EN SALLES – Grand frère de Liang Ming (en salles le 26/08/2020)

Posté le 26 août 2020 par

Le cinéma chinois nous a marqués en 2019 par la force des films qui nous ont été offerts en salles. À cela s’ajoute la belle programmation du festival Allers-Retours 2020 qui nous a permis de découvrir la nouvelle scène indépendante du cinéma chinois. Inutile donc de dire, que nous attendons chaque nouveau film chinois avec impatience. Et c’est avec joie que nous accueillons Grand frère en salles.

Après avoir joué dans Nuit d’ivresse printanière et continué son travail avec Lou Ye en tant qu’assistant réalisateur sur Mystery, Liang Ming s’essaye maintenant à la réalisation avec Grand Frère.

Gu Xi est sur le point de perdre son emploi à cause de problèmes de papiers d’identité. Tout en utilisant ses relations pour obtenir des papiers en règle, elle fait également face à un autre défi : s’entendre avec la nouvelle petite-amie de son frère, Qingchang. Alors que l’hiver s’installe et que les températures plongent, la relation entre Gu Xi, son frère Gu Liang et sa petite-amie devient de plus en plus floue… 

Le film a été tourné dans la province du Heilongjiang, dans le nord-est de la Chine, qui est la province d’origine du réalisateur. Le détail pourrait être anodin si le film n’était pas empreint d’une certaine nostalgie. Le cinéma chinois actuel ne cesse de revendiquer cette nostalgie, ce vertige face à des bouleversements économiques constants, des paysages urbains refaçonnés dont on cherche en mémoire les lieux connus et aimés. Pas de mention de ces grands changements sociétaux dans Grand frère, et pourtant, la même mélancolie y est présente, celle d’une jeune femme qui réalise que sa vie est en train de changer inéluctablement.

Liang Ming prend le parti de ne présenter que le point de vue de son héroïne, Gu Xi, que ce soit dans l’installation initiale de la relation fraternelle ou dans l’arrivée du catalyseur : la petite-amie. La démarche est intéressante car elle donne une vision unilatérale de l’intrigue qui laisse le spectateur dans l’ombre concernant des enjeux politiques plus globaux : la marée noire, le contrôle des zones de pêches, la découverte d’un pêcheur mort… Cela permet également de nous placer au niveau de Gu Xi, dans son conflit intérieur face à Qingchang, comme dans l’immaturité de ses sentiments.

La limite en est qu’elle rend la narration parfois opaque. Le microcosme émotionnel de Gu Xi ne s’imbrique qu’avec peu de fluidité dans la perspective d’ensemble que le réalisateur tente de dépeindre. On sent bien souvent les intentions (louables) de Liang Ming, tant dans le scénario que dans sa mise en scène, ce qui nous place dans une compréhension intellectuelle bien plus qu’émotionnelle, et cela dès les prémices du récit.

Plusieurs scènes viennent introduire l’intimité de Gu Liang avec sa sœur, sans vraiment installer un réel trouble qui puisse nous convaincre du chamboulement que cela provoquera chez Gu Xi, quand elle verra en Qingchang une concurrente. Liang Ming s’inspire du cinéma de Lou Ye pour ce premier long-métrage, mais n’atteint jamais l’essence sensuelle de son œuvre. Pourtant, on en perçoit la lueur dans quelques scènes, notamment lorsque les trois protagonistes admirent un paysage, appuyés tous les trois contre un garde-corps, miroir troublant du trio amoureux de Nuit d’ivresse printanière. C’est quand le film opère ce lâcher-prise qu’il trouve ses plus belles scènes et laisse place à la spontanéité de l’instant et donc, à l’émotion.

Même si Liang Ming vacille sous le poids de ses références et se perd quelque peu en voulant superposer les intrigues, il se dégage néanmoins de ce premier film une grande ambition de cinéma, ainsi qu’une mise en scène et des acteurs impeccables. Le prochain film du réalisateur est déjà en préparation, et traitera de nouveau du passage à l’âge adulte d’une jeune fille, et on l’espère, trouvera lui aussi son chemin jusqu’à nos salles françaises.

Marie Culadet

Grand Frère de Liang Ming. Chine. 2020. En salles le 26/08/2020.