Parmi la belle sélection de films asiatiques du Black Movie 2020, se trouve, en section Solitaires singuliers, Vertigo de Jeon Gye-soo. Déjà présenté en avant-première au Busan International Film Festival, le film fait ici sa première suisse.
Dans le cinquième long-métrage du réalisateur et scénariste, nous retrouvons notamment Chun Woo-hee, vue récemment dans The Strangers de Na Hong-jin, Jeong Jae-kwang ou encore Yoo Teo, découvert par le grand public dans Leto de Kirill Serebrennikov.
Nous suivons ici Seo-yeong, jeune femme souffrant de vertiges, dont la vie tant personnelle que professionnelle éclate au moment du renouvellement de son contrat dans son entreprise. Ses vertiges augmentent au fur et à mesure que sa vie se désagrège. Elle croise alors le chemin d’un laveur de carreaux bienveillant et poète.
Le film démarre presque comme une comédie romantique : une liaison sur le lieu de travail, l’excitation des rencontres secrètes, regards et sourires échangés en douce… Mais le tour de force du film est de nous faire ressentir un malaise dès les premières secondes. Tous les moments quotidiens de Seo-yeong sont pollués par ses vertiges constants. Dès lors, chaque émotion est brève car elle cède souvent à l’angoisse que génère cette sensation submergeant le personnage.
Chun Woo-hee est excellente dans le rôle de cette femme réservée, qui semble souvent absente, toujours en décalage avec son environnement, qui lui apparaît souvent hostile. Ce dernier est des plus froid : une grande entreprise dans une tour de verre, où la plupart des salariés sont parqués dans de grands openspaces, où chacun s’observe discrètement. Un lieu où il faut constamment être parfait au risque de ne pas voir son contrat renouvelé.
Jeon Gye-soo nous livre un portrait acide de la société coréenne. Une société qui étouffe ses membres, au point qu’ils doivent cacher leur sexualité ou leur handicap. Une société où le paraître prime sur le bonheur et où le harcèlement sexuel dans le travail est encore banalisé.
La piété filiale, héritée du confucianisme, y est un moyen supplémentaire de manipulation et de limitation des libertés. Le contact humain s’y fait rare et l’affection se cherche sur les réseaux sociaux, ou encore les live-streams.
Un potentiel salut croise le chemin de Seo-yeong sous la forme d’un laveur de carreaux romantique et mime à ses heures perdues. Une respiration nous est alors offerte. Ce personnage (Gwan-woo), lui aussi confronté aux difficultés quotidiennes de la société coréenne, choisit de voir la beauté partout où elle se trouve. Que ce soit dans la vue splendide qu’offrent ses gratte-ciel impersonnels, ou encore dans la poésie du silence et du mime. Il choisit de regarder ce qui l’entoure avec attention, et de discerner les individus, et en particulier Seo-yeong comme des êtres uniques, dignes de sortir de leur carcan.
Parmi tous les passe-temps que Jeon Gye-soo aurait pu donner au personnage de Gwan-woo, le choix du mime n’est pas anodin. A une époque où tout va vite et où les gens s’ignorent, le choix de prendre le temps de profiter d’un instant de poésie en silence est peut-être un remède pour nous tous.
Parcouru de thématiques sociétales assez passionnantes, le film reste cependant plus percutant dans sa première partie où il est plus en retenue. Il nous laisse alors voguer au rythme si particulier qu’il installe entre les scènes de la vie quotidienne de Seo-yeong, et ses attaques de vertige lors desquelles le temps semble s’arrêter. Malgré quelques moments de bravoure, la deuxième partie peine à approfondir les relations entre les personnages et nous laisse quelque peu sur notre faim. Reste néanmoins en tête un sentiment de résilience comme un « Courage ! » écrit sur un carreau.
Marie Culadet
Vertigo de Jeon Gye-soo. Corée. 2019. Projeté lors du Black Movie 2020