Dans deux petits jours sortira en salles The Spy Gone North, thriller d’espionnage sur fond de tension entre les deux Corées qui a doublement triomphé à L’Étrange Festival 2018 : le film de Yoon Jong-bin remportant à la fois le Grand prix et le prix du public (soit tous les prix possible pour un long-métrage), après avoir été présenté à Cannes Hors Compétition. Les Parisiens auront également la chance de le découvrir au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), en avant-première !
Le sujet des relations entre la Corée du Nord et celle du Sud est tellement riche et complexe, en plus d’être plus que jamais d’actualité, qu’il était impossible que le cinéma coréen ne s’y intéresse pas. Que ce soit Park Chan-wook et son meurtre à la frontière avec JSA, ou bien encore Shiri, avec son terroriste nord-coréen menaçant de faire exploser un stade à Séoul, les cinéastes ne chôment pas, et le font avec plus ou moins de talent, d’objectivité et de finesse, le Nord s’en tirant assez régulièrement avec le mauvais rôle. Au tour de Yoon Jong-bin de s’atteler à la tâche avec un film d’espionnage à l’ancienne, au sujet passionnant et à la facture technique impeccable, mais handicapé par un rythme que l’on qualifiera d’inégal, et au scénario qui donne parfois l’impression de se perdre en route.
L’intrigue est basé sur l’histoire vraie de Park Chae-seo, alias Black Venus, agent sud-coréen chargé par les services secrets d’aller espionner le Parti de Kim Jong-Il et ramener des informations sur les avancées nucléaires du pays. Un plan qui, et ce n’est vous spoiler le film que de le mentionner, ne s’est pas déroulé sans accroc, les multiples échanges avec le Parti et ses voyages ayant enfreint de nombreuses lois en cours, sans oublier que la Patrie n’est pas toujours tendre avec ses héros, avec une reconnaissance inversement proportionnelle au service rendu à la Nation.
Le film suit donc notre agent dès son recrutement, avec les services secrets qui vont le sortir de sa retraite et l’envoyer au charbon de l’autre côté de la frontière. Autant vous prévenir d’entrée de jeu, si vous vous attendiez à un thriller palpitant sur fond d’espionnage, passez votre chemin. Le film est long, bavard, parfois trop compliqué pour son bien et bénéficie d’une interprétation aux talents variables qui plombe l’ensemble.
Si le premier tiers du film est plutôt agréable à suivre, dans un contexte géopolitique qui nous est clairement présenté avec les enjeux de cette mission on ne peut plus risquée (Park, s’il échoue, sera responsable d’un refroidissement complet des relations entre le Nord et le Sud, et accessoirement coupable d’espionnage), le deuxième tiers se montre beaucoup plus compliqué à suivre. Le scénario perd de vue son sujet, l’enquête sur le nucléaire nord-coréen donc, et envoie son personnage principal, transformé en VRP officiel, aux quatre coins de la Corée du Nord en passant par Pyongyang chez le Général, pour discuter vente de bâtiments et profit. Le script met parfois complètement de côté les risques de Park de se faire griller, quand bien même un des généraux de l’armée semble avoir quelques doutes, et passe près de 20 minutes à diluer une histoire qui gagnerait parfois à aller plus rapidement à l’essentiel et à moins enchaîner les discussions dans les salons dorés du Parti.
Autre point noir, le personnage de Park, qui n’est pas aidé par l’interprétation de son acteur. Obligé d’interpréter un homme à qui on a demandé de jouer un rôle, Jung Min-wan est tantôt excessif (on se demande d’ailleurs comment il arrive à ne pas se faire démasquer), tantôt d’une passivité émotionnelle préjudiciable, et au bord du craquage, ce qui laisse sceptique quant au choix des services de renseignement qui s’est porté sur lui et son mental infaillible.
Mais face à notre héros en immersion chez l’ennemi, on découvre un personnage beaucoup fois plus intéressant : Ri Myung-woon, membre incorruptible et raide comme la justice, et qui va lui servir d’interlocuteur. S’il apparaît de prime abord comme le parfait antagoniste de Park Chae-seo, il va se révéler plus complexe et travaillé dans son écriture, et devenir un personnage passionnant à suivre, tiraillé entre dévotion totale (et forcée) au Général et doute face à une dictature qui affame les plus faibles et privilégie les plus riches. Son interprète arrive à exprimer cette rigueur de façade derrière laquelle se niche une humanité et un dégoût grimpant pour les méthodes employées, une dualité morale qui explose lors d’une scène glaçante de visite en campagne nord-coréenne.
Autre point fort du film, sa mise en scène. Yoon Jing-Bin emballe un film classieux, à la mise en scène qui verse parfois dans le clacissisme mais qui soigne ses cadres et sa lumière. Préférant les longs dialogues et les échanges de regards dans des salons que la violence et les coups de feu, le réalisateur insiste beaucoup sur l’importance du dialogue avant l’usage de la force pour régler les crises, et parvient à ramener les grands conflits nationaux de l’histoire à une petite échelle, lorsque le futur de deux nations ne tient qu’à une amitié naissante et au respect mutuel entre deux hommes que tout oppose.
Le bilan est globalement positif concernant The Spy Gone North, et nous ne sommes pas passés loin d’un grand film d’espionnage sur un sujet brûlant et toujours d’actualité. Malheureusement, le ventre mou du film peut faire rapidement décrocher le spectateur (le film aurait largement tenu la route en deux heures), le scénario prend parfois la tangente et se perd en négociations et contrats de ventes d’immeubles, loin de la menace nucléaire qui était à la base le leitmotiv de cette opération.
Romain Leclercq.