Munie d’une unique valise, une jeune SDF arrive à Busan où elle espère dégoter un petit boulot. Après avoir trouvé une maison abandonnée pour y squatter, elle commence à parcourir la ville.
Il fait nuit. Le contenu d’une valise précaire se vide sur une route goudronnée. Des mains tentent de réunir son contenu. Dans la précipitation. Les gestes sont rapides. Autant maladroits que rompus à une certaine habitude. On sent un sentiment de menace. D’incertitude. De survie. De détermination. De fuite en avant.
Les premières secondes de Steel Flower sont un sacré électrochoc. Dans un montage syncopée et nerveux, débordant de jump cuts et capté par une caméra enregistrant sur le vif, le spectateur suit ces mains s’affairaient à regrouper leurs affaires sans avoir la possibilité d’une vision d’ensemble de la scène. A qui appartiennent-elles ? Où se situe-t-on ? Quelles sont ses motivations ? Pourquoi un tel sentiment d’urgence ?
Autant de questions sans réponses, mais des questions que l’on hésite presque à se poser tant on est happé par l’instabilité émotionnelle de cette jeune femme que traduit le style visuel du film, rugueux et bouillonnant.
Les 10 premières minutes nous «présentent » ainsi l’héroïne qu’on suivra essentiellement de dos, en train de déambuler dans un Busan nocturne et de plus en plus sordide, au fur et à mesure qu’elle se détourne du centre-ville. Pourtant rien d’artificiel dans ce refus du dialogue et du visage, mais une volonté de retranscrire un état d’âme d’une laissée pour compte, tout simplement invisible pour la société.
Le style et l’univers font fortement penser à Rosetta, mais là où les frères Dardenne ne parvenaient pas à éviter une démarche et une démonstration discutables, la force de Steel Flower est autrement plus viscérale et immédiate.
L »héroïne de ce film coréen a tellement vécu dans le dénuement et l’isolement qu’elle en est devenue asociale pour ne pas dire autiste, parvenant avec difficulté à communiquer et surtout à exprimer ses sentiments. Sa pâleur, ses cheveux en pagailles, ses cernes immenses, son regard désespéré, sa démarche à la fois décidée et fragile en font une figure hypnotique et insaisissable. Il va sans dire que son aspect et sa précarité extrêmes ne l’aident pas dans sa quête d’un travail d’autant qu’elle ne possède ni adresse ni téléphone. La seule chose qu’elle possède est pour ainsi dire une vieille paire de baskets dont elle doit régulièrement recoller la semelle. D’où sa fascination pour des cours de claquettes qui se déroulent dans une petite salle de sport qu’elle observe depuis une ruelle.
Sans réel repère temporel ou spatial, on rentre presque immédiatement dans le déséquilibre de cette jeune femme, vibrant avec elle de chaque rencontre, qu’elles soient néfastes ou positives, pour une plongée en apnée de 80 minutes. C’est d’ailleurs plus que salutaire qu’une telle œuvre ne dépasse même pas 1h30, parvenant à échapper au film à thèse sociétal. De plus, cette durée offre une narration très resserrée, allant à l’essentiel, là aussi très éloignée des dérives mélodramatiques, tare fréquente du cinéma coréen. Pour autant le film n’est ni précipité ni ne manque de longues séquences éprouvantes jouant sur la durée (et les plans-séquences), comme le déferlement de violence d’une femme jalouse qui s’imagine que l’héroïne entretient des relations charnelles avec le propriétaire d’un restaurant. Une humiliation en temps réel d’autant plus douloureuse et injuste qu’elle se déroule sous la passivité de clients qui ne réagissent jamais, que ce soit pour intervenir ou s’indigner.
Steel Flower a pour qualité de ne pas opter uniquement pour un misérabilisme dépressif mais d’alterner avec des moments de pure grâce poétique avec les quelques échappatoires que trouve l’héroïne notamment dans la danse, sa manière la plus évidente et digne d’exprimer ses émotions. Outre une façon sublime de s’approprier un salaire non perçu dans une poissonnerie, on trouve deux séquences de « claquettes » parmi les plus mémorables de l’histoire du cinéma. Non pour ses prouesses physiques mais parce que le bruit des chaussures métalliques sur le sol démontre qu’elle peut laisser une trace, une empreinte, qu’elle est en vie.
La dernière séquence est à ce titre déchirante, bouleversante, ahurissante de beauté et de puissance dramatique. Et l’ultime regard que la caméra imprime de son héroïne offre des frissons indélébiles. Celle-ci, après avoir fui et s’être cachée durant tout le film, parvient à nous affirmer son visage, à trouver une expiation à sa condition et à sa frustration, défiant et provoquant tant la nature (la mer) que la civilisation (le ponton). Il est impossible de savoir si cet acte traduira une évolution dans son parcours chaotique mais elle aura réussi à prouver l’espace d’un instant qu’elle en a la volonté.
L’occasion donc de conclure, pour mieux célébrer son admirable actrice Jeong Ha-dam, immense révélation qu’on peut considérer comme la co-réalisatrice de ce film tant sa présence dicte et illumine la mise en scène, à la fois crue et sensible de Park Suk-young.
Anthony Plu.
Steel Flower de Park Suk-young, présenté au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) 2016.