Enorme carton en Corée et à travers l’Asie, le diptyque fantastique Along With the Gods réalisé par Kim Yong-hwa débarque en France sur Netflix. Le premier volet avait été présenté lors de la dernière édition du Festival du Film Coréen à Paris, c’est donc l’occasion de le voir pour ceux qui l’avaient raté, le revoir pour ceux qui l’avaient aimé et surtout de découvrir sa suite !
Adaptation du roman graphique de Joo Ho-min, Along With the Gods suit le voyage dans l’au-delà d’un homme récemment décédé de manière soudaine et des trois « gardiens » chargés de le guider dans le monde souterrain. Pour obtenir le droit de se réincarner, le défunt doit passer sept procès sur une période de 49 jours qui détermineront si sa vie le mérite ou s’il doit être condamné à rester en Enfer pour l’éternité.
Depuis quelques années, on observe une tendance dans les blockbusters coréens à lorgner sur le modèle américain, amenant très souvent à des résultats mitigés et le sentiment d’une production qui devient plus générique à force de vouloir s’exporter à l’internationale, et particulièrement aux Etats-Unis. Parmi les derniers en date, on peut notamment citer Rampant et The Witch : la Conspiration, présentés au Festival de Gérardmer l’an dernier, qui en étaient des exemples assez parlants malgré des prémices prometteuses et pas mal de talent devant et derrière la caméra. Réalisé, écrit et co-produit par Kim Yong-hwa, Along With the Gods se démarque de ce phénomène en proposant une saga fantastique, avec un univers très spécifique, empreint d’un symbolisme propre à la culture orientale et assumant pleinement tout ce que ceci peut impliquer comme outrances.
Dès l’ouverture du premier film, le sauvetage d’une petite fille aux prises avec les flammes par notre vaillant pompier amené à devenir un « parangon » (Chae Tae-hyun), soit un juste ayant subi une mort prématurée, on nous fait clairement comprendre que si l’on recherche de la subtilité, on s’est trompé de film. La mise en scène joue continuellement sur le côté « over-the-top » et gargantuesque de cette épopée tournée dans sa quasi-majorité sur fond vert, avec force ralentis, accélérations, plus ou moins réussies, et musique tonitruante. Passionné d’effets spéciaux, Kim Yong-hwa est le fondateur de Dexter Studio, société d’effets visuels référence en Asie. Le film est, en effet, le terrain de jeu rêvé pour son réalisateur qui semble s’amuser comme un fou à recréer les grands espaces des Enfers, lieux de tous les pièges, ainsi que les plateaux amovibles gigantesques des différents tribunaux. Même constat en terme de look des personnages peuplant cet univers, où toutes les références sont invitées dans un désordre délicieusement assumé (les longs manteaux à la Matrix des gardiens, les costumes de Pierrot des greffiers, le juge de l’Enfer des meurtres qui a visiblement emprunté la perruque de David Bowie dans Labyrinth, etc.).
La surcharge visuelle pourrait être lassante, voire épuisante, mais le film évite cet écueil grâce à l’alternance plutôt intelligente des scènes entre les deux mondes, celui des morts et celui des vivants filmés de manière bien plus classique avec une image plus simple, et surtout grâce à des enjeux bien posés et des personnages travaillés et attachants que l’on a envie de suivre de bout en bout dans cette aventure. Et c’est surtout là que le film réussit : en ne se reposant jamais uniquement sur l’originalité de départ de son concept mais en prenant le temps de bien développer ses personnages, leurs relations et leurs arcs, permettant d’offrir un spectacle qui ne se résume pas à une série de séquences de combats sur fond de VFX mais bien aux enjeux humains et émotionnels qui les amènent et/ou en découlent.
Car sous ses airs de blockbuster de masse un peu bourrin, Along With the Gods déroule une fable sur le pardon et la rédemption, tout d’abord à travers le mélodrame familial du parangon Kim Ja-hong dans sa première partie, puis à travers les flashbacks des vies passées des gardiens, mini-épique d’époque au sein du film, dans sa deuxième partie. Alors oui, c’est un peu trop long et c’est un peu trop sentimental sur la fin mais pour peu que l’on se soit laissé embarquer dans le reste, on se laisse émouvoir par le message d’espoir en l’humanité que le film prône. On apprécie d’autant plus que le message servi, loin d’être béat, est teinté d’une certaine acidité, chacune des deux parties ne manquant pas de pointer du doigt la violence économique et sociale de la Corée comme cause des actions extrêmes des défunts ou de leurs bourreaux et de se servir du système hyper-sophistiqué de l’au-delà pour souligner les aberrations et faillites du monde des vivants (la condamnation des criminels dans l’Eternité, là où les prescriptions terrestres ne l’ont pas permis).
Le casting, peuplé de têtes connues, déploie une énergie communicative et parvient à faire exister leurs personnages que l’on soit sur un rôle central ou bien une apparition. C’est cependant avant tout sur son trio de gardiens dont l’alchimie fonctionne à plein que le diptyque tire sa plus grande force : le charismatique leader au lourd secret, Gang Rim (interprété par le non moins charismatique Ha Jung-woo), le second faussement cynique Haewonmak (Ju Ji-hoon dans le rôle de charmante tête à claques au cœur tendre qu’il maîtrise à la perfection) et l’enthousiaste jeune guide, Dukchun (jouée par la jeune Kim Hyang-gi qui vole plus d’une fois la vedette à ses aînés, avec une prestation réussissant le dosage parfait entre innocence, vulnérabilité et intelligence). Mélange entre cols-blancs standards de la grande administration qu’est le monde des Enfers, présenté de manière assez ludique dans les premières séquences avec des cartes d’identification et même des codes civil et pénal, et figures surnaturelles, on s’attache sans difficulté à ces trois protecteurs qui s’investissent un peu trop dans le sort de leur charge. Bien davantage que les archétypes qu’ils incarnent initialement, chacun des trois personnages bénéficient d’un développement égrainé avec soin durant le premier film et qui prend toute son ampleur dans le second volet qui est principalement dédié à lever le voile sur leur passé et le lien qui les unit.
Tournés simultanément, les deux volets ne sont pas tout à fait égaux en terme de narration : la première partie suit de bout en bout son intrigue de manière plutôt fluide et arrive à tenir tous ces arcs dans un bon équilibre et à les relier en gardant un cap assez linéaire. A l’inverse, à force de vouloir raconter trop d’histoires en parallèle, la deuxième partie s’éparpille dans toutes les directions et aboutit finalement à une construction en gigogne un peu maladroite et assez frustrante. Si le personnage de Ma Dong-seok, et l’arc auquel il participe, est touchant, il sert avant tout de prétexte pour introduire les séquences du passé oublié des gardiens. De la même manière, on se désintéresse rapidement du procès de Soo-hong (Kim Dong-wook), personnage pourtant très prometteur à l’issue de la première partie. L’arc répète une intrigue qu’on a déjà vue (et en réalité déjà résolue) dans Les Deux Mondes, et est une excuse à peine voilée pour révéler le passé de Gang Rim, effleuré dans le premier volet. L’artifice est tellement évident que le film lui-même pousse l’ironie jusqu’à faire dire à Soo-hong qu’on se fiche de son histoire et que le récit de son gardien l’intéresse bien davantage. Lui et tout le monde visiblement, spectateur et réalisateur inclus.
Le film retrouve vraiment sa forme dans ces scènes de flashbacks qui nous en dévoilent davantage sur les liens qui unissent les trois personnages, ce qu’ils étaient et comment ils en sont arrivés à tenir les fonctions qu’ils occupent au lieu d’être réincarnés. Indéniablement les meilleurs scènes du film, les plus émouvantes également, elles sont au centre de cette partie qui finit d’ailleurs par resserrer toute son intrigue sur cet arc narratif lors du procès final. La reprise de cap est un peu tardive mais offre une conclusion satisfaisante avec nos trois héros, réunis de nouveau.
Un troisième et quatrième volet sont prévus pour 2021 et la scène finale ouvre clairement sur une suite, avec l’arrivée d’un personnage jusqu’ici très secondaire dans les enfers pour être guidé, et un twist assez prévisible par ailleurs qui pourrait bouleverser l’équilibre à peine retrouvé de nos gardiens. Malgré l’attachement que l’on peut éprouver pour le trio central, ces deux suites semblent quelque peu superflues et l’on peut craindre que la saga perde ce qui la rend singulière et fun dans le procédé et, en cela, rejoigne les rangs des blockbusters les plus décevants. Espérons que les gardiens de ce divertissement nous préservent de cela.
Claire Lalaut
Along With the Gods : Les Deux Mondes et Les 49 Derniers Jours de Kim Yong-hwa. Corée. 2017-2018. Sur Netflix à partir du 25/09/2019