Saudade de Tomita Katsuya : mélancolie urbaine (Bangkok Nites en salles le 15/11)

Posté le 15 novembre 2017 par

Avant Bangkok Nites (qui sort en salles le 15 novembre) et après Furusato 2009, esquisse documentaire, Tomita Katsuya signait son troisième long métrage Saudade, disponible en DVD,  portrait (autoproduit) d’une ville en déliquescence. 

 Saudade

Saudade, un mot – portugais -, une idée, un sentiment. Saudade, mot intraduisible, qui se vit uniquement. C’est une certaine mélancolie, une nostalgie, le manque de quelque chose que l’on n’a plus, mais qui pourrait revenir. À Kofu, dans la préfecture de Yamanashi, la mélancolie est partout. Les bâtiments, les rues désertes, les pachinkos qui fleurissent, les petits commerces qui ferment, les habitants au chômage, la vie est difficile.

Dans Saudade, les points de vue sont multiples. Tomita choisit le film choral pour exprimer son propos, explorer toutes les pistes. Qui sont ces gens qui sont l’essence même de cette ville ? Ce sont des ouvriers, des rappeurs, des Japonais, des Brésiliens, des Thaïlandais, évoluant dans un climat étouffant. Au propre comme au figuré. La chaleur est accablante, la vie est dure, l’asphyxie gagne les personnages, la division règne. Les communautés ne peuvent plus vivre ensemble. Les Brésiliens, autrefois utilisés, sont aujourd’hui sans travail, détestés par toute une frange de la population, obligés de rentrer dans leur pays d’origine. Les Japonais ne sont pas mieux lotis. Le manque de travail, d’argent, de perspectives, creuse le fossé entre les gens. Quand la haine s’installe, il n’y a plus grand-chose à faire.

Le projet ultra documenté de Tomita fait fortement écho aux travaux de David Simon sur les villes de Baltimore et de La Nouvelle Orléans dans les séries The Wire et Treme. Avant d’être un pamphlet politique, c’est avant tout un constat. Comme les personnages des séries de Simon, ceux de Saudade sont prisonniers de leur condition, entre espoir et résignation.

Tomita filme sa ville comme ses personnages la voient, tout en mélancolie. Les longs travellings dans les rues vides, les parkings, les barres d’immeuble : la tristesse est de tous les plans. Sa ville ne ressemble plus à celle qu’il a connue. Comme cette fantastique scène où Seiji, l’ouvrier japonais qui rêve d’ailleurs, marche dans les rues de Kofu. Soudain la rue s’anime, tout est éclairé, les gens sont souriant, on lui propose du feu pour allumer sa cigarette. Seiji retrouve le sourire. Puis la réalité le rattrape, la rue plonge de nouveau dans l’obscurité et le vide.

Au-delà du mal-être ambiant, c’est son expression qui semble passionner Tomita. Le rap comme moyen d’exprimer sa douleur, catalyseur (pour un temps) de toute cette rage enfouie. Un battle de rap entre une « crew » japonaise et une autre brésilienne va faire ressurgir toute la rancœur des deux camps. Ces groupes sont une constante dans Saudade. Les personnages ne sont qu’à de rares occasions seuls. Comme si le désir d’appartenance à un groupe était le seul moyen de se sentir vivant. Les Brésiliens se serrent les coudes, les Japonais  vont boire des verres, même s’ils ne « balancent que des banalités » selon Takeru le rappeur. Le pays les a abandonnés, il faut bien qu’ils se raccrochent à quelque chose. C’est la seule chose qui semble leur rester.

Mais ils ont beau rapper, boire, se droguer ou danser, le quotidien les rattrape vite et la ligne entre l’espoir et le désespoir est vraiment ténue.  Il suffit de peu de choses pour voir son destin basculer à Kofu. À cet égard, la trajectoire du rappeur Takeru est des plus édifiantes. Du jeune rappeur révolté, il passera, plus par ignorance que par véritable conviction, au délinquant perdu, ne sachant plus quoi provoquer pour faire une différence dans ce monde.

Pendant 2h47, Tomita ne lâche pas de vue son sujet, va et vient entre les personnages, entremêle les destins, pour former un portrait des plus cohérents de sa ville de Kofu. Comme David Simon, il n’oublie pas au-delà du message de faire un véritable travail sur l’aspect visuel. Même si le manque de moyen se fait parfois sentir, Saudade est un vrai, beau moment de cinéma. Comme ses personnages, on ressent ce sentiment indescriptible. Saudade, quel magnifique mot.

Jérémy Coifman.

Saudade de Tomita Katsuya disponible en DVD depuis le 16/03/2013 en exclusivité à la Fnac.

Bangkok Nites de Tomita Katsuya. Japon. 2016. En salles le 15/11/2017.

Imprimer


Laissez un commentaire


*