Le Secret de la Chambre Noire marque le retour de Kurosawa Kiyoshi à son genre de prédilection, alors qu’il signe, plus fascinant encore, un film français. Nous avons rencontré le cinéaste japonais pour en discuter.
Vous faites un film en France, avec des daguerréotypes et des fantômes. Est-ce un film sur les origines du cinéma ?
J’ai l’impression que c’est à partir de la naissance de la photographie que l’on a commencé à représenter le fantôme de manière très crue. Que ce soit dans la photo ou le cinéma, on est censé représenter la réalité sans mensonges. C’est contradictoire car ils laissent entrer des éléments « irréels ». Je trouve que ce sont des médias très étranges qui permettent d’accepter ce qui n’est pas réel à travers l’image.
Y-a-t-il une différence entre la représentation des fantômes en France et au Japon selon vous ? Comment avez-vous pensé le fantôme français ?
La figure du fantôme entre le Japon et la France est différente. Au Japon, selon les époques, la figure du fantôme a beaucoup évolué, et selon les films, les fantômes sont représentés de différentes manières. Je ne sais pas comment les spectateurs français vont appréhender le film. Je pense qu’au Japon comme en France, le fait que des acteurs humains jouent des fantômes est assez ordinaire. Dans le film, il existe simplement un drame entre les vivants et les morts. J’espère que les spectateurs français ne trouveront pas cette figure du fantôme bizarre. En France, on a tendance à penser qu’il y a toujours des fantômes qui apparaissent dans le cinéma japonais, mais ce n’est pas le cas ; jusqu’aux années 60 il y avait les films historiques et les Kaidan Eiga. Mais à partir des années 70, on ne savait plus comment représenter les fantômes au cinéma. C’est à la fin des années 90 que d’autres réalisateurs et moi, nous nous sommes demandés si des acteurs ne pouvaient pas jouer les fantômes avec un aspect totalement ordinaire. Nous avons fait des tentatives qui ont évolué jusqu’à aujourd’hui. Au début nous étions un peu dans la tradition du fantôme japonais, un peu comme Sadako dans Ring. On pensait que s’il n’était pas représenté de la sorte, les spectateurs ne pourraient pas distinguer que c’est un fantôme. On dit aussi que les fantômes n’ont pas de pieds, donc il fallait que les nôtres n’aient pas de pieds. On les dissimulait dans la pénombre. Aujourd’hui dans Le Secret de la chambre noire, je n’en ai plus besoin. Les acteurs sont vraiment là, sans effet. Les possibilités de représentation ont donc évolué jusque là.
Justement, comment avez-vous dirigé les acteurs ? Et surtout Constance Rousseau ?
Je n’ai pas eu besoin de diriger Constance Rousseau. Par un heureux hasard, elle avait vu de nombreux films d’horreurs, dont des films de fantômes japonais et mes films. Elle en a vu énormément, elle savait donc parfaitement comment devait apparaître le fantôme. Je ne l’ai pas choisie pour ça, car je ne l’ai découvert qu’après l’avoir choisie.
Certains de vos films japonais ont une forte dimension sociale sur la jeunesse japonaise comme Bright Future ou Vaines Illusions, le personnage qu’interprète Tahar Rahim est également dépeint dans son milieu. Avez-vous également la volonté de montrer la jeunesse française ou du moins une désillusion générationnelle ?
Comme je ne suis pas français, je savais que je serais incapable de représenter les problèmes sociaux que doivent affronter les Français. Mais je me suis rendu plusieurs fois à Paris, sans y vivre, en observant cette ville contemporaine. J’ai imaginé que les jeunes devaient probablement affronter les mêmes problèmes que ceux du Japon. La précarité, l’angoisse de l’avenir, la solitude, je crois que c’est commun à tous les pays. La position sociale des jeunes doit être la même en France, et c’est ainsi que j’ai construit le personnage.
Il y a également une dichotomie qui parcourt le film, entre Tahar Rahim et Olivier Gourmet. Elle est représentée à différents niveaux mais surtout dans les espaces. Comment avez-vous travaillé cela ? Et quelle est la place de l’architecture dans votre mise en scène ?
Je suis content que vous ayez vu ces détails. Quel que soit l’époque, en France ou au Japon, je pense qu’il y a cette dichotomie entre le vieux qui va s’enfermer dans le passé et tenter de protéger les choses, alors que le jeune va tenter de les détruire pour voir jusqu’où il peut avancer. Certes, c’est un film français réalisé par un Japonais mais je voulais traiter cette opposition qui est assez facile à comprendre pour qu’on puisse dépasser l’écriture et la langue afin d’obtenir une relation typique que l’on peut trouver partout.
Alors que votre esthétique perpétue le geste de la J-horror et en est l’apogée, dans ce film elle fait écho à une tradition littéraire française fantastique qui évoque Balzac ou Maupassant. Est-ce que la culture fantastique française a eu une influence dans votre travail ?
J’ai dû lire des romans de Balzac ou de Maupassant, ce sont également des auteurs très connus au Japon. Mais je ne suis pas très porté sur la littérature, je suis donc très flatté qu’un lien puisse être fait mais également très étonné. C’est inconscient de ma part.
Concernant votre cinéma, le film semble dialoguer par des citations avec vos œuvres précédentes, particulièrement Rétribution (Sakebi). Le Secret de la chambre noire serait-il « un film-somme » ? Faites-vous faces à vos propres fantômes ?
Effectivement, c’est le même genre de scènes. Dans Sakebi, le fantôme est dans la continuité des fantômes typiques de la J-horror. On peut donc considérer Le Secret de la chambre noire comme un film d’horreur, un film de genre. Mais je mène en réalité une réflexion sur la représentation du fantôme à travers Marie (Constance Rousseau) qui est complètement différente des fantômes de la J-horror, elle joue normalement. J’espère qu’on le verra comme une nouvelle façon d’explorer la figure du fantôme. On peut donc considérer que c’est un film-somme des films de J-horror que j’ai réalisés jusqu’ici, mais on peut également voir cela comme un départ vers quelque chose de nouveau.
Et la robe rouge qui apparaît plusieurs fois dans vos films japonais, elle est bleue dans celui-ci ?
A chaque fois je me demande de quelle couleur seront les vêtements des fantômes. Je voulais que ce soit une couleur particulière qui permettent aux spectateurs qui la voient de loin de se dire que c’est un fantôme. Dans Sakebi, comme vous le savez la robe était rouge, mais je pense que j’ai utilisé le jaune, le vert, le noir et le blanc est bien trop associé à Ring. Il ne me restait donc que le bleu.
Vous qui avez connu différents formats durant votre carrière, que pensez-vous de la réalité virtuelle à l’aune de votre réflexion sur la représentation du fantôme ?
La réalité virtuelle est une forme d’expression trop différente du cinéma. C’est probablement amusant, mais je ne vois pas encore comment en faire une œuvre cinématographique. Justement, j’ai touché à toutes sortes de formats, mais le constat est toujours le même. Je ne vois pas trop de différence dans le résultat, c’est aussi rassurant que décevant. Il est vrai qu’aujourd’hui on utilise énormément le numérique à Hollywood, on arrive à obtenir des ombres très profondes et des noirs très intenses. Mais que ce soit à travers la pellicule ou le numérique, depuis qu’on est passé à la couleur quel que soit la qualité du format, l’objectif est d’obtenir quelque chose qui se rapproche d’une peinture du XIXème siècle. La technique a beau évoluer, notre échelle de valeur face à l’image reste inchangée depuis un siècle, c’est utile pour la dramaturgie. D’un autre côté, avec des technologies comme la réalité virtuelle, on va peut-être arriver à une expérience qui s’éloigne totalement de la peinture du XIXème siècle. Cela va probablement bouleverser notre échelle de valeur, et nous mener vers quelque chose d’inconnu. Malheureusement, les techniques ne sont pas encore assez développées.
Pouvez-vous nous dire quel film vous a récemment marqué ?
Je sais que ce n’est pas bien, et que je devrais voir plus de films mais je ne vais pas trop au cinéma sous prétexte que je suis débordé. Si on peut remonter à plus d’un an, j’ai trouvé : Le Pont des espions, formidable !
Propos recueillis le 31/01/2017 à Paris par Kephren Montoute
Traduction de Miyako Slocombe.
Remerciements : Matilde Incerti et Jeremie Charrier.
Le Secret de la chambre noire de Kurosawa Kiyoshi. France. 2016. En salles le 08/03/2017.