En partenariat avec Elephant Films, Splendor Films propose de redécouvrir sur grand écran 6 chefs-d’oeuvre de Suzuki Seijun en version restaurée : Detective Bureau 2-3, La Jeunesse de la bête, La Barrière de chair, Histoire d’une prostituée, Le Vagabond de Tokyo et l’inclassable La Marque du tueur.
Sans atteindre le génie formel et la folie de ses opus les plus audacieux (La Marque du tueur en tête), Détective bureau 2-3 est une œuvre emblématique du style de Suzuki Seijun. Après des débuts en tant qu’assistant réalisateur à la Shochiku, Suzuki intègre la Nikkatsu au milieu des années 50 et la politique du studio lui permettra de produire ses meilleurs films à partir des années 60. La Nikkatsu se spécialise en effet dans la série B à petit budget, dans des productions souvent destinées à être des doubles programmes de films plus prestigieux. Le polar est un des genres rois pour des titres destinés à la jeunesse, et sur des trames classiques les réalisateurs jouissent d’une certaine liberté de manœuvre, Suzuki Seijun pouvant s’adonner à des expérimentations de plus en plus extravagantes, jusqu’au point de rupture de La Marque du tueur qui lui vaudra le licenciement du studio.
On a donc ici un scénario archétypal qui sera dynamité par l’esthétique tapageuse de Suzuki Seijun. Un gang de yakuzas mystérieux et bien renseigné s’immisce durant les transactions frauduleuses de ses rivaux, trucidant tout le monde et empochant la marchandise. Un suspect, Manebe (Tamio Kawaji), est rapidement appréhendé mais doit être libéré faute de preuves. Le détective privé Hideo Tajima (Jô Shishido), sous couverture, va se rapprocher de lui et infiltrer son gang. Le film est à contre-courant du film de yakuzas classique où les criminels endossent une aura mythique et héroïque. Ici Suzuki se fait subversif en en faisant des êtres vils et bêtement violents, notamment lors de la séquence où ils attendent tous la sortie de prison de Manabe pour le trucider. Suzuki les filme comme une sorte de zoo surexcité et assoiffé de sang, un troupeau dont l’identité se perd dans un magma de visages haineux et de gestuelles menaçantes. Plus tard lorsque Tajima remontera la piste du gang, ses éminences se révèleront sans grand charisme ni aura inquiétante. Au contraire de la démarche rageuse et politisée d’un Fukasaku Kinji (Combat sans code d’honneur, Le Cimetière de la morale) qui inscrivait une même démythification dans un vrai contexte politique et historique, Suzuki fait de son environnement un pur monde de cinéma délirant, pop et bariolé.
C’est à son héros que Suzuki réserve son inspiration, Shishido imposant à la fois élégance et présence virile renforcée par son physique étrange et ses fameuses joues enflées. Une première apparition digne de James Bond dans un casino, un bagout et un sang-froid à toute épreuve, ce Tajima est le héros indestructible par excellence. Toujours calme et stoïque quand tout s’agite autour de lui, Suzuki en fait paradoxalement un véritable agent du chaos et du désordre (un peu à la manière de MifuneToshiro dans le Yojimbo de Kurosawa) qui fait dynamiter la mafia yakuza de l’intérieur. Les personnages positifs bénéficient d’un même traitement soigné quel que soit leur temps de présence à l’écran, on pense à cette jeune femme acoquinée malgré elle au yakuza (Reiko Sasamori) dont les fêlures contenues se laissent deviner avant que l’intrigue ne les révèle. Les acolytes de Tajima sont très réussis également, entre l’homme de main souffre-douleur et une détonante partenaire féminine pleine d’énergie. Formellement nous n’en sommes pas encore aux expérimentations formelles qui feront le sel des films suivant de Suzuki, mais l’ensemble ne manque pas d’idées et s’avère très percutant. Les scènes d’action sont stylisées et nerveuses, autant pour générer l’adrénaline (la fuite de Manebe qui entraine une superbe séquence de poursuite en voiture) que la tension (la scène où Majima est pris au piège dans un entrepôt enflammé). L’élégance de la mise en scène de Suzuki fait merveille, que ce soit dans le mouvement (ce splendide travelling qui accompagne l’arrivée de Tajima dans le garage) que dans les cadrages, les compositions de plans et la beauté pop qui se dégage de toutes les séquences de cabarets.
Sous cette maîtrise toute en retenue, les débordements futurs se devinent néanmoins telles les retrouvailles entre Manebe et sa maîtresse dans un appartement baignant dans une photo jaune/rouge saturée, manifestation visuelle de leur relation torturée et lorgnant sur le SM. Pas le meilleur Suzuki donc, mais une bonne entrée en matière pour les néophytes avant de tenter des titres aussi fous que La Vie d’un tatoué (1965), La Barrière de la chair (1964), Le Vagabond de Tokyo (1966) ou bien sûr La Marque du tueur (1967).
Justin Kwedi.
Événement : Rétrospective Suzuki Seijun en 6 films. Plus d’informations ici.
Detective Bureau 2-3. Japon. 1963. En salles le 28/03/2018.