KINOTAYO 2020 – Forgiven Children de Naito Eisuke

Posté le 5 décembre 2020 par

La nouvelle édition du Festival Kinotayo est forcément différente, mais pas moins riche. Vous pourrez découvrir quelques inédits sur FilmoTV dont Forgiven Children de Naito Eisuke, le réalisateur de Liverleaf et de l’adaptation en live action du manga ero guro culte Litchi Hikari Club.

 

Les spectateurs habitués de Naito ne seront pas surpris en découvrant le synopsis de son nouveau film. Nous retrouvons dans Forgiven Children les thématiques emblématiques du travail de Naito déjà bien présentes dès son premier film Let’s Make the Teacher Have a Miscarriage Club aka l’adolescence et le harcèlement scolaire. Forgiven Children met en scène un jeune adolescent, Kira (Abe Takuya, impeccable dans ce qui constitue pourtant son premier rôle au cinéma) qui, en harcelant un de ses camarades de classe, le tue avec une arbalète artisanale réalisée à l’aide de baguettes. Kira échappe à la condamnation grâce à sa mère convaincue de son innocence, et qui lui offre un alibi ainsi que grâce à son avocate qui réussit à prouver que le meurtre aurait tout aussi bien pu être un banal accident. Néanmoins, la descente aux enfers de Kira est déjà bien entamée puisque des internautes prennent le relai de la justice et réussissent à trouver son nom et son adresse. Dès lors, Kira doit vivre en exil dans une nouvelle ville sous une nouvelle identité pour tenter d’échapper aux menaces et aux attaques qui le ciblent de toute part, qu’elles proviennent d’internet ou bien de son entourage.

Toutefois, si Naito a déjà réalisé à de multiples reprises des films traitant de la cruauté adolescente, Forgiven Children marque un nouveau tournant dans la filmographie du réalisateur. En effet, jusqu’à cette sortie, Naito traitait exclusivement le genre de l’horreur voire de l’ero guro nansensu. Lorsqu’il présentait dans Liverleaf, par exemple, un questionnement sur les sources et conséquences du harcèlement scolaire, ce propos cohabitait avec des meurtres extrêmes, ce qui pouvait rendre par moments les considérations sociales adjacentes assez confuses. Naito montrait la revanche de Haruka, une jeune fille harcelée par ses camarades, en utilisant la loi du talion. Même si le réalisateur ne célébrait pas cette effusion de violence comme une juste retombée des actions des harceleurs, il ne se distançait peut-être pas suffisamment du point de vue de Haruka pour obtenir un bilan réellement nuancé. Néanmoins, Liverleaf, tout comme Litchi Hikari Club, Puzzle ou bien Let’s Make the Teacher Have a Miscarriage Club comportait tout de même des tentatives bienvenues d’amener une réelle réflexion sur les concepts représentés. Dans Forgiven Children, Naito laisse de côté l’horreur et décide de faire le tour de la thématique du harcèlement dans un film bien plus dramatique que terrifiant ou sanglant. L’horreur ne se situe plus dans le visuel mais bel et bien dans des rapports de force. Naito, lorsqu’il a présenté son film au Nippon Connection 2020 a expliqué qu’il cherchait à représenter la façon dont les gens se positionnent spontanément dans le camp des victimes sans jamais s’associer aux bourreaux alors même que personne ne peut prétendre n’avoir jamais causé de tort à quiconque. Si ce sujet a déjà été traité à maintes reprises au cinéma, y compris par Naito lui-même, Forgiven Children offre un tour d’horizon complet et nuancé de la question. Le réalisateur évite l’écueil d’absoudre Kira tout en confrontant la violence de ceux qui se pensent dans leur bon droit en se déchaînant sur cet adolescent dont la vie ne sera plus jamais normale. Kira souffre des conséquences de son geste tant sur un plan personnel puisque le visage de sa victime lui apparaît fréquemment pour venir le hanter que sur un plan social puisque personne, à l’exception de sa mère et d’une élève, Momoko (harcelée elle aussi à cause de rumeurs disant qu’elle est sortie avec un professeur), ne lui témoigne la moindre pitié, quelle que soit la situation dans laquelle il se retrouve.

Naito dénonce non seulement le harcèlement quel qu’il soit mais questionne aussi les possibilités d’action de l’entourage des personnes concernées. L’une des grandes forces de Forgiven Children est la minutie de Naito qui s’attache à illustrer les points de vue de plusieurs personnages mais également les limites auxquelles ils sont confrontés. Lors d’une scène très intéressante, le professeur de la nouvelle école de Kira fait travailler les élèves sur la question du harcèlement pour tenter de les sensibiliser. S’ensuit un long débat où chacun des personnages évoluant dans la classe donne son avis sur les raisons pour lesquelles un harceleur harcèle ou même de façon plus grinçante sur pourquoi un harceleur est harcelé. Tout cela devant Momoko, la bouc émissaire de la classe, qui doit subir une discussion entière dont la moitié consiste à la blâmer indirectement de la situation dans laquelle elle se trouve. Lorsque cette scène éprouvante est terminée, les élèves sont amenés à présenter au tableau leur « solution au harcèlement » et après un discours bateau et langue de bois d’une jeune fille qui explique qu’il ne faut pas faire aux autres ce que l’on n’aimerait pas que l’on nous fasse, la présentation vire au drame. Le chef de groupe de travail dans lequel est Kira, venant d’apprendre la vraie identité de celui-ci, profite de son exposé pour dénoncer Kira devant la classe entière, créant une émeute au sein du cours. Le professeur qui espérait ainsi régler des tensions entre ses élèves se voit confronté à une situation de crise, probablement la plus douloureuse à regarder du film entier. Il en va de même pour la mère de Kira qui tente de défendre son fils envers et contre tout. Elle refuse d’entendre le moindre argument selon lequel son fils pourrait être coupable, pour le protéger, mais elle se détache par la même de toute possibilité de l’aider sur un plan psychologique. Lorsque Kira, en proie à de profondes angoisses et une dépression manifeste, tente de se délester de ce secret qui détruit sa vie depuis un an, elle en vient même à s’énerver contre lui et lui crier dessus. Ainsi, même les personnages qui veulent aider finissent par nuire ou s’illusionner sur leur capacité d’action.

Forgiven Children constitue ainsi non seulement une nouvelle ouverture de la filmographie de son réalisateur mais également une œuvre nécessaire pour mieux apprécier le restant de ses œuvres. L’histoire de Kira n’est que plus intéressante lorsqu’on la met en lien avec toutes les autres figures de harceleurs et de harcelés qui peuplent les films de Naito. Si l’on peut souligner quelques maladresses dans le film comme des utilisations de procédés cinématographiques (les ralentis et les accélérations notamment) parfois un peu trop extravagants ou appuyés sans véritable raison apparente, le film demeure une expérience éprouvante mais enrichissante, que l’on apprécie déjà le cinéma de Naito ou non. Forgiven Children attise réellement la curiosité de la suite à venir de la filmographie du réalisateur.

Elie Gardel. 

Forgiven Children de Naito Eisuke. Japon. 2020. Disponible sur FilmoTV dans le cadre de Kinotayo 2020.

Imprimer


Laissez un commentaire


*