Pour les cinéphiles amateurs de cinéma asiatique et désireux de découvrir de nouveaux réalisateurs, 2020 est une bonne année puisque ce n’est pas moins que deux films du méconnu réalisateur taïwanais Chung Mong-hong qui sont visibles, Godspeed (en DVD/Blu-Ray chez Spectrum Films) et A Sun, disponible sur Netflix. Et c’est à ce film multi-récompensé aux Golden Horse Film Festival and Awards que nous allons nous intéresser.
Dans A Sun, le réalisateur dresse le portrait d’une famille a priori ordinaire : un père, une mère et deux enfants, ou plutôt deux jeunes adultes. Tout pourrait aller pour le mieux mais le cadet, A-ho, enchaîne les crimes et se fait arrêter après un sanglant forfait. L’équilibre de la cellule familiale s’en retrouve bouleversé, et ce n’est que le début des ennuis. Sans trop en révéler, la détention de A-ho n’est que l’étincelle qui va déclencher un brasier qui va vite devenir incontrôlable et pousser la famille dans ses dernier retranchements.
On l’aura compris, A sun est un drame familial pur et dur. On y crie, on y pleure, et on n’y voit pas forcément une lueur d’espoir dans le parcours du combattant de cette famille. Mais Chung Mong-hong va brillamment éviter l’écueil du pathos tire-larme et se livrer à une intelligente réflexion sur la façon de gérer et d’accepter la fatalité d’une existence vouée à ne jamais pouvoir s’améliorer.
Le film va principalement adopter le point de vue des parents de A-ho, qui vont être en première ligne face au déferlement d’ennuis qui arrivant sur leur famille, et ce dès l’incarcération de leur fils. Des individus ordinaires, à l’existence morne et sans éclat et qui ne vont pas avoir les mêmes réactions face aux évènements. Si, par exemple, la mère éprouve une tristesse infinie à voir son criminel de fils passer du temps derrière les barreaux, son père est à deux doigts de demander au juge la peine maximale, histoire d’être sûr de ne plus être inquiété par A-ho et ses forfaits. Chaque nouveau drame qui frappe la famille n’affecte pas les deux parents de la même manière. Chung Mong-hong met donc en scène, à travers ces deux parents que tout devrait rapprocher mais que tout oppose, deux attitudes bien différentes et pourtant toujours humaines face au crime lorsqu’il concerne un être cher qui s’en sera rendu coupable : le pardon et l’acceptation ou le rejet pur et simple. Mais dans les deux cas, le destin ne leur facilite pas la tâche et les repousse dans leur ultimes retranchements. La mère doit gérer les conséquences des actes de son fils commis avant son arrestation (A-ho a mis une jeune femme enceinte, et sa mère est une véritable ordure), et le père, qui voudrait bien passer à autre chose, doit composer avec le père de la victime du crime qui a envoyé A-ho en prison. Et celui-ci a bien l’intention de pourrir son existence jusqu’à ce que les parents de A-ho le dédommagent financièrement. Pire encore, un autre drame frappe la famille déjà bien fragilisée, car on a vite oublié que A-ho a un grand frère, et que le pire va lui arriver.
Le film a beau ressembler au chemin de croix d’une famille qui n’avait rien demandé à personne, à aucun moment le spectateur ne ressent ni tristesse ni réelle mélancolie. A cela une raison simple, Chung Mong-hong dépeint des individus qui apprennent simplement à vivre avec le crime et ses conséquences. Le maître-mot sera l’acceptation. Rien ne servira de se lamenter sur le pourquoi du comment cela a pu mal tourner, l’essentiel est d’aller de l’avant et de regarder vers l’avenir, même si celui-ci ne semble pas joyeux. Car A-ho va finir par sortir plus tôt que prévu, et il ne va pas être simple de se refaire une place dans une cellule familiale qu’il a détruite, surtout quand ses amis les moins recommandables reviennent à la charge.
La deuxième partie du film épouse d’ailleurs le point de vue du jeune homme qui essaye de se reconstruire, tiraillé entre ses velléités de bonne conduite et ses vieux démons qu’il doit apprendre à ignorer, tout en essayant de maintenir un semblant de relation père-fils bien mise à mal par son incarcération. Le ton se fait étonnamment moins lourd que dans ce qui a précédé, comme le calme après la tempête, lorsqu’il faut tout reconstruire. Chung Mong-hong rebat les cartes dans son dernier acte, inverse les rôles, et fait de son criminel, le héros, et son père, un homme perdu prêt à tout pour finalement aider son fils, condamné à suivre les mêmes chemins pour arriver à ses fins, et devenir lui aussi un criminel. Chung Mong-hong se garde bien de juger ses personnages et cette famille qui ne devra sa survie qu’en adoptant des comportement qu’ils ont condamnés jadis. La dernière scène est d’ailleurs assez éloquente à ce sujet, lorsque A-ho emmène sa mère faire un tour de vélo, mais pas le sien, A-Ho volant littéralement la bicyclette sous les yeux de sa mère qui est partagée entre surprise, effroi et acceptation du fait que si elle veut profiter de la vie avec son fils, cela ne se fera que sous le signe du délit.
Si Chung Mong-hong arrive à raconter une histoire solide, avec une mise en scène qui fait cohabiter tendresse et violence, explosions de rages et purs instants d’émotion (les retrouvailles père-fils au konbini sont d’une rare justesse), il se prend parfois les pieds dans le tapis à trop vouloir en rajouter dans le drame et sans pouvoir développer correctement ses idées. Par exemple, on pense ici au frère de A-ho, qui a un destin tragique, mais qui n’est jamais proprement amené (ce qui laisse dubitatif quant à la justification de son geste). D’autre part, il revient par la suite au détour d’un dialogue qui vient inutilement faire basculer le film dans le fantastique. Autre point négatif, le réalisateur tente parfois des pointe d’humour, mais qui la plupart du temps tombent à plat à force d’être en complet décalage avec l’ambiance générale.
A Sun ne sera donc pas un des grands films asiatiques de 2020, mais il se hisse largement dans le haut du panier de la production rayon drame, grâce à des comédiens parfaits dans leurs rôles difficiles (Wu Chien-ho parfait dans son rôle de délinquant tout en colère et violence contenues) et un tendre portrait de famille en reconstruction à l’ombre du crime.
Romain Leclercq
A Sun de Chung Mong-hong. Taïwan. 2019. Sur Netflix le 24/01/2020