LE FILM DE LA SEMAINE – Silent Voice de Yamada Naoko : If Only the Whole World Loved Me (en salles le 22/08/2018)

Posté le 22 août 2018 par

Forte de son expérience dans les séries d’animation (K-ONTamako Market) et des longs-métrages qui en découlent, Yamada Naoko nous offre une nouvelle adaptation, cette fois de Oima Yoshitoki (Mardock Scramble) avec Silent Voice qui sort aujourd’hui en salles. La jeune réalisatrice se démarque par un traitement singulier des tourments adolescents et nous dresse un portrait de la jeunesse japonaise.

Silent Voice n’est pas une énième romance avec une structure « slice of life » (tranches de vie) comme peut nous l’offrir le cinéma japonais aussi bien en live qu’en animation. Le film brille par un habile mélange de chroniques lycéennes/scolaires et de drame à travers la surdité de Shoko, la protagoniste principale. Le métrage démarre sur la tentative de suicide ou du moins les pulsions suicidaires de Shoya, un lycéen. Nous apprenons très vite que son suicide est alors l’acte final d’une quête rédemptrice qu’il entreprend après avoir martyrisé une camarade de classe sourde, Shoko. Le suicide marque le point de départ du film qui se déroule en deux grandes parties. La première est l’enfance des protagonistes, et donc l’ijime (bizutage) de Shoko par Shoya et son groupe d’amis jusqu’à l’éclatement de ce dernier. La deuxième se déroule quelques années plus tard lorsque Shoya tente de récréer le groupe dans le but de se faire pardonner mais surtout de permettre à chacun de trouver la paix, et de surmonter leurs difficultés.

On pourrait croire, devant un tel programme, que ce ne serait qu’une variation sans intérêts de poncifs du genre. Mais la mise en scène et les choix de Yamada Naoko rafraîchissent l’animation japonaise alors que le chef-d’œuvre de Shinkai Makoto, your name., est toujours dans l’esprit. La réalisatrice nous accroche dès son intro avec l’utilisation de la chanson des WhoMy Generation. Comme dans le film de Shinkai Makoto, c’est un moment qui a la forme d’un opening d’une série japonaise mais qui est pertinent dans le film car il permet de condenser un ensemble d’informations, et de donner un ton particulier à l’ensemble. De plus, l’utilisation d’un morceau reconnaissable donne tout de suite une dimension universelle explicite à la situation et surtout l’inscrit comme une œuvre d’animation générationnelle au-delà de la niche « slice of life » dont il semblerait venir. Yamada Naokoconstruit à travers des détails comme ceux-ci l’identité singulière de son œuvre, par petite touche, elle offre une sorte de renouveau à la japanimation. Par exemple, Shoya vit avec sa mère coiffeuse, et sa nièce qui est métisse. Seul le père de cette dernière qui semble être afro-américain est visible dans le film. Ce n’est pas un Japon intemporel et fantasmé qui sert de base au film de Yamada, mais la modernité de la jeunesse japonaise dans sa diversité et son âpreté.

A Silent Voice

En effet, le film brille aussi par le contraste entre la violence des événements et la mise en scène de cette violence. Nous sommes confrontés à de la violence physique frontale, comme le sang qui coule des oreilles de Shoko après la mauvaise farce de Shoya mais également à une violence psychologique que Yamada retranscrit parfaitement par une mise en scène audacieuse qui va de la métaphore à l’abstraction sensitive. Certes, on peut être réticent face au caractère très explicite de certaines décisions formelles ou certaines idées, comme les croix sur les visages des personnages dans le point de vue de Shoya car il est indifférent au monde. Ou les occurrences kawaii de Shoko quand elle tente de communiquer. Mais nous devons garder à l’esprit que le film parle de jeunes dont les traumatismes et la fragilité sont palpables et la confusion, totale. Ainsi, les personnages sont tous très denses, et même s’ils ont une valeur archétypale pour les amateurs de japanmiation, le film inscrit vraiment leur malaise dans des événements concrets. La séparation du film en deux parties est donc extrêmement pertinente pour nous permettre de vivre avec les personnages les situations qui les construisent, et les structurent. Même des personnages secondaires ou mystérieux comme Yuzuru (la sœur de Shoko) ou la mère de Shoya ont une véritable incidence dans la mécanique narrative et formelle du film. Chacun porte une sorte de mélancolie ou de sentiment doux-amer symptomatique de cette génération qui ne fait que communiquer mais n’arrive pas à se comprendre.

Cette galerie de personnages assez complexes nous permet de parcourir un spectre d’émotions assez large dans des situations extrêmes. On passe d’une rencontre amicale au malaise de l’émergence des souvenirs douloureux en quelques plans par l’attention que porte Yamada Naoko au corps qu’elle met en scène, et au montage. La surdité de Shoko entraîne également un travail sur la parole, les non-dits, les quiproquos. La présence du handicap donne une emphase à des situations qui sont déjà compliquées pour des adolescents en pleine possession de leur moyen, que ce soit les déclarations, les disputes ou les aveux. Mais ce n’est pas un simple effet, la condition de la jeune fille est également traitée avec délicatesse et beaucoup d’empathie de la part de la réalisatrice qui montre la difficulté du quotidien sans tomber dans le misérabilisme. La structure du film permet également de ne pas proposer un film trop lourd à l’aune des thèmes et de la richesse de la vision de Yamada sur cette œuvre. Néanmoins, les deux ou trois climax qui ponctuent le film sont symptomatiques de cette nouvelle vague de la japanimation qui construit ses films comme une somme de 3 ou 4 épisodes d’un OAV, c’était également le cas de your name. Cette approche pourrait rebuter, mais le rythme et la cohérence esthétique de l’œuvre portent le spectateur dans un voyage émotionnelle à travers le pire et le meilleur de l’adolescence.

A Silent Voice 2

Silent Voice s’avère être une surprise du renouveau de l’animation japonaise. A travers son audace et sa justesse,Yamada Naoko nous offre un portrait touchant de la jeunesse. Entre les intenses relations à l’aune d’un handicap et la confusion existentielle propre à l’adolescence, le film nous révèle une réalisatrice qui semble porter un regard nouveau sur le cinéma d’animation japonais. En attendant de la retrouver au commande d’un nouveau projet, Silent Voice est désormais une œuvre fascinante de la japanimation qui mérite qu’on s’y attarde, voire un film sur la jeunesse qui pourrait briller à côté de Colorful ou 5 centimètres par seconde.

Kephren Montoute.

Silent Voice de Yamada Naoko. Japon. 2017. En salles le 22/08/2018