VIDEO – Inunaki : Le Village oublié de Shimizu Takashi

Posté le 19 septembre 2020 par

Shimizu Takashi, créateur de la saga, désormais culte, des Ju-On (The Grudge) revient avec Inunaki : Le Village oublié, que vous pouvez retrouver en DVD et Blu-Ray le 16 septembre chez Jokers.

Le film s’inspire d’une légende urbaine japonaise ayant vu le jour sur internet en 1999 : il existerait un village japonais peuplé de fantômes dont l’existence ne figure sur aucune carte. Comme bon nombre d’histoires terrifiantes transmises par le bouche à oreille, les façons de retrouver le village varient en fonction des interlocuteurs, ainsi que les raisons pour lesquelles la population aurait été décimée. Shimizu bâtit alors son histoire autour de ce flou entourant Inunaki en créant un univers dans lequel les personnages connaissent l’existence du village grâce à cette légende urbaine. Le film débute ainsi par le tournage d’une vidéo, probablement destinée à internet, dans laquelle deux jeunes adultes, Akina (Otani Rinka) et son petit ami caméraman Yuma (Bando Ryota) réussissent à trouver l’entrée du village. Leur escapade tourne court tandis qu’ils réalisent que la situation d’Inunaki est bien réelle et ils parviennent à s’enfuir mais ce faisant, réactivent la malédiction du village. Partant de là, nous suivons divers personnages dont Akina et Yuma ainsi que sa sœur Kanae (Miyoshi Ayaka) qui travaille en tant que psychologue dans un hôpital mais également d’autres habitants de leur ville qui se retrouvent en proie au réveil de la malédiction.

Comme le synopsis du film le laisse supposer, nous retrouvons dans Inunaki : Le Village oublié beaucoup de motifs et de leitmotivs qui ont façonné le cinéma de Shimizu Takashi. En effet, les amateurs de Ju-On pourront apprécier une nouvelle histoire de fantômes saupoudrée de secrets refoulés de familles, de même que des personnages principaux amenés à voir des tragédies au-delà du réel et des apparences. Le réalisateur s’aide pour cela de techniques cinématographiques sur l’image et surtout le son, tous ces éléments qui ont contribué à la création de son univers par le passé. Les fantômes, tout comme dans Ju-On, sont notamment accompagnés d’expérimentations sonores avec des voix et bruits distordus du quotidien. Le réalisme auquel tendait Shimizu avec l’aspect parfois presque documentarisé du visuel de Ju-On touche ici à son paroxysme au travers du principe initial de found footage et de parti pris de s’intéresser à une vraie légende urbaine japonaise.

Nous n’assistons toutefois pas à une redite de Ju-On car si Shimizu récupère nombre de ses thématiques phares, Inunaki : Le Village oublié lui permet de passer d’histoires de fantômes plus intimes et familiales à une critique sociale plus étendue et approfondie. Si les revenants sont habités par un désir de vengeance comme c’était le cas dans la saga des Ju-On, cette vengeance s’aligne cette fois sur une lutte de classes sociales. Nous apprenons en effet durant le film que ce village a été créé par une population précaire dont la survie dépendait de la chasse aux chiens errants. Leur village se situant sur une zone d’accès aux villes environnantes, très vite, une entreprise d’électricité s’est emparée des lieux en torturant et enfermant la population, avant de la noyer sous un lac artificiel. L’affrontement ayant lieu dans le présent est alors un combat entre les descendants des riches entrepreneurs de la ville et les fantômes des villageois précaires s’étant fait décimer pour permettre à la région de prospérer. Le propos politique derrière le film est pleinement exploité par le réalisateur qui tisse des liens entre la population du village Inunaki et des évènements de l’Histoire du Japon. Nous pouvons penser notamment à la population burakumin qui constitue la classe sociale la plus basse au Japon et qui subit encore de nombreuses discriminations à l’heure actuelle. Le film peut toutefois également faire penser aux populations ennemies du Japon en temps de guerre dont certaines se sont faites torturer et enfermer dans des camps de travail pour produire de la main d’œuvre bon marché permettant au gouvernement japonais de s’enrichir. Lors d’une séquence extrêmement évocatrice, la psychologue Kanae découvre un film montrant le sort du village Inunaki. Elle ne supporte pas ce qu’elle en voit et se lève pour s’enfuir. Elle se retrouve alors devant l’écran qui continue de projeter les images affreuses qui apparaissent alors sur sa propre chemise. Elle tente de balayer les images de sa main tandis que le villageois d’Inunaki qui l’a guidée jusque-là lui reproche de tenter d’effacer et ignorer le passé comme ses ancêtres avant elle. Shimizu prend alors directement la population japonaise à parti sur son traitement des minorités à travers l’Histoire.

Malheureusement, si Shimizu étoffe son univers avec des propos davantage incisifs et ambitieux, il déçoit néanmoins sur certaines de ses séquences horrifiques. Les effets spéciaux demeurent très convaincants comme à son habitude, mais la mise en place de l’horreur verse parfois dans l’attendu et le cliché. Nous assistons à des sempiternelles scènes en courte focale avec un personnage en gros plan qui dévoile derrière lui un fantôme avec effet de musique aiguë pour appuyer le tout et qui laisse désormais quelque peu indifférent tout amateur de cinéma d’horreur et d’histoires de fantômes. Ces lourdeurs techniques sont rejointes par une lourdeur scénaristique ponctuelle : lorsqu’un personnage découvre la vérité sur une situation, des extraits du film en lien avec cette découverte sont alors diffusés en flashbacks pour assurer la compréhension du spectateur. Bien que permettant de ne pas perdre le public durant les intrigues, l’aspect systématique du procédé contribue à alourdir le film. Ce manque de finesse surprend, surtout de la part de Shimizu, qui jusqu’à présent jouait davantage sur la suggestion que sur l’explicitation des évènements.

Inunaki : Le Village oublié vaut néanmoins le détour pour découvrir une facette plus engagée du réalisateur ainsi que pour l’optimisme rafraîchissant et inattendu qui surgit dans la dernière partie du film. Après avoir traité d’histoires horrifiques fonctionnant sur un format cyclique de vengeances entraînant d’autres vengeances et de traumatismes intergénérationnels voués à se répéter indéfiniment, Shimizu offre ici une morale bien plus apaisée et bienveillante qu’auparavant. Même si elle implique un principe de malédiction générationnelle chère au réalisateur, la fin du film suggère également une possibilité pour les personnages de s’affranchir de leur héritage et de trouver leur propre voie. Inunaki permet de considérer sous d’autres angles la filmographie de Shimizu dans ce qu’il propose ici de différent à ses leitmotivs et à cet égard, les amateurs du cinéaste devraient trouver des pistes de réflexion très intéressantes.

L’édition vidéo s’accompagne également d’une analyse du cinéma de Shimizu Takashi d’une vingtaine de minutes par Jean-François Rauger qui met en relief les spécificités du réalisateur tout en le replaçant dans l’Histoire du cinéma de fantômes japonais. Rauger soulève par exemple le motif des mises en abyme audiovisuelles chez Shimizu et les relations que celui-ci établit entre fantômes et écrans, et fournit une analyse approfondie de certains des thèmes du film, tel que le traitement des burakumin au Japon. Ce complément permet d’obtenir une étude rapide et complète des éléments majeurs du film pour un visionnage enrichi mais également de la filmographie entière de Shimizu.

Elie Gardel.

Inunaki : Le Village oublié de Shimizu Takashi. Japon. 2019. Disponible en DVD et Blu-Ray le 16/09/2020 chez Jokers

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