Après une sortie en salles remarquée cet été, Une Pluie sans fin arrive en vidéo (en DVD, Blu-ray & VOD) le 28 novembre chez Wild Side. L’occasion de revenir sur le premier film de Dong Yue. Par Martin Debat (critique) & Jonathan Deladerrière (vidéo).
1997, à quelques mois de la rétrocession de Hong Kong, la Chine se trouve à l’aube de bouleversements sociétaux et politiques qui vont changer le pays. Yu Guowei, chef de la sécurité d’une usine, assiste la police dans son enquête sur le meurtre d’une jeune femme.
C’est à cette époque charnière de l’histoire récente du pays que se tient le film, aux derniers mois d’un régime communiste fermé et replié sur lui-même qui vit encore sous un modèle post-maoïste. Un contexte lourd, situé dans une région minière où le charbon colle à la peau de ses habitants et que la pluie diluvienne ne parvient à effacer.
Dong Yue, jeune cinéaste, connaît par cœur les éléments qui font un polar, et s’inspire intelligemment des classiques du genre. Dans la première partie du film, on ne peut que reconnaître l’influence primordiale du film de Bong Joon-ho, Memories of Murder. Entre sous texte politique fort, une police de province dépassée par les événements qui n’a ni les méthodes ni les moyens d’arrêter de telles atrocités. Tous les éléments collent.
Là où le cinéaste va se démarquer de son modèle, c’est dans le portait de son personnage principal. Ce chef de la sécurité qui a ses passe-droits sur les lieux du crime grâce à ses relations avec un inspecteur, se vante de son intuition et de ses méthodes infaillibles. Orgueilleux mais ne manquant pas de ressources ou d’idées, il semble dans un premier temps intriguer, tant on se demande si sa réputation n’est finalement pas fortuite. Au travers de son enquête, on va découvrir une Chine souterraine, avec ses bals en plein air qui cachent des réseaux de prostitution, et la vie des ses habitants entassés dans des citées surpeuplées. Mais c’est surtout dans sa deuxième moitié, moins rythmée certes, que l’intrique personnelle de son anti-héros va se développer, notamment dans la relation platonique qu’il entretient avec une jeune prostituée.
A partir de ce moment, l’auteur va traiter l’obsession de son personnage à attraper le tueur en série, se servant même de son amie comme appât. A mesure que son piège se referme, le monde dans lequel il vit s’effrite, la ville minière semble se déserter et l’activité à l’usine ralentit. Lui cherche dans cette traque un moyen de se démarquer dans une société qui prône l’effacement et la force du groupe au détriment de l’individu tandis que son amie rêve d’une vie meilleure à Hong Kong et de pouvoir y ouvrir un salon de coiffure. De cette mort lente qui gangrène cette ville, il ne semble n’y avoir aucune échappatoire, comme si l’érosion due à cette pluie incessante tendait à effacer toutes traces de vie. Le film se conclut sur une note mélancolique portant un regard distancié sur cette époque, remettant en cause les souvenirs et images qui alors empreints d’une certaine poésie tenaient peut-être du domaine du rêve.
Une Pluie sans fin est un premier long métrage noir comme le charbon, et empreint d’un sentiment lancinant de mélancolie. Un film qui ne rejette pas ses influences, mais qui au contraire les embrassent pour accoucher d’une forme plus personnelle. Après Black Coal, on commence à voir émerger sur nos écrans une nouvelle forme de polars qui au travers d’intrigues policières nous racontent la Chine contemporaine sous un jour que l’on n’a pas l’habitude de voir. Un genre qui explore la noirceur de l’âme humaine avec un regard critique et sociologique sur son époque et son pays.
Martin Debat.
– Naissance d’un film (12’)
– Portrait de l’acteur principal (10’)
– Portrait du réalisateur Dong Yue (10’)
Wild Side est un éditeur engagé, toujours soucieux de proposer au public français des pellicules originales, souvent indépendantes et toujours captivantes du point de vue cinéphile. Cette fois encore, l’éditeur/distributeur propose des suppléments certes convenus mais efficaces ; dont un rendez-vous inédit d’une petite demi-heure avec le réalisateur. Polar poisseux et référencé drapé sous des oripeaux post-apocalyptiques, et malgré une beauté poussiéreuse et métallique étouffante, Une Pluie sans fin ne réussira jamais à se départir de ses deux plus flagrantes inspirations : Memories of Murder et Se7en.
Côté bonus donc : En attendant la tempête demeure le morceau de choix de cette édition. L’interview précitée et effectuée par le spécialiste Julien Dupuy a le mérite d’englober tout le processus de création de ce premier. Malgré l’oubli dommageable de l’éditeur de n’indiquer aucun contexte spatio-temporel à cette rencontre, on y revient entre autres sur la genèse du projet, le tournage et la personnalisation que le metteur en scène souhaitait donner à son œuvre. Ceci étant, peut-être aurait-il été plus judicieux de privilégier un commentaire audio avec ce dernier, les deux acteurs principaux et le surdoué chef opérateur (premier métier du cinéaste). Nous aurions ainsi pu en apprendre davantage sur la recherche picturale de Cai Tao, oscillant toujours en équilibre entre l’anthracite et l’or. Tout comme sur le goût d’inachevé du module sur Duan Yihong, in fine très sage face à un protagoniste obsessionnel suffisant, et sans même évoquer l’autre personnage fondamental : la fonderie. On imagine aisément la difficulté d’obtenir en Chine du matériel promotionnel engageant et surprenant. Autant concéder ici que ces trois modules, notamment Naissance d’un film présentant les membres de l’équipe, les acteurs ou les images de tournage semblent être réalisées par l’office de tourisme… Montage rapide et crescendo, insupportable piano d’ambiance empathique car probablement destiné aux marchés internationaux, fous rires incessants… Si ce n’est donc la rencontre du réalisateur, les featurettes n’ont d’intérêt que pour un visionnage de détente. Elles sont divertissantes et magnifiées car tournées en HD mais inoffensives malgré la thématique de la rétrocession lourde de sens.
Jonathan Deladerrière.
Une Pluie sans fin de Dong Yue. Chine. 2017. En vidéo DVD, Blu-ray & VOD chez Wild Side le 28/11/2018