A l’occasion de la sortie, sur Netflix, d’une flopée de films du studio Ghibli, retour sur un l’un des moins connus : Souvenirs goutte à goutte de Takahata Isao.
Taeko, une jeune citadine de 27 ans, part en vacances à la campagne dans la famille de son beau-frère. Laissant derrière elle ses préoccupations, elle se laisse submerger par ses souvenirs d’enfance, des anecdotes survenues en 1966 alors qu’elle n’avait que 11 ans.
Toujours un peu en retrait et dans l’ombre de Miyazaki, le discret Takahata Isao aura construit une œuvre tout aussi brillante et personnelle, presque toujours en réaction de celle du réalisateur du Voyage de Chihiro. Quand Miyazaki donne dans le grand récit épique sous haute influence de la littérature et l’imagerie occidentale (Le Château dans le ciel, Nausicaa, Porco Rosso), Takahata s’oriente toujours vers les thèmes et cadre intimiste, profondément ancrés dans la culture et l’histoire japonaise (Pompoko et ses tanukis êtres de la forêt, le drame d’Hiroshima avec Le Tombeau des lucioles, le quotidien d’une famille japonaise dans Mes voisins les Yamada). Il y a bien sûr des exceptions (Princesse Mononoké et Le Voyage de Chihiro sont imprégnés du folklore fantastique japonais et Horus est le plus miyazakien des films de Takahata) et les deux amis se rejoignent dans leurs préoccupations humanistes et écologiques même s’ils empruntent des voies différentes pour les exprimer.
Avec ce méconnu Omohide poro poro, Takahata réalisait là un de ses films les plus sensibles, touchants et subtils. On suit Taeko, jeune citadine qui décide pour l’été de partir en vacances à la campagne dans la famille de son beau-frère. Dès les premières secondes, la narration prend totalement le rythme et le ton de l’état d’esprit de son héroïne. Peu satisfaite par une existence rangée et morne, Taeko se réfugie dans une époque où celle-ci était plus vibrante et passionnée, celle de ses 11 ans quand elle était en école primaire. Toute la première partie du film revient donc sur cette enfance exaltée fait de joie et de pleurs qui font le quotidien d’une petite fille : s’affirmer face à ses deux sœurs aînées, les premiers changements morphologiques, les garçons qui commencent à susciter un certain intérêt, les notes scolaires…
La Taeko enfant est autrement plus animée et vivante que son pendant adulte (les deux se rejoignant dans leur timidité) et permet de constater tout le chemin à parcourir pour retrouver cette innocence et joie de vivre qui la caractérisait. Takahata prend un malin plaisir magnifier et rendre touchant ces épisodes enfantins par de belles idées (Taeko qui semble voler de la rue à sa maison après son premier échange avec son amoureux) alors que les retours au présent sont toujours plus ternes. Le réalisme très prononcé des passages contemporains répond ainsi à la plus grande fantaisie rattachée à ce passé idéalisé.
Ce bourdonnement intérieur qui lui manque désormais, c’est par le contact avec la vie rurale japonaise que Taeko va le retrouver. Takahata distille une animation lente et contemplative à l’ambiance envoûtante où la langueur de la campagne nous gagne bientôt par les décors somptueux. La bande son est très fouillée autant dans les bruitages que dans la magnifique musique de Hoshi Katsu digne de Hisaichi Joe. Les flashbacks dans le passé se font alors plus rares avec ce présent enfin exaltant, et répondent toujours à une situation précise quand ils envahissaient toute la première partie.
Le film est d’ailleurs étonnamment documenté dans tout ce qui a trait aux travaux agricoles qu’effectue Taeko comme la cueillette des fleurs de carthame expliquée dans le détail. Le manga dont est adapté le film (écrit en 3 volume par Okamoto Hotaru et Tone Yuko) étant issu des souvenirs personnels des auteurs, le tout est teinté d’un profond parfum de nostalgie où les références font autant appel à la culture populaire commune que japonaise. On y mêle l’arrivée des Beatles au Japon, l’émission de radio Rajio Taisoou sur laquelle Taeko enfant pratique sa gymnastique ou encore l’émission TV enfantine de marionnettes Hyokkori Hyoutanjima (L’île de la calebasse) qu’elle regarde.
C’est incroyablement apaisant du début à la fin, sans dramaturgie trop marquée si ce n’est la vitalité retrouvée de son héroïne et même l’histoire d’amour qu’on devine dès le départ est amenée avec la même délicatesse. Jamais elle ne vient entraver le récit et se dessine avec sobriété en se fondant à l’accomplissement de Taeko, ne trouvant sa résolution que lors du magnifique générique de fin chanté par Miyako Harumi. Très beau moment, il ne faudrait surtout pas réduire Takahata au seul Tombeau des Lucioles.
Justin Kwedi
Souvenirs goutte à goutte de Takahata Isao. Japon. 1991. Sur Netflix le 01/02/2020