FFCP 2018 – ENTRETIEN AVEC JEON GO-WOON POUR MICROHABITAT

Posté le 11 décembre 2018 par

Cette année, nous avons la chance de découvrir Jeon Go-woon, une jeune et précieuse autrice de cinéma coréen. Le FFCP tend à mettre en avant et à raison, les femmes réalisatrices et cette dernière confirme une nouvelle fois le rôle essentiel qu’elles jouent au sein de l’industrie du cinéma. C’est dans la section Portrait que nous avons pu voir dans un premier temps ses deux courts-métrages de jeunesse qui posent un regard dur et assez cru de la place des femmes dans la société coréenne. Puis ce fut son formidable premier long-métrage qui a séduit les spectateurs malgré son sujet. Elle a d’ailleurs obtenu une note identique sur Sens critique au film lauréat du prix du public de cette année. Nous attendons à présent son prochain film avec impatience.

Dans vos deux courts métrages Bad Scene et Too Bitter To Love, vous abordez des thématiques fortes sur la place de la femme coréenne au sein d’une société patriarcale et confucéenne. Souhaitiez-vous depuis longtemps les aborder ? Comment les traiter à l’écran ?

Ces deux courts-métrages ont été réalisés respectivement l’un il y à dix ans et l’autre cinq années plus tard. J’étais forcément plus jeune à l’époque et je ressentais les choses de manière différente. Depuis, la société coréenne a beaucoup évolué. Il y a dix ans, la situation était compliquée pour les femmes dans le milieu du travail mais depuis cela a bien évolué. A l’époque c’était tellement palpable que j’ai voulu en parler dans mes films.

Dans les deux films, la femme est objectisée aux désirs de l’homme. Comment trouver la juste distance pour raconter la violence de ces rapports ?

Je pense qu’en tant qu’étranger vous devez peut-être ressentir les choses différemment que les Coréens. Too Bitter To Love raconte l’histoire de deux ados qui font l’amour pour la première fois. Une première expérience. Je me suis rendue compte que si l’on aborde cette histoire d’un point de vue du garçon ou de la jeune fille, la perception est diamétralement opposée. Si un jeune homme de 15 ans a son premier rapport, personne ne va le pointer du doigt en disant qu’il a fait une grosse connerie. Dès lors, l’histoire devient totalement différente si c’est une jeune fille. C’est ce que je montre dans ce film, avec cet adulte malveillant qui la fait chanter en la menaçant de révéler à sa mère qu’elle a eu une relation sexuelle. C’est ce qui m’avait interpellée. Je ne voulais pas montrer que la femme subit toutes ces pressions de la société coréenne, mais je souhaitais plutôt montrer le point de vue d’une femme au sein de cette même société et voir comment elle est perçue.

Microhabitat, un peu à la manière de votre court métrage Bad Scene fonctionne comme un microcosme de la société coréenne actuelle. Pourquoi utilisez-vous ce type de structure narrative ?

Je suis encore une jeune cinéaste et je suis encore en train chercher ce que j’aime et mon style. Maintenant, quand vous me faites remarquer des points communs entre mes films, il se peut qu’il y ait de manière inconsciente des rapports entre les deux films.

Dans votre film, je suis tombé sous le charme de vote personnage Miso. Comment est né ce personnage ?

A l’époque j’étais jeune mariée, et avec mon mari nous cherchions à emménager dans un petit deux pièces à Séoul. Les prix de l’immobilier étaient tellement élevés, nous ne parvenions pas à trouver un logement décent. J’étais révoltée, triste et désemparée. A cette même époque je venais de créer ma société de production Gwanghwamun Cinema avec mes camarades d’université. Cela fonctionne comme un pot commun pour aider dans un certain ordre chacun des membres à réaliser son film. Il s’avère qu’au moment où est venu mon tour, j’avais ce sujet en tête, et cela a été le moteur de mon film. En temps normal, je suis de nature impulsive, j’ai envie d’aller manger un steak, j’y vais. Peu importe le prix. A ce moment-là, je me suis rendue compte malgré moi que ce n’était plus possible. Il fallait faire des concessions pour payer un loyer et trouver un nouvel appartement. Je me suis rendue que cela ne me ressemblait pas et ce n’était pas la vie que je souhaitais mener. Mes amis et moi nous vivions tous dans la même situation. Nous étions jeunes et nous avions du mal à nous en sortir en raison des prix des loyers exorbitants. Quand j’ai réalisé que beaucoup de jeunes Coréens vivaient dans la même précarité, le même stress, j’ai voulu créer un personnage qui vit totalement détaché de cela. C’était un peu une bulle d’air, une façon de m’échapper de ces contraintes de la vie à Séoul.

A la vision de votre film il en ressort un peu le sentiment que les idéaux, les rêves de jeunesse ne sont pas solubles dans la vie adulte. Qu’en pensez-vous ?

Je ne peux prétendre connaître tous les avis des jeunes. On avait, en effet, à cet âge certains idéaux ou du moins une vision quelque peu idyllique. Aujourd’hui, arrivé à la trentaine, dans mon entourage, ça n’existe plus. Je n’ai pas le sentiment que les jeunes, qui ont la vingtaine actuellement ont ce type d’espérances. Ce qui a le plus changé quant aux relations humaines, est que quand nous étions plus jeunes, nous étions plus aptes à nous écouter les uns et les autres, on pouvait se confier et on se souciait des autres. Aujourd’hui ce qui importe est dans quel quartier on vit, quelle voiture on a, et comment on vit. De nos jours, si un ami vous appelle pour vous dire qu’il est à la détresse, on a tendance à lui raccrocher au nez parce qu’il nous prend du temps. C’est effectivement très triste d’en arriver là.

L’un des traits physiques marquants dans le personnage de Miso est la longue mèche blanche qu’elle arbore. Que souhaitiez-vous symboliser ?

Nous avons tous dans notre entourage une certaine Miso, à tout âge, de l’enfance à notre vie d’adulte. Plus on grandit plus on a tendance à vouloir couper les ponts avec ce type de personne assez anticonformistes. On se met des œillères et on fait en sorte de ne pas les voir. Je voulais qu’elle porte symboliquement un code visuel fort et facilement identifiable de sa condition. Etant donné que la grande majorité de la population coréenne a des cheveux bruns, c’était un moyen pour moi que les spectateurs puissent la reconnaître facilement à la fin du film.

Aviez-vous dès le casting une image précise de votre Miso ou cela s’est précisé durant la rencontre avec votre actrice Esom ? 

Vu qu’il s’agit d’une production indépendante, pour pouvoir être distribué en salles, le film avait besoin d’avoir en tête d’affiche une actrice connue avec une certaine cote de popularité. Je n’aurai pas du tout pensé à une personne comme Esom pour le rôle. J’avais besoin certes d’une actrice un peu connue mais surtout quelqu’un qui puisse interpréter un personnage comme Miso qui adore fumer. En Corée les actrices font très attention à leur image, et fumer c’est se griller auprès de ses sponsors pour tous les contrats publicitaires. C’est très mal vu. J’ai finalement rencontré Esom, qui n’en avait rien à faire de son image, elle était motivée pour jouer le rôle. J’avais besoin de trouver la personne qui aimerait le film autant que moi, et c’était Esom.

Que pensez-vous du cinéma coréen actuellement ?

Je ne sais pas vraiment ce qu’est l’industrie du cinéma coréen aujourd’hui mais en tant que spectatrice je trouve ça chiant ! Que ce soit aussi bien du côté des films commerciaux que des films indépendants. En tant que réalisatrice c’est d’autant plus compliqué, je viens du cinéma indépendant et il est difficile de proposer une idée qui ne plaira pas forcément à un large public. J’en viens à quémander dans on entourage pour qu’untel joue dans mon film ou qu’un autre travaille avec moi. Et quand bien même je parviens à réunir toutes ces personnes sur un projet et que l’on parvienne à le sortir en salles, malgré toutes les contraintes, il ne dure à l’affiche qu’une petite semaine. Et quand on arrive à un tel résultat on se demande pourquoi persévérer dans cette voie, pour en arriver à si peu en retour. J’adore par exemple des cinéastes comme Lee Chang-dong et Hong Sang-soo, ils sont pour moi des figures emblématiques, ils expérimentent de nouvelles choses au sein du cinéma coréen. Ils ont une vision différente. Je pense que si l’on persiste dans cette voie nous n’aurons pas de nouveaux auteurs de cette trempe.

Propos recueillis par Martin Debat à Paris le 05/11/2018.

Traduction : Ah-ram Kim.

Remerciement : Maxime Laurent, Marion Delmas, ainsi que toute l’équipe du FFCP.

Microhabitat de Jeon Go-woon. Corée. 2017. Projeté lors de la 13e édition du Festival du Cinéma Coréen à Paris.