L’éditeur Spectrum Films continue son exploration de l’actionner hongkongais de l’âge d’or, en remettant sur le devant de la scène l’artisan Tony Liu. Parlons de Devil Hunters, un girls with guns sorti sur les écrans de l’ex-colonie britannique en 1989.
Deux inspectrices de police avec leurs hommes échouent à arrêter des barons de la drogue, lors d’une transaction en plein jour dans un lieu public. Une jeune femme interrompt en effet leur action en subtilisant l’arme de l’une d’entre elles. Le bras droit du chef de la triade décide alors de faire abattre leurs partenaires dans le business, en prétextant que la panique qui a découlé de l’événement était une tentative de trahison. Quel est l’objectif de ce soi-disant numéro 2 ? Pourquoi cette demoiselle est-elle intervenue de la sorte ?
Devil Hunters est un de ces films hongkongais de série B appartenant au registre du girls with guns. Cela signifie que le spectateur va voir des héroïnes charismatiques affublées d’armes à feu et qu’elles vont leur en mettre plein la vue. Sur ce point, Devil Hunters remplit amplement ses promesses. Les trois actrices principales, Sibelle Hu et Candy Man en inspectrices, puis Moon Lee dans un rôle aussi mystérieux à la base que central par la suite, offrent un acting qui met avant leurs compétences en dramaturgie et surtout en capacités martiales. Les péripéties du scénario ne sont pas d’une incroyable originalité et le film n’étant pas des plus longs – moins d’une heure trente et on ne s’attarde pas trop sur un lieu ou un événement – il faut saisir rapidement leur psychologie et leurs relations. On perçoit parfaitement l’amitié qui lie Sibelle Hu et Candy Man, ainsi que la nécessité de s’allier avec Moon Lee au vu de ce qui motive cette dernière. Les séquences d’action qui les concernent rythment intelligemment le film, de par leur fréquence, et donnent toute l’étendue de leur savoir-faire et de celui du metteur en scène et du chorégraphe. Nous sommes en plein dans le cinéma hongkongais survitaminé, bardé de câbles et où les acteurs doivent donner de leur personne. Le casting masculin, par ailleurs, peut se targuer d’être autant classieux que le féminin, avec Ray Lui et Alex Man, deux habitués du polar hongkongais. Notons la présence de Ken Lo, garde du corps de Jackie Chan et antagoniste coriace dans Combats de maîtres. Mais surtout, Francis Ng, actuellement acteur incontournable des cinémas chinois, montre sa capacité, à l’orée des années 90, à incarner le jeune arriviste fourbe et mauvais comme la peste – il joue ce rôle dans le wu xia Succession par l’épée par exemple.
Les acteurs, hommes et femmes, se révèlent tous charismatiques, sur un pied d’égalité. Rappelons que le cinéma hongkongais, s’il n’est pas parfait, est souvent bon élève en matière de rôles féminins (depuis au moins L’Hirondelle d’Or, qui a marqué les esprits). Devil Hunters incarne parfaitement ce statut, en montrant des personnages féminins aux objectifs affirmés et n’hésitant pas à prendre part à l’action physique, mais sans pour autant vouloir montrer des hommes écrasés par un girl power : les personnages de Ray Lui et Francis Ng sont aussi épais que ceux de Moon Lee et Sibelle Hu. Avec cette idée narrative équilibrée, et un casting quatre étoiles, le film régale par ses personnages, nombreux et fort bien interprétés.
Le scénario, nous l’avons dit, est plus à voir comme une suite de péripéties visant à justifier des scènes d’action et créer un rythme. Le film pâtit de cela un temps, faute d’image vraiment marquante ou saisissante. Ceci est rattrapé sur les dix dernières minutes : Sibelle Hu, Moon Lee et Ray Lui, en treillis, surarmés, s’imposent comme des figures guerrières de cinéma qui impressionnent. Les échanges de coups de feu et de techniques de kung-fu deviennent encore plus effrénées, jusqu’à ce climax incroyable, dans lequel une explosion ratée blesse les acteurs, ceci mentionné sur un carton pendant la scène ! On a beaucoup discuté de la moralité de garder des scènes ayant abouti à des blessures, jusque dans la promotion du film (ce fut le cas pour Devil Hunters). Quoiqu’on en dise, on reste bouche bée face à déluge de feu, même trente ans après, et alors que le numérique peut à présent falsifier n’importe quelle action jusqu’à la plus grande démesure.
Devil Hunters est un film de série B mis en scène par un réalisateur guidé par les aléas d’une industrie en perpétuel changement de mode, plus que par une réelle obsession d’artiste. On ne regarde pas ce genre d’œuvres pour la puissance du scénario ou la vraisemblance de son action. En termes de rythme, d’artifices et d’interprètes, Devil Hunters fait plus que son office.
Les bonus du combo Blu-Ray/DVD
Les bonus sur le Blu-Ray de Spectrum sont au nombre de trois : la bande-annonce, la présentation du film par Arnaud Lanuque, spécialiste du cinéma hongkongais et le portrait du réalisateur Tony Liu par le spécialiste du cinéma de genre Julien Sévéon. L’introduction par Arnaud Lanuque est factuelle et permet de remettre le film dans son contexte, jusque dans sa polémique – on regrettera seulement le bruit de fond dans cette vidéo, qui atténue la voix de l’intervenant. Julien Sévéon apporte tout un éclairage sur le travail de Tony Liu, figure de ces artistes venus du continent, ayant endossé la casquette d’acteurs et de réalisateurs sans être restés dans les livres d’histoire. Sévéon rappelle également que les recherches sur ces artistes méconnus ne sont pas faites à Hong Kong et que l’industrie et le public risquent de complètement les oublier. Ce bonus vidéo n’en devient alors que plus précieux, car ce que l’on sait de Tony Liu, sa vie et sa filmographie, y est passé au crible dans la mesure du possible.
Maxime Bauer.
Devil Hunters de Tony Liu. Hong Kong. 1989. Disponible en combo Blu-Ray/DVD chez Spectrum Films en mars 2020.