NIFFF 2020 – Detention de John Hsu : Shooting in the dark

Posté le 6 juillet 2020 par

Auréolé de l’aura culte en Asie et sur les plateformes de streaming du jeu vidéo dont il est l’adaptation, Detention, réalisé par John Hsu, nous offre une introspection parabolique dans l’histoire taïwanaise à travers le prisme du genre. Et c’est à découvrir au Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) !

Detention se déroule dans un lycée durant la période de la terreur blanche. Cette période désigne plus de 35 ans de dictature taïwanaise qui, comme un miroir de la Chine continentale, était sous un régime qui traquait les moindres traces de sympathies ou de revendications liées aux idéaux communistes. La répression qui en découlait provoque aujourd’hui une rancœur envers la figure de Tchang Kaï-chek et de son gouvernement. Durant plusieurs décennies, le gouvernement taïwanais a traqué, torturé et tué plus d’une centaine de milliers d’habitant de l’île et a surtout créé un climat anxiogène dont l’œuvre s’inspire. Avec Detention, c’est dans cette réalité paranoïaque qu’on est plongé en suivant les pérégrinations introspectives d’une lycéenne qui aurait trahi un groupe de lecture clandestin pour sauver son père de la machine répressive. Le long-métrage se compose donc de plusieurs parties qui dévoilent chacune des éléments clés de l’intrigue qui se joue au sein du rêve de la jeune femme. John Hsu se sert de l’esthétique du jeu comme canevas de sa direction artistique et de sa mise en scène dans la partie la plus intéressante de l’œuvre qui s’appelle « nightmare ». On y retrouve les couloirs en ruines, les fantômes et les monstres comme des allégories des tourments bien réels de la jeune femme et de la société taïwanaise de l’époque.

Néanmoins, Détention perd toute son aura mystérieuse quand les autres chapitres rendent explicitent les éléments du rêve et nous donnent à faire l’expérience d’une fausse intrigue labyrinthique. Le montage et les jeux de va-et-vient entre le monde psychique et les souvenirs cassent le rythme de l’œuvre. On assiste donc à une suite d’effets redondants qui, une fois la puissance du mystère dépassée, ne peuvent affronter la violence bien réelle au cœur de l’Histoire et de l’histoire de la jeune femme. Alors que la torture et le meurtre d’adolescents par des tortionnaires sans visages suffiraient à nous plonger dans le cauchemar de la période, notre émotion se retrouve entravée par les artifices du genre. Mais c’est surtout l’inconsistance de la démarche plastique qui achève une œuvre bancale. On décèle les échecs esthétiques par l’ambition du réalisateur de vouloir tout montrer à tout prix.

Pourtant, il y avait des éléments qui nous laissaient penser que l’Histoire, aussi sombre soit-elle, pouvait être un objet plastique, du moins dans l’appropriation et la redécouverte d’une mémoire douloureuse. Le personnage presque polanskien de la mère de la lycéenne par exemple, est l’une des voies qu’aurait pu prendre John Hsu entre inquiétante étrangeté et reconstitution prosaïque. Detention nous montre que c’est justement en voulant éviter le contact direct avec l’Histoire que l’œuvre perd toute sa puissance. Comme si le glauque qui émane des situations réalistes, des flashback qui évoquent la torture et la délation ne suffisaient pas à insuffler en nous un effroi absolu. Nous ne pouvons donc que constater l’échec d’un cinéma qui croit pouvoir se passer du réel, ou du moins ne croit pas en la puissance des images qu’il peut créer et se perd dans la contemplation de sa technique au service d’une mécanique vide. C’est la terreur blanche que John Hsu échoue à mettre en scène ou à penser comme images de cinéma ; il ne reste que les traces d’un jeu qui avait réussi à son niveau.

Kephren Montoute

Detention de John Hsu. Taïwan. 2019. Projeté lors de l’édition 2020 du Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF).