Preview – The Bacchus Lady de Lee Jae-yong : La petite mort

Posté le 14 octobre 2017 par

Après un passage à  l’édition 2016 du Festival du Film Coréen à Paris puis au Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul, voici que The Bacchus Lady de Lee Jae-yong (My Brilliant Life) revient pour de bon sur les écrans en janvier 2018.

So-young est l’une de ces méconnues Bacchus ladies : des coréennes d’un certain âge gagnant leur vie en se prostituant, tirant leur surnom de la boisson énergisante qu’elles vendent à leurs clients, généralement eux-mêmes dans leurs vieux jours. Son quotidien, fait d’attente dans les parcs et de passes méthodiques, est bouleversé lorsqu’elle décide de recueillir un petit garçon philippin dont la mère vient d’être arrêtée par la police, tandis que l’un de ses anciens clients lui demande de l’aider à mourir…

On le comprend vite : l’objectif de Lee Jae-yong est ici de prendre à bras le corps une question de société. Si la prostitution est un sujet qui s’est largement vu approprié par le cinéma, celle des personnes âgées reste largement dans l’ombre, et si elle est en effet moins fréquente, elle se révèle d’autant plus dérangeante. En définitive, la trajectoire personnelle de So-young reste floue, évoquée ça et là à demi-mots, mais l’on s’aperçoit vite que ce n’est pas cela qui compte. Si son personnage est fait pour être attachant, elle n’en reste pas moins qu’un exemple iconique d’un problème plus vaste. De ce fait, plus détaillée est la conversation qu’elle tient avec un jeune homme venu l’interviewer, et qui expose clairement les facteurs à l’origine du phénomène des Bacchus ladies, à commencer par le système des retraites qui ne parvient pas à assurer aux vétérans de la société des revenus décents, alors même que l’économie coréenne se montre florissante. Le propos politique ne saurait être plus explicite.

D’ailleurs, loin de se limiter au seul cas de So-young, dont la situation laisse naturellement à désirer, le film nous offre un portrait du troisième âge coréen aux facettes multiples mais peu optimistes. Ainsi, à notre héroïne poussée à la prostitution faute d’alternative pour gagner sa vie répondent ses clients que l’on devine dans une misère sexuelle mais aussi émotionnelle peu glorieuse. Si certains d’entre eux n’attireront pas vraiment la sympathie, d’autres apporteront au métrage nuance et humanité. Au-delà des actes tarifés, il semble ainsi y avoir entre So-young et certains de ces hommes une forme de solidarité dans la vieillesse et ses épreuves. Les personnes âgées apparaissent en effet confinées à la solitude, délaissées de la jeunesse et de leur famille même quand ils en ont. De même est présente l’angoisse de la décadence, physique comme psychique, la peur de voir notre corps et notre esprit nous échapper, de ne plus être que l’ombre de celui que l’on a été. Au bout, c’est l’envie de tirer sa révérence qui pointe, avec un indéniable fatalisme mais non sans pudeur.

Le propos ne s’arrête toujours pas là néanmoins, puisqu’il s’étend, même si de manière plus superficielle, à d’autres types de marginalisation. A commencer par ce petit garçon que So-young recueille, enfant d’une jeune femme philippine venue réclamer au médecin l’ayant mise enceinte pendant ses études à l’étranger d’en reconnaître la paternité. Trop facile à ignorer en raison de son origine géographique et sociale, elle est poussée à faire preuve de violence pour se faire finalement entendre, quitte à finir pour cela derrière les barreaux – à ce titre, néanmoins, le film montre une image plus rédemptrice de la justice coréenne. La mise à l’écart n’est pas inconnue non plus des voisins de la vieille femme, l’une étant transgenre, l’autre handicapé, et si l’on n’assistera jamais nous-mêmes aux mortifications auxquelles ils sont confrontés dans leur vie quotidienne, il n’est nul besoin de les expliciter. On devine aisément que ce n’est pas un hasard si ces trois individus se sont retrouvés ensemble, mais parce qu’ils partageaient sans doute un même besoin de paix et de tranquillité vis-à-vis d’une société trop prompte à juger et à rejeter.

Cette délicatesse, cette richesse des non-dits, se retrouve dans la mise en scène, puisque Lee Jae-yong s’y révèle pudique mais jamais froid. Si certaines scènes ne manqueront pas d’être abruptes, par la simplicité et l’épurement avec lesquels elles se présentent, elles nous rappelleront surtout à quel point nous sommes accoutumés à voir les moments dramatiques emballés dans une surcouche d’effets de style qui prouve ici son inutilité. En allant ainsi droit au but, le réalisateur rend toute la puissance aux situations que l’habitude de l’emphase nous avait rendues indifférentes. Le métrage évite cependant l’écueil de se montrer trop clinique grâce à ses personnages attachants, au premier rang desquels on retrouve logiquement So-young interprétée par une Youn Yuh-jung (The Housemaid) toute en subtilité. Si son expressivité, tranchant avec la discrétion de la réalisation, peut déstabiliser dans les premières minutes et laisser soupçonner le cabotinage, on s’aperçoit bien vite qu’elle est plutôt au service de ce portrait d’une femme dont l’âge et la situation ont eu raison du poids du jugement d’autrui. Préférant ainsi un camaïeu d’émotions démonstratives au visage de l’apitoiement et de la misère, elle transmet à l’écran une énergie et une gaieté qui font mouche.

En somme, The Bacchus Lady est une œuvre sobre, sans doute trop pour prétendre éveiller les consciences, mais qui traite de ce thème dur avec une indéniable délicatesse. Le réalisateur respecte son sujet, dont les implications sociales sont nombreuses, et de cela on peut lui être reconnaissant. On ne nous promet pas tant un grand moment de cinéma ou un brûlot politique que le simple témoignage doux-amer d’une réalité dont l’on détourne trop volontiers le regard, mais qui se présente malgré tout ici devant nous en toute modestie.

Lila Gleizes.

The Bacchus Lady de Lee Jae-yong. Corée. 2016. Sortie française en janvier 2018.

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