Annecy 2017 nous permet de découvrir le cinéma d’animation de l’empire du Milieu, bien peu représenté à l’étranger. Big Fish & Begonia est une véritable belle surprise. On peut le dire : le cinéma d’animation chinois trouve ses lettres de noblesse avec cette oeuvre envoûtante en compétition officielle.
Chun est un être céleste qui doit s’occuper des bégonias. À ses 16 ans, elle est envoyée dans le monde des humains sous la forme d’un dauphin afin d’accomplir son rituel de passage à l’âge adulte. Kun, un humain, lui sauve la vie, mais perd alors la sienne. Avec l’aide de son ami Qiu, elle essaie de ranimer l’esprit de Kun afin de le remercier de l’avoir sauvée.
Big Fish & Begonia est une production marquant l’avènement de l’animation chinoise dans le cinéma mondial. Il y eu certes dès les années 20 une longue tradition de l’animation dans le cinéma chinois, mais à l’heure où le pays cherche à offrir une alternative aux blockbusters américains, il n’y avait pas encore eu de productions aptes à concurrencer les ténors que sont Pixar ou Ghibli. Le film a été un projet de longue haleine pour ses deux réalisateurs Liang Xuan et Zhang Chun qui ont mis 12 ans à le mettre en œuvre. Au départ, Big Fish & Begonia est donc un court-métrage en animation flash mis en ligne en mai 2004 et dont l’accueil positif à incité les réalisateurs à en proposer un prolongement en long. Entre recherche de financements et écriture du scénario qu’ils n’achèvent qu’en 2009, le projet semble pourtant s’enliser jusqu’au carton de Monkey King: Hero Is Back (2015 et nouvelle adaptation du mythe bénéficiant d’un doublage de Jackie Chan) qui rend alors possible des bénéfices via l’animation chinoise – le studio coréen Studio Mir s’associant aux Chinois B&T et Enlight Media pour le budget.
Le film s’inspire de plusieurs éléments de la culture chinoise, entremêlant la pensée du philosophe Zhuangzi et les recueils de légendes traditionnelles Shanhaijing/Livre des monts et des mers et Soushen ji/À la recherche des esprits. Ainsi, même si certains éléments du récit et des images renvoient à l’imaginaire Ghibli (monde sous-marin à la Ponyo, héroïne valeureuse en lutte contre sa communauté telle Nausicaa, et univers folklorique foisonnant rappelant Le Voyage de Chihiro), le film trouve vraiment son identité par ce profond ancrage chinois et sa poignante histoire d’amour. L’univers dépeint un monde humain et sous-marin qui coexistent et se complètent dans un délicat équilibre. Les âmes des humains défunts se réincarnent en poissons destinés à errer dans les océans. Parallèlement, les être des mers adoptent la forme de dauphin rouge pour leur rituel de passage où, pendant sept jours, ils côtoient le monde des humains avec interdiction de les approcher. L’histoire dépeint ainsi la romance, d’un monde et d’une forme à l’autre entre la jeune Chun et l’humain Kun. Celle-ci repose à la fois sur le déséquilibre et l’harmonie qu’amène ce rapprochement. Chaque rencontre amène une grâce suspendue et contemplative où tout semble s’arrêter. Cette attirance irrépressible repose à la fois sur une dimension taoïste et un romantisme palpable. Ainsi les personnages ne s’aiment jamais en ayant la même forme, Kun humain séduisant Chun en dauphin rouge puis dans la seconde partie celle-ci retrouvant sa forme tandis qu’il est réincarné en poisson. L’amour endosse là une facette poétique et féerique qui dépasse l’incarnation physique pour jouer sur la complicité du regard et du geste. Les scènes enchanteresses où Chun et Kun nagent, volent et dansent dans un environnement épuré (la profondeur des océans), désert (les toits de la cité sous-marine) ou onirique (la scène de rêve où Kun réveille Chun) oublient les contraintes physiques pour ne capturer que la communion spirituelle et amoureuse des personnages – portées le très beau score de Kiyoshi Yoshida. Ce ying et yang qui semble les compléter dans les sentiments les opposent à l’inverse par les règles régissant leurs monde respectifs qu’ils n’auront de cesse de défier.
Chaque renforcement de cet amour a ainsi sa conséquence sous forme de catastrophe naturelle dramatique par un maelstrom marin, une météo déréglée ou la grande apocalypse finale. Cette dualité existe également dans les interactions avec les personnages secondaires. Le film se déroule pour l’essentiel dans l’univers sous-marin mais propose une réflexion contrastée et sans manichéisme. Le rejet ordinaire de « l’autre » par la population alterne ainsi avec le dépit amoureux dont le scénario observe la jalousie, la résignation et l’acceptation avec le beau personnage de Qiu. Les figures purement surnaturelles (le maître du royaume des morts rieur et marchandeur, le grand-père compréhensif marié à un oiseau, la matrone des rats) symbolisent par leurs attitudes nuancées un tout qui reflète cette complexité de la vie. Ils incarnent un visage tour à tour bienveillant ou manipulateur, lumineux ou ténébreux. Les réalisateurs parviennent ainsi par l’incarnation et l’image à exprimer toute la portée philosophique des sources littéraires adaptées. L’équilibre géographique et spirituel du Shanhaijing passe ainsi par des compositions de plans somptueuses où viennent s’immiscer les éléments mythologiques via une sculpture, une nuance de couleur ou décor inattendu. Les pouvoirs des habitants du monde sous-marin, reposant sur la maîtrise des éléments et des plantes évoquent aussi cette notion d’équilibre fragile.
Les réalisateurs ont façonné un univers luxuriant où plane l’influence de Ghibli (les domestiques chat du royaume des morts…) mais dont le rattachement à cette identité chinoise rend singulier. L’arbre socle et rédempteur du final n’a ainsi pas la portée animiste de la conclusion de Princesse Mononoké auquel on aurait été tenté de le comparer. Et finalement c’est aussi l’aspect chaste de Ghibli qui est bousculé dans Big Fish & Begonia. La nudité est source d’image mystérieuse, poétique (la première transformation en dauphin rouge de Chun lors du rite initiatique) et étonnamment sensuelle. Les réalisateurs reflètent par cela la plénitude amoureuse et spirituelle qui guide en permanence le récit jusqu’à l’émotion puissante du final, spectaculaire et intimiste.
Justin Kwedi.
Big Fish & Begonia de Liang Xuan et Zhang Chun. Chine. 2016.
Présenté en compétition officielle à Annecy 2017. Plus d’infirmation ici.