Deuxième journée du OIMF, avec deux films sur Okinawa, Born Bone Born de Teruya Toshiyaki, une production locale de l’agence Yoshimoto avec Okada Eiji et Ayame Misaki, et Dear Summer Sister, une production ATG de Oshima Nagisa, en présence de l’actrice Koyama Akiko, épouse du cinéaste.
Histoires de sœurs racontées par des frères, l’ OIMF a eu l’excellente idée de programmer deux films que tout sépare, sauf Okinawa et son mystère. Dear Summer Sister (1972) de Oshima Nagisa compte parmi ses titres-phares tournés au cours de cette décennie, produits par ATG (de Journal d’un Voleur de Shinjuku à Boy) et dans lesquels le cinéaste s’autorisait des expérimentations formelles d’un film à l’autre. Dans sa perversité à raconter les coutumes d’un lieu, Dear Summer Sister évoque une cruauté proche de celle de La Cérémonie, chef d’oeuvre qui le précède et qui rencontra un succès plus important. La bande-annonce de Dear Summer Sister précise d’ailleurs qu’il n’y a pas de mot pour « gentil » dans la langue d’Okinawa. Caméra à l’épaule, grain de l’image organique, le film évoquait autrefois quelque chose de Jacques Rozier.
Sunaoko, fille d’un avocat de Tokyo, se rend à Okinawa pour les vacances d’été. Elle compte retrouver son demi-frère dont elle découvrait récemment l’existence après avoir reçu une lettre dans laquelle il souhaitait qu’elle le retrouve afin qu’il puisse la couvrir de son affection. Elle est accompagnée de sa future belle-mère, qui a également ses propres raisons pour s’y rendre. Tourné à Naha au début des années 70, Oshima ne ménage pas ce que subit l’île principale d’Okinawa, de la présence affichée et occupante des militaires américains à la prostitution qu’elle entraîne. Un monde que découvre et qui excite la sœur de saison qui ne saurait mesurer combien l’île était déjà occupée par les Japonais, thème qui hante l’univers d’Oshima. Film dont la facture semble s’appuyer sur un échantillonnage de références insulaires, de paysages s’emparant des corps qui le peuplent, d’une lumière chatoyante sur fond de Takemitsu.
Aujourd’hui, il en vient à révéler la part factice du projet, et combien Oshima amène avec lui, à travers ses personnages venus de Tokyo, un enchaînement d’attitudes qu’il entend dénoncer par le biais d’un excès d’une théâtralité qui pouvait lui être cher. Des repères qui échappent désormais au public japonais, tandis que la présence américaine ne saurait s’en défaire.
Quarante cinq ans plus tard, sur l’île de Aguni, Teruna Toshiyaki s’inspire pour Born Bone Born d’une histoire vraie afin d’en raconter plusieurs, celle d’un seul rituel qui se pratique toujours nous apprend le fils aîné d’une famille en deuil que l’on découvre au début du film lors du décès de la mère. Rassemblée quatre plus tard, elle se prépare pour une cérémonie qui consiste à laver les os de la défunte. Car à Aguni, on ne brûle pas les corps. Le film affiche une véritable ambition de ne pas se laisser contaminer par ce qui se trouve hors de l’île. Et lorsque rentrent les enfants, le fils qui vit à Tokyo, la fille à Nagoya, ce sont eux qu’Aguni occupe. Pas de culture globale, ni culture média ici, pas de télévision ni PC, à peine un plan d’un smartphone… Aucune allusion explicitement politique, ni spectres de l’Amérique. Cette ambition lui échappe le temps de quelques scènes, afin de répondre à ce que l’on devine être une requête comique de la production. Et bien que raconté par le fils, Born Bone Born est mené par ce qui se trame entre le père devenu alcoolique depuis la disparition de sa femme, et sa fille qui revient sur l’île enceinte et sans mari, ce que le film ne tarde pas à corriger en introduisant un acteur comique qui ne correspond en rien à la description élogieuse faite par la jeune femme auprès de sa famille, trope que la comédie japonaise maîtrise.
Au deuil auquel le père arrive enfin à mettre terme répond la naissance de son petit-fils sur la plage, au bord de la mer, aux côtés des os tous propres de sa grand-mère, et le frère de nous expliquer en voix off le sens véritable d’un rituel mis en boîte.
Stephen Sarrazin.