LE FILM DE LA SEMAINE – La Saison du diable de Lav Diaz : No Love In The City (25/07/2018)

Posté le 25 juillet 2018 par

Après le triste mais magnifique La Femme qui est partie, le cinéaste philippin Lav Diaz retourne dans les troubles et la tragédie de l’histoire récente de son pays. La Saison du diable nous montre la violence du passé pour tenter de comprendre celle qui nous frappe aujourd’hui, ou du moins celle que l’on ressent.

En 1979, le président philippin Ferdinand Marcos instaure la loi martiale. L’œuvre de Lav Diaz nous propose de suivre différents protagonistes durant cette période, qui tentent de résister chacun à leur manière à une puissance autoritaire et mortifère. Le cinéaste philippin continue ses expérimentations. Cette fois, il se sert de la comédie musicale pour montrer la sombre fatalité de l’Histoire. Il y a avant tout une volonté de nous faire vivre l’histoire comme une étrange mise en scène du passé, ce qui est à la fois un geste d’une grande puissance cinématique mais également poétique. C’est aussi de poésie dont il est question, avec le personnage de Hugo Haniway qui subit ce nouveau système autant qu’il tente de s’y opposer par sa liberté qui passe nécessairement par la beauté, donc la poésie. Le cinéaste dissémine ses peurs et ses réflexions contemporaines à travers la vision d’un passé réenchanté par une noirceur désaxée.

La fascination qui émane de La Saison du diable vient du double contraste de la proposition de Diaz. Il y a d’abord son dispositif habituel, le noir et blanc, le mélange des acteurs professionnels et non-professionnels, l’irruption de l’Histoire dans les histoires. Mais il y a également la présence du chant et d’une musicalité singulière qui surligne le mélange des genres. On chante aussi bien sa misère que la misère que l’on inflige, comme si tout le monde était frappé du sceau de l’absurdité d’un système que le cinéaste montre et démonte avec une certaine virtuosité. L’image atteint des degrés de picturalité qui font écho à ses œuvres précédentes sous l’influence des cinéastes et écrivains russes. Il y a donc une recherche sur la lumière de la part du cinéaste qui coïncide avec celle de ses personnages. Il tente de rendre clair et aussi limpide le chaos du monde qu’une comédie musicale. Un peu comme Bruno Dumont avec Jeanette, il intègre le genre pour tenter de corrompre la vision du réel à ses codes.

Ce n’est néanmoins pas sans défauts que les expérimentations aussi extrêmes se permettent d’exister dans le paysage cinématographique contemporain. Il y a justement des problèmes de rythme qui, en général, est justement l’un des points forts du maître philippin. Comme si l’utilisation de gimmicks et les enjeux politiques avaient affaibli un montage qui pouvait être vertigineux dans sa pertinence. On reste quand même subjugué devant une telle audace esthétique et une recherche constante qui font de l’auteur philippin l’un des plus grands cinéastes du présent.

Kephren Montoute

La Saison du diable de Lav Diaz. Philippines. 2018. En salles le 25/07/2018

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