Alors que Netflix propose depuis le 29 décembre Blade Of The Immortal sur sa plateforme, retour sur le dernier film de Miike Takashi avec deux points de vue sur l’adaptation du manga de Samura Hiroaki, L’Habitant de l’infini, un entretien réalisé à Cannes 2017 lors de sa présentation hors-compétition et un mini-podcast spécial sur le film. Par Stephen Sarrazin, Nicolas Lemerle et Victor Lopez.
BLADE OF SMAP, L’ÈRE D’UNE AUTRE COIFFURE
par Stephen Sarrazin
Blade of the Immortal raconte l’histoire du samurai Manji, témoin impuissant de la mort de sa sœur, sa vengeance faisant plus de cent victimes. Une nonne de 800 ans lui jette un sort, celui de l’immortalité. Il devra tuer plus de 1000 hommes qui le méritent avant de pouvoir retrouver le droit de s’éteindre. Il croise Rin l’orpheline, dont les parents furent tués par un jeune virtuose du sabre, Anotsu, qui a pour but d’éliminer toutes les écoles et de fusionner les styles de combat afin de créer un seul dojo, le Itto-ryu. Manji y voit l’occasion de se racheter et se met à éliminer chacun des sbires de ce maître ravageur. Cela permet à Miike de mettre en scène un enchaînement chorégraphique de duels, jouant de la surenchère pour chaque adversaire. On regrettera que cette école fusionnelle compte autant de singularités : Miike, virtuose désinvolte dont le propos de l’œuvre s’étiole, étire ce concept afin de proposer une série de vignettes autour du sabre et son tranchant. Manji prend les coups, voit sa main amputée, puis lui revenir avant d’éliminer ceux qu’on le devine être les plus brillants représentants de l’Itto-ryu. A cet égard, le réalisateur ne lorgne pas du côté du cinéma d’arts martiaux chinois ; il est question d’école, mais jamais de style. Blade of the Immortal affiche également un plaisir iconographique à citer des plans de brume qui doivent aux films de Kurosawa, Kobayashi et Gosha, ainsi qu’aux accélérations de sabres dégainés dans les chambara de Misumi. Un film qui n’invente rien, qui met en scène un héros partagé entre son désir de rédemption et celui de sa mort. Un film qui saigne à languir.
Il y a cependant une espièglerie à laquelle Miike se laisse aller, qui se ‘cache’ dans le casting de Manji. La présence de Kimura Takuya dans le rôle du samurai pose un regard ironique sur la notion de contrat qui lie les stars de variétés au Japon et leurs impressarios, à l’image de celui auquel Manji ne peut échapper, scellé par ces parasites glissés par la nonne dans les blessures béantes du samurai et qui veillent sur leur bien. Kimura fut le membre le plus célèbre du premier boys band contemporain japonais, SMAP. Star de la pop, de la pub, de nombreux feuilletons qui ont fait date dans l’histoire de la télévision japonaise (de Long Vacation à Hero), de quelques films, y compris 2046 de Wong Kar-Wai. Il dut pourtant attendre vingt-cinq ans (et l’aide d’avocats courageux) avant de pouvoir mettre un terme à cette carrière pop à l’âge de quarante ans. Avant de s’éloigner de l’agence Johnny’s, modèle impitoyable qui inspira Yasushi Akimoto, le producteur derrière l’armada AKB 48. Manji/Kimura accomplit un véritable chemin de… croix avant d’être libéré. Hélas, ce dernier n’aura jamais eu de véritables occasions d’exister devant une caméra de cinéma. La télévision l’a aimé, avec ses lèvres pleines, ses mouvements de mâchoire inférieure qui signalent un temps de réflexion, un sourire attachant, arrogant. Qui a sûrement aimé son public. Mais qui peine chez Miike à résonner, à ne pas être éclipsé par Fukushi Sota/Anotsu, incarnation de chair du trait de manga actuel. Kimura avait toujours le front dégagé, afin de permettre un regard à la fois chaleureux et moqueur. Fukushi quant à lui joue de cette frange fine qui camoufle les yeux. Il y a si peu à voir.
Stephen Sarrazin.
ENNUI IMMORTEL
par Nicolas Lemerle
On le sait, Miike Takashi et les adaptations, ça flirte souvent avec le navet intersidéral, surtout qu’un manga est toujours très difficile à retranscrire en long-métrage sans subir une simplification extrême. Néanmoins, n’ayant pas lu l’œuvre d’origine, on va se concentrer uniquement sur les arguments intrinsèques du film sans réellement juger le travail d’adaptation. De toute façon, le point de départ est très commun. On suit le samouraï Manji, devenu immortel à la suite d’une malédiction, qui décide de s’associer en tant que garde du corps à la quête de la jeune Rin, dont la famille a été massacrée par les membres d’Ittô-Ryû, une école qui cherche, sous l’impulsion de leur chef Kagehisa Anotsu, à unifier tous les dojos sous leur bannière, en utilisant la force s’il le faut. S’en suit une longue série d’affrontements contre les piliers de l’organisation, qui va constituer l’essentiel du fil rouge de l’intrigue.
Passer après la trilogie Kenshin n’est pas une chose aisée, tant l’œuvre de Otomo Keishi offre une belle relecture du genre chanbara, en plus d’être une adaptation tout à fait honorable du manga d’origine. Miike lui se contente de recycler son univers débridé, s’appuyant sur le surjeu des acteurs et ses délires habituels. Le film commence pourtant fort avec un combat en noir et blanc entre Manji et une centaine de bandits. Les différents protagonistes sont introduits avec une certaine classe. On sent que Miike s’inspire de l’imagerie manga en iconisant ses personnages à outrance. Mais très vite les séquences se répètent, les combats s’accumulent jusqu’à l’overdose, le rythme s’étiole et l’ennui pointe le bout de son nez. Le réalisateur japonais ne lésine pas sur les effets gores et parvient à nous réveiller de temps en temps grâce à un moment un peu plus délirant que les autres, ou grâce à affrontement un peu plus original contre l’un des boss de l’organisation, mais ça ne suffit pas à garder notre attention jusqu’à la fin.
Malgré tout, Miike soigne esthétiquement son film, et se permet quelques plans de toute beauté, tirant le maximum de ses décors naturels. Blade of the Immortal dispose d’un vrai travail de représentation et de reconstitution qui lui donne un certain cachet. Le potentiel se voit clairement à l’image, et on aperçoit par intermittence le grand film de sabre que ça aurait pu être, mais Miike retombe très vite dans ses travers, le systématisme de la narration finissant par provoquer un sentiment de lassitude irrémédiable.
Nicolas Lemerle.
ENTRETIEN AVEC MIIKE TAKASHI
par Victor Lopez
Vous avez réalisé des films dans tous les genres cinématographiques possibles, mais est-ce que le film de samouraï est particulièrement important pour vous ?
Oui, surtout parce qu’au Japon, les jeunes générations ne cherchent plus à voir des films de samouraïs. C’est donc très compliqué d’en réaliser un qui a du succès. C’est pour moi une manière de résister. Car je pense que si l’on arrête de faire des films de samouraïs, on va perdre les acteurs qui ont la capacité de jouer ces personnages et les équipes qui peuvent les faire. On n’aura plus ce savoir-faire. Je suis d’une génération qui a grandi avec ces films : la génération de cinéastes au-dessus de la mienne faisaient beaucoup de films historiques, alors que celle en dessous n’en fait pas. Donc, quand je peux faire un film d’époque, je fais très attention à ce que les personnages mangent, s’habillent ou parlent selon leur position sociale (fermier, samouraï, etc.). Je suis en cela fidèle à la tradition des films d’époque japonais. En ce qui concerne la narration, je veux raconter de nouvelles histoires, car je pense qu’au cinéma, on veut voir des choses nouvelles.
Saviez-vous que vous réalisiez ici votre 100e film et voulez-vous faire quelque chose de spécial pour cette occasion ?
Pas vraiment… C’est une fois le film terminé que quelqu’un a compté tous les films que j’avais réalisé ! (rires) On m’a donc appris que c’était mon 100e film une fois le tournage terminé : je n’en avais donc pas du tout conscience pendant la réalisation. J’ai peut-être compté jusqu’à mes 30 premiers films, mais ensuite, je ne me suis plus embêté à garder le compte ! Pour ce qui est de faire quelque chose de spécial, tout ce que je peux dire c’est que au bout de 100 films, j’essaye de faire des films qui nous ressemblent, à moi et mon équipe.
Quel est le secret pour faire autant de films ? En Europe et aux Etats-Unis, ça semble impossible, les auteurs ont beaucoup de difficultés à trouver des financements…
Je sais qu’il est difficile de faire des films partout dans le monde, mais au Japon, nous avons un marché local qui permet de faire des films à petit budget. On pense que ces petits budgets sont réservés aux jeunes cinéastes et aux réalisateurs indépendants, mais au Japon, certains films que l’on considère comme commerciaux ont des petits budgets à la base. On a donc besoin de réalisateurs qui sont comme des artisans avec beaucoup d’expérience pour faire des films avec ce niveau de financement. J’étais sans doute un choix idéal dans cette perspective, car je savais comment faire des films avec un minimum d’argent.
Vous considérez Blade Of The Immortal comme un film à petit budget ?
Pour un film japonais, c’est un gros budget ! C’est obligatoire quand on fait un film d’époque maintenant. Avant, les studios en faisaient beaucoup et on était entraîné à les réaliser sans gros moyens. Maintenant, comme on perd cette tradition et que peu de films sont faits, il faut tout reprendre de zéro.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez choisi d’adapter un manga très célèbre, afin de faciliter le financement et de pouvoir toucher un public plus jeune, qui n’est plus habitué à ce genre ?
Oui, ce n’est pas faux… Mais le jeune public japonais, celui qui va principalement au cinéma, soit celui que les commerciaux veulent en salles, sont des filles de 12 à 18 ans. Les films parlent donc généralement d’une fille qui tombe amoureuse d’un garçon, lui-même amoureux de quelqu’un d’autre… Ce sont généralement des comédies romantiques très immatures, marquetées de manière uniforme, avec toujours un happy end. Cela doit représenter 80% du cinéma japonais ! Dans ce contexte, avec ce film, les gens se demandent plutôt quand ils le voient : « mais qu’est ce qui se passe ? ». Ils sont pétrifiés, même avant de venir voir le film au cinéma. Ils ne savent pas comment réagir face au film. C’est assez amusant pour moi de créer ce genre de situation.
Vous connaissiez bien le manga de Hiroaki Samura ?
Oui, bien sûr ! Le manga est beaucoup plus érotique que mon film. Les dessins sont magnifiques, particulièrement les planches avec des femmes qui sont mutilées et blessées… il arrive à rendre ça sublime. Il parvient à capturer cela de manière incroyable. C’était un monde que je pensais presque impossible à retranscrire dans un film japonais. Je suis vraiment reconnaissant envers l’auteur Samura-san, que je respecte énormément, de m’avoir permis d’adapter son histoire. Plutôt que de trouver les raisons qui nous ont poussées à faire le film à partir du manga, nous avons vraiment apprécié le fait de le faire.
Est-ce que vous avez mis longtemps pour tourner les scènes d’action ?
Oui, la préparation a été très difficile et intense. Mais au Japon, nous n’avons qu’un temps très limité à cause du budget. Il faut donc trouver un moyen de simplifier le processus au maximum. Si l’on considère les films des autres pays, les films japonais sont tournés très rapidement. Le point positif, c’est que l’équipe est concentrée et le travail très intense. Si le tournage dure 3 ou 4 mois, c’est difficile de conserver ce niveau de motivation. Suivant le pays et l’environnement, le rapport que l’on entretient avec l’équipe et les acteurs change donc beaucoup. Pour ce film, nous avons dû aller à Kyoto pour le tournage. Nous étions donc à l’hôtel et la situation avait quelque chose de surréelle. Ce n’est plus tout à fait la réalité quotidienne que l’on retrouve après le tournage. C’est aussi le cas pour les acteurs, qui restent dans un environnement étranger tout le temps. Si on nous avions tourné à Tokyo, le film aurait été complètement différent.
Vous avez réalisé un très beau film en 3D, Hara-Kiri, avez-vous pensé à faire Blade Of the Immortal en 3D ?
Si on l’avait fait, je pense que certains techniciens seraient morts ! (rires) La 3D a évolué depuis mon film. Mais j’ai pensé que pour que pour un film d’époque, je pouvais tourner en 35 mm plutôt qu’en numérique, utiliser des techniques traditionnelles, des lentilles anamorphiques comme à l’époque. C’est un voyage dans le temps en termes cinématographiques. C’était ce que je voulais faire, mais ça s’est avéré impossible. J’ai donc utilisé une caméra Lexus. J’ai aussi très peu de mouvement de grue, afin de respecter les codes des films en costumes classiques. On a quand même bien sûr dû ajouter du sang numérique sur tous les gens que le héros massacre, mais on l’a fait de manière très subtile. Je ne trouvais en tout cas pas pertinent d’utiliser de la technologie dernier cri pour ce film.
Quels conseils donneriez-vous aux réalisateurs qui veulent avoir un film sélectionné à Cannes ?
Il n’y a qu’une façon pour un réalisateur japonais de venir ici, c’est de ne pas prendre en compte ce désir d’être sélectionné par le Festival. Il ne faut surtout pas essayer de faire un film en se disant que ça va être universel et vu partout dans le monde. Il faut travailler sur des choses que l’on aime, que l’on connaiît, même si c’est une chose qui ne concerne que toi et ton équipe. Etre le plus local et spécifique possible, c’est ça qui est compris partout dans le monde et devient universel. Quelle que soit l’époque ou le pays, les gens sont finalement très similaires. On ne peut donc pas vraiment se fixer comme but d’aller à Cannes. J’ai eu la chance incroyable d’être invité une première fois avec un film de v-cinema (ndr – produit pour le marché de la vidéo, c’était Gozu, à la Quinzaine des réalisateurs en 2003). C’est ce qui a lancé ma carrière à l’étranger. Cannes est formidable pour ça ! C’est assez rare d’avoir un jeune réalisateur en compétition officielle. On commence donc dans les sélections parallèles.
Quentin Tarantino joue dans votre film Sukiyaki Western Django, comment l’avez-vous convaincu d’accepter le rôle ?
Je suis allé le voir à Los Angeles et nous avons parlé de son cachet. Et la traductrice de l’époque s’est trompée et a ajouté un zéro à ce que je proposais ! Quentin mangeait une pizza et il s’est arrêté net. Il a dit : « Je pense que vous faite une erreur, c’est un film de Miike, je connais son budget ! ». (rires) Tout a commencé avec cette conversation. Il filmait Boulevard de la mort à ce moment et ça lui prenait beaucoup de temps. On a dû l’attendre et faire des prises additionnelles pour ses scènes, trois mois après le tournage.
Vous avez aussi joué dans Hostel d’Eli Roth…
Oui, c’est un grand fan de mon film Audition et il voulait absolument le réalisateur de ce film comme acteur. Il a demandé à Quentin ce qu’il devait faire pour me convaincre. Il lui a dit : « Appelle-le et il sera sûrement partant ! ». (rires) Quentin connaissait très bien mon travail pour le v-cinema, alors qu’il était complètement inconnu en dehors du Japon. Il a d’ailleurs repris une partie du casting de mon film Ichi The Killer pour Kill Bill !
Quel film auriez-vous aimer réaliser ?
C’est une question difficile. Je pense à Starship Troopers. C’est incroyable que Paul Verhoeven, qui n’était pas d’Hollywood, ait pu faire un film comme cela à l’époque.
Propos recueillis par Victor Lopez à Cannes le 20/05/2017.
Remerciements : Federico Mancini.
POD-CANNES : BLADE OF THE IMMORTAL DE MIIKE TAKASHI
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Blade of the Immortal de Miike Takashi. Japon. 2017. Sortie le 29/12/2017 (Netflix).