Pour ce qui fut annoncé comme son centième film, le réalisateur de Visitor Q et d’Audition s’est fait plaisir, en se consacrant à ce qui l’occupe depuis près de deux décennies, l’adaptation d’un manga, cette fois Mugen no Junin de Samura Hiroaki. C’est-à-dire en ne créant pas la surprise.
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Blade of the Immortal raconte l’histoire du samurai Manji, témoin impuissant de la mort de sa sœur, sa vengeance faisant plus de cent victimes. Une nonne de 800 ans lui jette un sort, celui de l’immortalité. Il devra tuer plus de 1000 hommes qui le méritent avant de pouvoir retrouver le droit de s’éteindre. Il croise Rin l’orpheline, dont les parents furent tués par un jeune virtuose du sabre, Anotsu, qui a pour but d’éliminer toutes les écoles et de fusionner les styles de combat afin de créer un seul dojo, le Itto-ryu. Manji y voit l’occasion de se racheter et se met à éliminer chacun des sbires de ce maître ravageur. Cela permet à Miike de mettre en scène un enchaînement chorégraphique de duels, jouant de la surenchère pour chaque adversaire. On regrettera que cette école fusionnelle compte autant de singularités : Miike, virtuose désinvolte dont le propos de l’œuvre s’étiole, étire ce concept afin de proposer une série de vignettes autour du sabre et son tranchant. Manji prend les coups, voit sa main amputée, puis lui revenir avant d’éliminer ceux qu’on le devine être les plus brillants représentants de l’Itto-ryu. A cet égard, le réalisateur ne lorgne pas du côté du cinéma d’arts martiaux chinois ; il est question d’école, mais jamais de style. Blade of the Immortal affiche également un plaisir iconographique à citer des plans de brume qui doivent aux films de Kurosawa, Kobayashi et Gosha, ainsi qu’aux accélérations de sabres dégainés dans les chambara de Misumi. Un film qui n’invente rien, qui met en scène un héros partagé entre son désir de rédemption et celui de sa mort. Un film qui saigne à languir.
Il y a cependant une espièglerie à laquelle Miike se laisse aller, qui se ‘cache’ dans le casting de Manji. La présence de Kimura Takuya dans le rôle du samurai pose un regard ironique sur la notion de contrat qui lie les stars de variétés au Japon et leurs impressarios, à l’image de celui auquel Manji ne peut échapper, scellé par ces parasites glissés par la nonne dans les blessures béantes du samurai et qui veillent sur leur bien. Kimura fut le membre le plus célèbre du premier boys band contemporain japonais, SMAP. Star de la pop, de la pub, de nombreux feuilletons qui ont fait date dans l’histoire de la télévision japonaise (de Long Vacation à Hero), de quelques films, y compris 2046 de Wong Kar-Wai. Il dut pourtant attendre vingt-cinq ans (et l’aide d’avocats courageux) avant de pouvoir mettre un terme à cette carrière pop à l’âge de quarante ans. Avant de s’éloigner de l’agence Johnny’s, modèle impitoyable qui inspira Yasushi Akimoto, le producteur derrière l’armada AKB 48. Manji/Kimura accomplit un véritable chemin de… croix avant d’être libéré. Hélas, ce dernier n’aura jamais eu de véritables occasions d’exister devant une caméra de cinéma. La télévision l’a aimé, avec ses lèvres pleines, ses mouvements de mâchoire inférieure qui signalent un temps de réflexion, un sourire attachant, arrogant. Qui a sûrement aimé son public. Mais qui peine chez Miike à résonner, à ne pas être éclipsé par Fukushi Sota/Anotsu, incarnation de chair du trait de manga actuel. Kimura avait toujours le front dégagé, afin de permettre un regard à la fois chaleureux et moqueur. Fukushi quant à lui joue de cette frange fine qui camoufle les yeux. Il y a si peu à voir.
Stephen Sarrazin.
Blade of the Immortal de Miike Takashi. Japon. 2017.