VIDEO – Les Ailes de Larissa Chepitko

Posté le 8 juin 2020 par

En 2017, Potemkine nous a fait découvrir l’œuvre de la cinéaste russe Larissa Chepitko avec le beau et mélancolique Les Ailes. Retour sur ce film emblématique de la politique du dégel soviétique.

La quarantaine un peu fatiguée, Nadezhda Petrukhina est une directrice d’école rigoureuse et austère. Elle a une fille, qu’elle a adoptée et élevée seule, et maintenant que celle-ci est une jeune femme en âge de se marier, elle effectue des choix que Nadezhda ne saisit pas. Dans son établissement scolaire, elle peine également à comprendre les agissements d’une génération dont elle se sent de plus en plus déconnectée et qui ignore tout de ses sacrifices passés.

Les Ailes est le second film de la courte mais passionnante filmographie de Larissa Chepitko. Formée au VGIK (l’Institut du cinéma de Moscou), elle y apprend, en cette courte période de dégel, la notion de perception artistique personnelle qu’elle retranscrira tout au long d’une œuvre qui participe, avec Grigouri Tchoukraï ou son époux Elem Klimov à l’expression d’un cinéma russe tentant de sortir du seul courant doctrinaire. La maturité du propos du film surprend à travers ce portrait de femme mûre alors que Larissa Chepitko n’avait pas encore atteint la trentaine lors de sa réalisation. Cela s’explique par la dimension biographique du récit, la réalisatrice s’inspirant largement de sa mère dans la caractérisation de son héroïne Nadezhda Petrukhina (Mayya Bulgakova). Le mimétisme est complet avec cette femme ancienne pilote de chasse durant la Seconde Guerre mondiale, ayant élevé seule sa fille et dirigeant désormais d’une main de fer une école. Tout le récit tend vers une introspection de Nadezhda, mélancolique, entre nostalgie de son passé glorieux et désenchantement face à un présent où elle ne trouve pas sa place. Les inégalités ordinaires de la société envers les femmes se rappellent à elle lorsqu’on lui interdit l’accès à un bar seule après 18h, alors qu’elle était traitée d’égal à égal au sein de l’armée. Les flashbacks laissent entrevoir à la fois la tragédie de la perte d’un amour de jeunesse mais également les exploits aériens exaltants.

C’est dans le rapport à la jeune génération que ce décalage apparaîtra le plus criant. Son austérité se heurte à la rébellion de ses élèves malgré ses intentions bienveillantes, même si le film s’autorise quelques envolées plus légères avec ce spectacle de danse où elle va s’impliquer plus que de mesure. Le fossé est tout aussi immense avec sa propre fille Tania (Jeanna Bolotova) dont elle conteste les choix amoureux avec un homme bien plus âgé qu’elle. La scène où elle s’impose chez eux pose un malaise latent avec leurs amis intellectuels, où malgré son allant, sa simple présence jette un froid. C’est donc lors des rencontres avec des amis ou inconnus (plaisant aparté chantant avec une tenancière de bar de sa génération) qu’elle trouve une chaleur éphémère avant de retrouver la solitude de son appartement. Le film dégage un spleen croissant et cotonneux avant une conclusion ambiguë dans le seul lieu où notre héroïne s’est toujours sentie exister, une piste d’avion. Le geste final questionne et laisse l’issue à notre interprétation. Renouveau, baroud d’honneur, suicide ? Les Ailes nous laisse dans une magnifique expectative…

Justin Kwedi.

Les Ailes de Larissa Chepitko. URSS. 1966. Disponible chez Potemkine le 04/04/2017.