VIDEO – Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov : envol de la mise en scène

Posté le 17 avril 2020 par

Palme d’Or en 1958, Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov fait partie de ces chefs-d’œuvre du cinéma soviétique. Le film est ressorti en version restaurée chez Potemkine en fin d’année 2019, en salles et en vidéo.

Durant la Seconde Guerre mondiale, Veronika et Boris s’aiment. Mais Boris s’engage pour partir sur le front. Alors que le conflit sépare les deux êtres, Veronika va prendre conscience de l’horreur de la guerre.

Le film s’ouvre sur une balade de Boris et Veronika se cherchant dans les rues tels deux adolescents fous amoureux. S’en suit une montée des escaliers en plan-séquence, tournoyant comme une danse. On retrouve cette danse en plan-séquence au milieu du film, lors de la mort de l’un des personnages principaux, qui à travers cet évanouissement tournoyant, se remémore les moments heureux de sa vie et rêve le destin magnifique qu’il aurait pu avoir. Cette façon de filmer en plans-séquences, Kalatozov s’en impose comme un maître mondial, et fait partie de cette vague de grands réalisateurs russes qui ont fait briller le cinéma soviétique en pleine guerre froide, et même après, lors de la redécouverte de son sublime Soy Cuba (1964) dans les années 1990 par Martin Scorsese et Francis Ford Coppola, qui faisait également vibrer le spectateur par ses plans-séquences. Au-delà de la sémantique de ce procédé, reflet de la psyché des personnages comme on renvoie une balle en pleine figure, ce sont ses qualité plastiques qui placent en état de sidération le spectateur, proprement étourdi par la valse des images à laquelle il assiste.

Avec Quand passent les cigognes, on assiste à toute la vitalité du cinéma russe par-delà les dogmes d’une institution soviétique autoritaire qui, d’un geste, tente de suspendre des projets. Quand passent les cigognes a pu faire jaser les cadres de l’URSS, car il montre que le patriotisme trouve une limite : la mort du frère, du fils, de l’amoureux, qui s’est engagé à corps perdu dans le combat et dont le rôle n’a été que de faire pleurer ses proches. On trouve ça et là des tentatives de justification du combat, mais elles peuvent être doublement interprétées : la fin, qui met en scène le retour des soldats et la constatation des morts, peut autant se lire comme un avenir radieux rendu possible grâce au sacrifice des vaillants camarades, tout comme le doux souvenir des êtres perdus qui inondent l’écran d’amour, et qui surplombe le conflit. En bonus du blu-ray, on peut entendre dire François Navailh, historienne du cinéma russe, que le film permet aux Russes de faire le deuil de leurs morts, là où auparavant, leur sacrifice était rendu inévitable et iconisé.

Mikhaïl Kalatozov a lui-même été cadre du régime soviétique et à plusieurs rôles-clés en parallèle à son travail de cinéaste. Il a connu quelques moments de tension, car son travail n’a pas toujours été accueilli d’un bon œil par la censure. Nous parlions donc de ces artistes russes qui traversent le cadre autoritaire de leur art, et même si Soy Cuba est un pur hymne à la révolution cubaine faisant fi des dérives ultérieures, Kalatozov fait partie de ces gens-là. En somme, les artistes soviétiques d’hier sont comme les réalisateurs chinois d’aujourd’hui : ils doivent composer avec un cadre très contraignant, mais leur culture, leur talent dépassent les limites de ce cadre et parviennent à accoucher d’œuvres maîtresses. Quand passent les cigognes est plus qu’un grand film russe, il est une œuvre phare du XXème siècle.

L’édition vidéo de Potemkine

Le film est disponible en combo blu-ray/DVD dans un digipack simple mais élégant, agrémenté d’images du film à l’intérieur. Les bonus sont au nombre de quatre : une présentation du film et la biographie de Kalatozov par Françoise Nivailh, une analyse de séquence par Eugénie Zvonkine, enseignante-chercheuse en cinéma et une analyse du film par Françoise Zamour, maîtresse de conférence en études cinématographiques. Un contenu considérable qui permet d’enrober le film de la meilleure des manières, tant pour lui-même que le contexte.

Maxime Bauer.

Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov. URSS. 1957. Disponible en combo Blu-ray/DVD chez Potemkine Films le 01/10/2019.

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