abnégation de Kam à réaliser une cascade en patin alors qu’elle a ses règles. Le style documentaire vu dans les meilleurs films de la réalisatrice fonctionne donc bien dans l’élaboration des cascades, la tension au moment de la réaliser et malgré tout parfois une dimension concurrentielle qui peut surgir dans l’action.

Stunt Woman
On retrouve aussi des éléments biographiques de la vraie vie de Michelle Yeoh. Elle débuta comme simple actrice avant de se passionner pour le monde des cascadeurs en rencontrant Sammo Hung sur un tournage et se forma aux disciplines martiales pour lesquelles sa formation de danseuse lui donnait des prédispositions. Lors d’une jolie scène de confession, elle dévoile de vieilles photos de ses débuts et à nouveau la réalité se distingue difficilement de la fiction. Michelle Yeoh mit durant cinq ans sa carrière entre parenthèse lorsqu’elle épousa son pygmalion, le producteur Dickson Poon, puis divorça pour reprendre sa passion. On a également une péripétie de ce type dans le film lorsque Kam est séduite par un riche entrepreneur et devient employée dans une de ses entreprises. C’est aussi une des facettes du cinéma hongkongais où souvent les plus grandes stars féminines se retirèrent du métier après leur mariage (l’exemple le plus connu étant Lin Ching Hsia), souvent avec une personnalité riche. Ann Hui révèle ainsi en filigrane que le retrait de Kam repose sur un sentiment sincère autant que par une volonté d’échapper à sa condition. Mais quand par son courage et ses capacités elle aura réussi à faire disparaître la barrière des sexes (la rudesse de Tunng à son égard devant plutôt être vue comme une marque de respect et d’affection en ne faisant aucune différence avec ses collègues masculins), le machisme ordinaire ressurgit de la part de son compagnon et son entourage dans sa nouvelle vie.

Stunt Woman

Le monde des cascadeurs constitue finalement sa vraie famille d’adoption et Tunng, malgré son caractère explosif, est un vrai mentor et père spirituel pour l’équipe. La réalité rattrapera une dernière fois la fiction lorsque Michelle Yeoh se blessera grièvement en réalisant une des cascades les plus folles du film. La coupe suspecte entre le saut et l’atterrissage le laisse deviner pendant le film puis le générique de fin, façon Jackie Chan nous montre l’incident. Cela affectera la fin du tournage avec un script réécrit et une dernière partie plus bancale. Ann Hui avait courageusement abordé en début de film un autre sujet épineux avec la participation des triades à l’industrie cinématographique hongkongaise, lorsqu’un producteur mafieux tabasse un réalisateur en retard sur le planning. Cet aspect est un peu bâclé dans une conclusion expédiant sa trame policière, même si l’émotion fonctionne, notamment dans la relation entre Kam et Long, le fils de Tunng. La grande découverte du film est en tout cas le potentiel dramatique de Michelle Yeoh. Ses compétences martiales et son caractère kamikaze ne sont plus à prouver (la saga Le Sens du devoir en tête) mais là, c’est une vraie révélation en femme sensible, discrète mais au caractère bien trempé (jouissive scène où elle sort de ses gonds et corrige brutalement deux voyous). Cela amorce la transition vers ses futures grandes prestations moins portées sur l’action (The Soong Sisters (1998), Tigre et Dragon (2000)). Très bel opus assez méconnu d’Ann Hui.

Justin Kwedi

Stunt Woman d’Ann Hui. Hong Kong. 1996