LIVRE – Quand je tourne mes films de Kore-Eda Hirokazu

Posté le 23 janvier 2020 par

2018 fut une année charnière pour Kore-Eda Hirokazu. Alors qu’il n’a plus rien à prouver sur la scène internationale, étant clairement reconnu comme un cinéaste majeur, tout du moins par la critique et le public le plus cinéphile, il se voit remettre le prix ultime : la Palme d’or à Cannes pour son film Une Affaire de famille. Un prix qui vient récompenser un film somme, qui brasse tous les thèmes chers à son réalisateur. Mais si cette récompense vient honorer un film, il vient aussi célébrer l’œuvre entière d’un réalisateur qui tourne depuis près de trente ans, au parcours passionnant et qui gagne à être connu autrement qu’en tant que spécialiste du thème de la famille. Et c’est ce que propose le livre justement Quand je tourne mes films, édité chez l’Atelier Akatombo. Une plongée dans le passé de Kore-Eda Hirokazu. Et qui de mieux placé pour en parler que le réalisateur lui-même ?

En effet, Quand je tourne mes films est un autoportrait, un tendre et lucide retour en arrière d’un homme passionné de cinéma, et pas uniquement japonais, à la sensibilité et candeur désarmantes, mais doté d’un regard juste (et parfois étonnamment dur) sur la télévision, le monde de la fiction (ceux qui la regardent et ceux qui l’interprètent), et du documentaire.

Si pour une grande partie du public, Kore-Eda Hirokazu est un metteur en scène de cinéma, cet ouvrage vient dans une première partie rappeler qu’il a œuvré dans ses débuts dans le documentaire pour la télévision japonaise, en traitant des sujets tantôt graves, avec However…, portrait d’un homme qui s’est suicidé à force d’injustice au sein de sa société, tantôt légers avec Lessons From a Calf, chronique d’une expérience sociologique mettant face à face un veau et une bande d’écoliers. Mais Si Kore-Eda semble y trouver un certain épanouissement (son rêve était de se retrouver derrière une caméra), il bloque, comme il l’explique très justement, sur la notion d’objectivité impossible lorsque l’on réalise un documentaire. A vouloir choisir de montrer tel ou tel sujet et d’en éluder d’autres, ne devient-on pas metteur en scène de la réalité ? Le concept même de documentaire, fenêtre sur la réalité, ne s’en trouve-t-il pas faussé ? Entre frustration et rencontres inoubliables, Kore-Eda se livre avec honnêteté et émotion, on pensera surtout à ses échanges avec la veuve du suicidé, tout en retenue et résilience, et qui va se révéler important pour la suite de sa carrière.

La deuxième partie du livre se concentre sur la seconde ère Kore-Eda, si l’on peut dire, la période où il met en scène des longs-métrages. Avec honnêteté et passion, il revient sur chacun de ses films, ses succès, ses échecs, ses regrets et ses plus grandes fiertés. Chaque film est décortiqué, réévalué et situé dans la vie de son réalisateur. Il parle avec amour et admiration de ses comédiens et comédiennes, comme par exemple la très jeune mais incroyable Bae Doona, la Air Doll du film éponyme, qui va impressionner Kore-Eda par son investissement sans limites dans un rôle complexe. On se remémore avec lui l’inoubliable Kiki Kirin, comédienne disparue en 2018, et qui aura travaillé à plusieurs reprises avec Kore-Eda, et ce dernier glanera à ses côtés une mine de conseils pour sa mise en scène, qui doit beaucoup plus au travail des comédiens qu’à l’influence d’autres réalisateurs. On saura absolument tout de la production de chacun de ses films, sans aucun secret ni langue de bois.

Kore-Eda se livre comme rarement, tant sur le plan personnel que professionnel. On découvre un homme simple qui fuit les mondanités et le superficiel, préférant par exemple le petit festival de Nantes avec un public qui comprend ses films plutôt que la soirée interminable d’un festival où les invités le voient comme le nouveau réalisateur japonais à suivre. Il parle de Spielberg (le passage où il aborde le sujet est désarmant de tendresse), de sa difficulté d’accepter la comparaison avec Ozu, sans oublier de mentionner Ultraman et Ken Loach.

On retiendra par contre une charge étonnante et virulente à l’encontre du cinéma japonais et de son industrie, qui pour lui semble s’être refermé sur lui-même, sorte d’entité auto-satisfaite qui a du mal à faire de la place au cinéma international, et ce point de vue est développé dans un paragraphe dans lequel le réalisateur tire à boulets rouges sur le festival du film pas si international que ça de Tokyo qui affiche un dédain pour les films étrangers et pire encore, pour ceux qui viennent les présenter. Même constat pour la télévision, qui ne connaîtra plus sa gloire d’antan, celle qui faisait rêver Kore-Eda.

Petit complément non négligeable, le livre a beau avoir été édité en 2016, il n’arrive dans nos librairies qu’en 2019. Aussi, le réalisateur nous fait l’honneur d’ajouter pas un mais deux bonus, à savoir des chapitres consacrés à son triomphal Une Affaire de famille et à son expérience française avec La Verité. On ne pouvait pas rêver d’une rétrospective plus complète.

Au final, ce livre est un ouvrage indispensable pour tous ceux qui suivent Kore-Eda depuis ses premiers films, qui ont envie d’approfondir leurs connaissances sur le réalisateur, et pour ceux qui l’ont découvert avec son dernier film tourné avec Juliette Binoche et Catherine Deneuve, et qui auraient envie de faire plus ample connaissance avec l’homme derrière la caméra.

Romain Leclercq.

Quand je tourne mes films de Kore-Eda. 2016. Disponible le 28/11/2019 à l’Atelier Akatombo.

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