Le TFAI Taiwan Film and Audiovisual Institute (TFAI) a gracieusement permis aux internautes d’avoir accès, sur la plateforme Vimeo, à des films bis taïwanais des années 70 et 80. Retour sur Lady Avenger, l’une des propositions de cette rétrospective, un film de rape and revenge réalisé par Yang Chia-Yun en 1981.
Chu (interprétée par Tsui Siu Ling que nous pouvons retrouver dans le magnifique Butterfly Murders de Tsui Hark), une actrice de publicité, quitte un tournage situé à la campagne après une dispute avec le réalisateur. Afin de rejoindre la ville, elle se fait prendre en stop par un riche héritier qui en profite pour l’agresser sexuellement sur le trajet. Elle décide de porter plainte et l’affaire prend des proportions telles que les journalistes cherchent tous à couvrir l’histoire. Une reporter, Hsu (Lu Hsiao-fen, habituée des films bis taïwanais des années 80), la seule à croire à la version des faits de Chu, cherche par tous les moyens à en savoir plus et à sensibiliser les citoyens au sujet du viol. Pendant ses recherches, elle se fait elle-même agresser et décide alors de se venger et de venger Chu.
L’histoire pourrait paraître assez typique du rape and revenge, genre qui mobilise des éléments de scénario très codés. Néanmoins, sûrement parce qu’écrit par une femme, Lady Avenger évite beaucoup d’écueils souvent décriés par les détracteurs du rape and revenge. Le viol et la volonté de vengeance de Hsu ne sont pas seulement des outils de scénario pour laisser place à des scènes violentes : ils sont le cœur entier du film. En démarrant par la procédure juridique autour de l’agression de Chu, le film assume un parti-pris extrêmement politique. Chu espère obtenir gain de cause : elle ne reçoit que du doute, un manque évident d’empathie et même de l’animosité de la part du tribunal, comme de celle du public. On reproche à Chu d’avoir joué dans des publicités émoustillantes, de vouloir relancer sa carrière en se mettant sous le feu des projecteurs, de ne pas avoir assumé une aventure d’un soir, etc. Enfin, le procès est perdu et Chu se suicide. Que reste-t-il alors comme options pour Hsu, victime à son tour, quand elle a pu observer toutes ces conséquences de près ? Lors d’une scène assez saisissante, Hsu, après son agression, se dirige immédiatement vers un commissariat. Soudain, devant la porte, elle s’immobilise et des images du procès de Chu en flashback l’assaillent pour lui rappeler l’issue inévitable qu’elle devra affronter. Le film évacue la possibilité de faire recours à la violence mais il ne cède pas à une solution souvent reprochée au rape and revenge, à savoir : faire triompher le virilisme. Les actions de Hsu, lorsqu’elle décide de prendre le problème en main et de tuer ses agresseurs, ont également des retombées énormes sur elle. La justice qui a abandonné Chu se tourne désormais contre Hsu qui devient la cible des agents de la police. La fin, extrêmement amère, donne la sentence : Hsu est condamnée à passer sa vie entière en prison. Le seul homme qui lui restait à tuer, lui, demeure libre.
Si le film ne propose alors aucune solution, il n’est certainement pas vain parce qu’il soulève des questions bien trop familières encore aujourd’hui aux victimes de violence et permet d’évacuer les idées reçues que l’on voudrait leur opposer. Porter plainte, certes, mais pour quelles retombées ? Ne pas se laisser faire ? Certes, mais comment ? Le film s’attaque également aux idées reçues sur les profils types d’agresseurs et de victimes. On peut constater, par exemple, que l’image de femme facile qui colle à la peau de Chu et l’empêche de recevoir du soutien a été construite par les hommes qui gravitent autour d’elle. Lors de la première scène du film, le réalisateur reproche à Chu de ne pas être assez sexy alors qu’elle doit jouer une femme touchée par balle qui rampe à terre. Le fiancé de Hsu la rassure en disant qu’elle, contrairement à Chu qu’il juge aguicheuse et sans pudeur, ne risque pas de se faire violer, parce qu’il s’agit d’une femme « normale ». Pourtant, comme le film le montre, sa féminité « acceptable » ne la met pas à l’abri. De même, si les hommes qui agressent Hsu sont des ouvriers, le violeur de Chu est un mécène millionnaire. Le film montre alors une finesse d’analyse en approfondissant, à la manière de son héroïne, tous les rapports de force qui mènent aux agressions ainsi qu’à leurs conséquences. De même, il est très sympathique de constater que le film n’isole pas les violeurs du reste de la société puisque l’on peut observer comment le reste des personnages masculins contribue à chercher des excuses à l’agresseur ou bien à retourner la faute sur la victime. En effet, durant plusieurs scènes, Hsu et son fiancé débattent de l’histoire de Chu et celui-ci se range systématiquement du côté de l’agresseur à coup d’arguments visant à décrédibiliser Chu. Lorsque qu’une agression semblable arrive à sa fiancée, il la laisse pourtant tomber par peur de devoir partager ce fardeau avec elle, alors même qu’elle ne possède aucun des défauts qu’il prêtait à Chu et qui auraient, selon lui, expliqué son agression. De même, Hsu, qui recevait des éloges de son patron pour la qualité de ses articles, se fait rabrouer par celui-ci lorsqu’elle tente de faire paraître ses écrits sur le viol de Chu qui mettent en cause son agresseur, le violeur en question étant l’une des sources financières du magazine dont elle est reporter.
On regrette que le film n’ai pas été restauré parce que la qualité d’image n’est pas au rendez-vous, mais histoire mis à part, Lady Avenger est également extrêmement intéressant sur le plan plastique. Le visuel est très soigné, notamment avec des références à Kubrick lors de la scène d’agression de Hsu qui évoque Orange mécanique et celle de son combat avec le millionnaire qui cite directement Shining. La musique est également un régal absolu pour quiconque est adepte de synthétiseur et de pop asiatique des années 80. Bref, Lady Avenger est une pépite féministe qui soulève des problématiques encore très (trop) actuelles : un film à ne pas manquer pour les amateurs de cinéma bis.
Elie Gardel
Lady Avenger de Yang Chia-Yun. Taiwan. 1981.