FFCP 2020 – Not in this World de Park Jung-bum : le bon en nous, quelque part dans le noir

Posté le 10 juillet 2021 par

Quatrième long-métrage de Park Jung-bum, un réalisateur remarqué dans les festivals dès 2010 pour The Journals of Musan, Not in this World est le tour de force de ce Festival du Film Coréen à Paris 15ème édition. Dans son décor d’été et de montagnes, le film de Park cherche les faisceaux lumineux partout dans une gigantesque mer de ténèbres.

Ji-soo travaille dans la petite usine de son père, un commerce fragile. Ce qu’elle aime, c’est rapper en public, même si son père s’en fiche éperdument et préfèrerait qu’elle s’échine plus comme ouvrière. Un midi, alors qu’elle chante, elle donne un fruit à Jung-cheol, un homme qui vient toujours l’écouter. Il prendce geste d’affection avec beaucoup de bonheur. Ce dernier, qui vit reclus dans la montagne, voit son père mort le guider vers une spiritualité positive, portée sur l’attention envers les autres. Alors qu’une grande dispute éclate entre Ji-soo et son père, la jeune fille part, définitivement. Elle rejoint le monde de la nuit… à la montagne.

Park Jung-bum, scénariste et réalisateur à la fois, accouche d’un film-monde profondément marqué par le spectre de la sidération et de la tristesse, celle pour la jeunesse coréenne de n’avoir aucune autre issue que celle de s’avilir, à l’écart d’un monde comme il faut. Dans Not in this World, le seul parent emprunt de bienveillance envers son enfant, et envers les autres en général, est un fantôme. Les autres, à l’image du père de Ji-soo, sont des corps à moitié morts, démolis par une structure économique qui a fait s’envoler leurs maigres désirs autant que leur capacité à aimer. Les enfants sans amour sont alors voués à devenir des monstres. Lentement, le récit se construit autour de ce postulat glaçant, déjà exploité dans le passé, mais avec ici une minutie inédite dans le verrouillage des psychologies, questionnant constamment le spectateur sur la capacité du retour à l’humanité pour les personnages. Le protagoniste pivot est bien sûr Jung-cheol, animé d’une philanthropie sans égal, tellement originale pour le commun des mortels qu’il se contente d’aimer de loin, en observant la population. La détresse de Ji-soo le pousse cette fois à essayer de faire quelque chose, car ce à quoi nous assistons est insupportable.

Jung-cheol est un homme mûr – la quarantaine, otaku invétéré si l’on en croit les nombreuses figurines de One Piece et consorts qui peuplent son habitat, et dont la manière de vivre à de quoi choquer si le spectateur n’était pas assuré de la bonté de son âme, puisqu’en effet, pour cultiver sa philanthropie, il observe de loin les gens, parfois chez eux. À plusieurs reprises, il sera traité de stalker, un terme lourd de sens, complètement faux pour sa personne et dont il a bien du mal à se défendre. La narration de Park Jung-bum se présente comme un gigantesque élastique que l’on tire avec force, et dont on se demande, le long des presque trois heures du métrage, s’il ne va céder. Jung-cheol n’a aucun allié physique pour influer sur le monde. Il ne peut que constater la noyade de ces jeunes gens dans l’obscurité de ce campement aménagé en gigantesque maison de passe. Les sentiments exacerbés des jeunes qui le peuplent semblent pouvoir exploser violemment à tout moment.

Ji-soo est le personnage qui évolue le plus. Au début du film, lorsqu’elle chante, elle rayonne. Lorsqu’elle subit les injonctions de son père, elle est encore comme une enfant qu’on traite injustement. La bascule qui s’effectue par la suite la montre d’un coup sec impassible, autoritaire, malsaine même. Le personnage du garçon qu’elle aime influe sur son écriture habilement, puisqu’elle est d’abord résignée à abandonner son amour sans retour, pour le voir ressurgir d’autant plus fort par la suite.

L’émotivité défaillante des personnages, dans l’impassibilité de l’intériorisation tout comme dans les sursauts de violence ou de bonté, se mêlent à un enchaînement scénaristique rugueux, se terminant sur un couloir bardé d’effets de suspense et aux sensations d’une nuit glaciale en forêt. Park Jung-bum cherche-t-il à apposer de son sceau une quelconque morale protestante ? Ne cherche-t-il pas plutôt, plus simplement, à éveiller le bon en ses personnages face à un enfer structurel ? S’ils s’en sortent, c’est au prix d’efforts physiques et moraux colossaux. Not in this World secoue le spectateur, malmené autant que les protagonistes, et à la manière d’un Lee Chang-dong, le film hante. La rugosité de la narration laisse apparaître les coutures de l’œuvre, les doutes scénaristiques de son auteur, mais ce n’est pas plus mal. Il ne peut y avoir une propreté absolue dans un décor aussi sale, et montrer de la philanthropie dans un tel environnement est au crédit du metteur en scène. Cela la rend d’autant plus impressionnante.

Maxime Bauer.

Not in this World de Park Jung-bum. Corée du Sud. 2019. Projeté dans le cadre du Festival du Film à Paris 2020 (reprise de juin 2021).

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