Ballade dans le cinéma de Tran Anh Hung, réalisateur d’Éternité (en salles le 7 septembre 2016)

Posté le 3 septembre 2016 par

À l’occasion de la sortie d’Éternité, en salles le 7 septembre, retour sur la filmographie de Tran Anh Hùng, un cinéaste de la sensualité.

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Biographie :

Tran Anh Hùng est né au Vietnam en 1962. Cependant, il quitte son pays en guerre en 1974 avec ses parents. Réfugié politique en France, il n’est au début pas du tout destiné à une carrière artistique, lui qui pensait finir médecin ou ingénieur, comme « tous les parents le voulaient à cette époque ». Ce n’était clairement pas une option. Puis, la passion pour la musique fut le premier déclencheur de sa future vocation. Il écoute Wagner, utilise tout son argent de poche pour s’acheter des disques. Il dira plus tard que l’opéra lui a appris plus sur le cinéma que le cinéma lui-même. Puis de la musique il en vient à la peinture, tout naturellement. Tran se lance d’abord dans des études de philosophie parce qu’il « n’y a pas de mathématiques »(1). C’est en découvrant le film d’un étudiant vietnamien de France qu’il a le déclic. Il apprend la technique à l’école Louis-Lumière en 1987, et c’est à la fin de ses études qu’il réalise son premier court-métrage : La Femme mariée de Nam Xuong en 1989. Il récidive deux ans plus tard avec La Pierre de l’attente (1991).

tran anh hung

Son premier film, L’Odeur de la papaye verte (1993) est un énorme succès critique. Il reçoit le César de la meilleure première œuvre en 1994, la Caméra d’or à Cannes en 1993 et une nomination à l’Oscar du meilleur film étranger. En 1995, il réalise le plus ambitieux Cyclo avec Tony Leung Chiu-Wai, recevant encore une pluie de louanges. Le film est Lion d’or à Venise ; il est alors l’un des plus jeunes cinéastes à obtenir cette distinction. Cinq ans plus tard, il conclut sa « trilogie vietnamienne » avec À la verticale de l’été (2000). Le film est présenté à Cannes dans la sélection Un Certain Regard.

Cette période marque un tournant dans la carrière du cinéaste. Après le tournage de Cyclo, il a dans l’idée de réaliser I Come With The Rain, un thriller. Manquant de moyens, il préfère tourner le dernier volet de sa trilogie. Puis, dans la foulée de ses succès critiques, il monte un projet américain sur la guerre du Vietnam. Le casting réuni est des plus prestigieux : Harvey Keitel, Holly Hunter, Elias Koteas et Adrien Brody. Finalement, ce dernier fera avorter le projet. Après avoir gagné son Oscar pour Le Pianiste, et croulant sous les propositions, il décide de se retirer et tout tombe à l’eau.

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Finalement, il parvient à mettre en place son film I Come With The Rain, après presque 10 ans d’absence. Le long métrage devait sortir en 2009 au Japon. C’est son film maudit. De problèmes en problèmes, le métrage n’est que l’ombre de lui-même. Tran bataillera presque un an au tribunal avec les producteurs au sujet du montage. N’ayant pas eu le final cut, il ne découvre son film qu’à l’avant-première japonaise. Quand son producteur fait faillite, il décide de faire valoir son droit d’interdire l’exploitation du film. Celui-ci sortira quand même en Angleterre. Tran décrit ce film comme « un canard boiteux ». Son vrai retour, ce sera pour La Ballade de l’impossible (adaptation du roman de Murakami Haruki) en 2011, premier film qu’il tourne entièrement en japonais, et qui est produit par la Toho.

Un réalisateur entre Orient et Occident

De par son histoire, Tran Anh Hùng est un cinéaste forcément partagé entre deux cultures : le Vietnam et la France. L’Orient et l’Occident, deux mondes différents, deux façons de voir le cinéma, et toutes autres choses d’ailleurs. Le cinéma du Franco-Vietnamien est un entre-deux perpétuel. Bien que la culture vietnamienne y tienne une place importante (nous y reviendrons), que tout semble si lointain, on a quand même cette influence prégnante de la culture occidentale.

L’Américain Josh Harnett dans I Come With The Rain

À la sortie de L’Odeur de la papaye verte, beaucoup (dont Les Cahiers du Cinéma) se sont insurgés contre l’aspect « exotique » du film. Le fait qu’il soit tourné, comme Indochine de Régis Wargnier, en studio, en France, relevait presque du domaine de l’arnaque pure et simple. Cette idée que les films asiatiques ont quelque chose d’exotique pour nous, Occidentaux, n’est plus une surprise. Mais le cinéma de Tran Anh Hùng peut-il être vraiment qualifié d’exotique ? Est-ce une tentative volontaire de montrer un Vietnam fantasmé ? On voyage au Vietnam, on découvre des lieux inconnus, des coutumes ancestrales, des rituels quotidiens. Pourtant, rien d’artificiel là-dedans, ni d’exotique. C’est juste la vision sincère d’un homme, nostalgique d’un pays qu’il ne connaît qu’au travers de souvenirs. C’est un cinéma de l’absence, du manque. Certains journalistes diraient que les films de Tran Anh Hùng ont une sensibilité bien asiatique, si cela avait un sens. Les spectateurs, eux, sont en terrain complètement inconnu, et cette impression se dissipe malgré tout. Parce qu’il y a bien sûr un caractère universel dans le cinéma de Tran Anh Hùng : sa vie est en France, son cœur peut-être au Vietnam, et son cinéma sûrement entre les deux.

Un cinéma exotique ?

Cette idée d’un certain cinéma asiatique a toujours un peu irrité le cinéaste. Au sujet de Tigre et Dragon d’Ang Lee, il disait : « Quand je vois que le film asiatique le plus populaire est Tigre et Dragon, c’est-à-dire la Chine vue par la Samaritaine, j’ai peur que l’intérêt du public occidental pour le cinéma asiatique ne soit faussé par le pouvoir de la pub ». Parce que sans doute que pour lui, le Franco-Vietnamien, la volonté de garder une part de son pays de naissance est vitale, et que sa démarche n’est qu’affective.

Quand on voit les 4 films de Tran Anh Hùng (en omettant pour l’instant I Come With The Rain), on s’aperçoit que, malgré le cadre, malgré les coutumes, le ton et le genre sont toujours empruntés à l’Occident. Le mélodrame, la tragédie, la comédie (dramatique) de mœurs, des genres qui nous sont familiers. Les influences sont multiples chez le réalisateur. Quand L’Odeur de la Papaye verte invoque Ozu et Mizoguchi, Cyclo est une référence directe au Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica et à Martin Scorcese. Même dans La Ballade de l’impossible, film totalement japonais, les influences européennes et américaines sont constantes : dans la musique qu’écoute le héros, dans les idées de révolte des étudiants, dans la phrase sur la tragédie grecque du professeur d’université qui résume à elle seule toute la problématique du film. C’est ce mélange qui fait toute la complexité et la beauté du cinéma de Tran.

Cyclo : entré néoréalisme et film du nouvel Hollywood

I Come With The Rain est l’exemple le plus éloquent de ce rapprochement. L’Asie et l’Occident se mélangent, tout le monde parle anglais, le héros est américain, l’antagoniste coréen, Jésus est japonais. Hong Kong est une ville post-moderne invoquant le Blade Runner de Ridley Scott, tentaculaire, sans pitié. Dans ce film, toute la symbolique est occidentale, les personnages du serial killer, du détective privé ou de la figure christique sont des « institutions » du film de l’Ouest et Tran se les approprie, lui qui n’était pas nourri qu’au cinéma asiatique, comme beaucoup de réalisateurs orientaux d’ailleurs, qu’on ne peut (veut) imaginer avoir des références occidentales.

Une croix formée par les buildings hongkongais (I Come With The Rain)

Un cinéaste des sens

Chez Tran Anh Hùng, le cinéma est une affaire de sens. Il disait en parlant de L’Odeur de la papaye verte qu’elle lui rappelait sa mère. Une odeur comme Madeleine de Proust. Nos cinq sens sont en permanence exacerbés dans le cinéma du Franco-Vietnamien. Une vieille domestique qui prépare un bon petit plat, les légumes, la viande filmée en gros plan, la fumée s’échappant de la poêle. Le cinéaste a cette façon de rendre presque palpables les textures, presque réelle l’odeur de la papaye verte, de la sève qui coule le long de ces feuilles, de pouvoir sentir les grains d’un fruit sous ses doigts. Quand il pleut, on  sent la fraîcheur, quand il fait chaud, la moiteur est là, on la ressent presque. Cette réalisation organique est une marque de fabrique. De sa caméra mouvante, il arrive à capter l’instant, doux paradoxe, moments précieux.

Un cinéma sensuel

La sensualité est partout, et sous toutes ses formes dans le cinéma de Tran Anh Hùng. Elle nous offre des moments de poésie pure, comme ces plans où le héros frôle les rampes de bois (La Ballade de l’impossible) ou l’amant qui embrasse fougueusement sa maîtresse (À la Verticale de l’été). Parfois, cela peut également être terrifiant, cauchemardesque (les effets stroboscopiques de Cyclo, les corps recomposés touchés par Josh Hartnett dans I Come With The Rain). Comme si l’auteur nous montrait les deux faces de lui-même. Il est impossible de ne rien ressentir à la vision d’un film de Tran Anh Hùng. Que le temps semble figé, que vous sentiez presque l’odeur d’un bon plat ou même l’ennui poindre, le film vous porte, vous berce, vous amène quelque part, entre rêves éveillés et sensations qu’on croyait perdues à jamais.

Une rampe frôlée du bout des doigts (La Ballade de l’impossible)

Cette sensualité ne se retrouve pas uniquement dans l’image, elle est aussi partout dans les mots. Les dialogues sont rares, chaque mot prononcé est un trésor. On pense au personnage interprété par Tony Leung Chiu-Wai dans Cyclo, qui est surnommé le poète et qui récite parfois en voix off ses compositions. C’est un homme de main, un gangster, il tue, il est proxénète, mais chaque moment en voix off est un enchantement, une parenthèse sensuelle qui nous fait ressentir tout le mal-être du personnage. C’est aussi ça la sensualité : pouvoir, avec un simple poème et la vue d’enfants de bidonvilles fermant les yeux (superbe scène de Cyclo), vagabonder avec eux, sentir ce qu’ils ressentent, être avec eux, juste l’espace de quelques vers.

Des enfants semblant prier au rythme de poèmes (Cyclo)

Cette sensualité est aussi et surtout dans toutes les sonorités qu’entourent les films. Les insectes, les grenouilles, les gouttes d’eau, c’est un autre monde que nos oreilles découvrent indépendamment de nos yeux. Ces films s’écoutent. La musique et les bruitages sont conducteurs d’émotions et de sensations. Que ce soit des compositions classiques originales ou des musiques empruntées à d’autres genres et artistes (Lou Reed pour À la Verticale de l’été, Radiohead pour Cyclo ou Explosions in The Sky pour I Come With The Rain), tout est question d’intensifier les sensations par la musique. Sans crier gare, l’émotion provoquée par la beauté des images est démultipliée.

Le cadre et la beauté : une quête d’harmonie

Ce qui marque d’emblée, et ce dès la première séquence de L’Odeur de la Papaye verte, c’est l’importance du cadre. On découvre l’arrivée de la jeune Mui dans sa nouvelle demeure. Mais au lieu de se focaliser sur la jeune fille arrivant au pas de la porte, Tran Anh Hùng va se mettre en retrait, et s’intéresser à tous ceux qui sont déjà dans la maison. Lentement, la caméra virevolte latéralement, tout doucement. Le père joue de la musique d’un air solennel, la mère apporte le thé, tout est filmé de l’extérieur. Enfin, la petite fille frappe à la porte. Cette séquence, première de son premier long métrage, montre à elle seule la méticulosité, l’importance de l’esthétique dans son cinéma. Tran Anh Hùng est un esthète, dans le sens le plus noble du terme. Son cadre est le miroir de son âme, le remplissant de vases, de cages d’oiseaux, ou en filmant sa scène de derrière une fenêtre. Le surcadrage est sa marque de fabrique. On peut évidemment comparer son travail sur le cadre avec celui de Hou Hsiao-Hsien ou encore plus avec celui de Wong Kar-Wai. Il est de cette race de cinéaste de « l’image-action ».

Dans L’Odeur de la papaye verte, film sur la condition de la femme au Vietnam, le surcadrage est permanent. Mui est captive. Elle travaille pour une femme riche, qui elle aussi est prisonnière de sa condition. Tout est volupté, mais le cadre indique le contraire. C’est le désordre, c’est chaotique, toujours millimétré évidemment, mais sacrément révélateur de l’état psychologique de ces personnages. En multipliant les cadres, Tran tente d’ouvrir les portes. Une évasion souvent de courte durée. Dans L’Odeur de la papaye verte, il n’y a, hélas, pas d’échappatoire.

Le cadre dans le cadre, importance de l’arrière plan (L’Odeur de la papaye verte)

Le cinéma de Tran est totalement tourné vers la nature, incluant l’homme dans quelque chose qui forcément le dépasse. Il sait transcender ce cadre exigu où les personnages se perdent souvent. L’exemple le plus probant est son dernier film en date, La Ballade de l’impossible. Les scènes d’intérieur sont dans la logique « trannienne » : surcadrées, inquiètes, malgré le calme apparent. L’auteur sait cependant élargir et vider son cadre dès que les personnages sont en pleine nature, en paix. C’est évident, chez Tran Anh Hùng, le cadre est un espace mental.

Cette beauté, ce souci du détail, ce n’est pas qu’une recherche purement plastique. C’est aussi une quête qui touche aux relations humaines. Tran essaye de saisir les moments de la vie quotidienne, leurs caractères précieux. Dans tous ses films, les personnages se cherchent, la jeune Mui de la papaye verte, le Cyclo, le détective interprété par Josh Hartnett dans I Come With The Rain sont des exemples parmi tant d’autres. Mais plus important, ils cherchent quelqu’un, que ce soit une idée abstraite (l’amour, un père, peu importe qui ce sera) ou bien une personne en particulier. Les personnages de Tran Anh Hùng cherchent la beauté chez les autres. Ils sont souvent naïfs, un peu perturbés, mais toujours sincères. Ce sont de « beaux » personnages.

Des personnages perdus à la recherche de quelqu’un

Mais quand cette beauté enchante les esthètes, elle dérange quelque peu les autres. Le cinéma de Tran Anh Hùng, comme celui de Wong Kar-Wai, est souvent qualifié de maniériste, de vain. Pourtant le cinéaste aime aller au-delà de la simple beauté formelle, il aime aller plus loin. Sur la question, il a d’ailleurs un avis bien tranché : « Si vous faites du factice, vous êtes d’emblée dans la culture, vous êtes d’emblée dans le digéré. Vous ne fournissez pas la nourriture, mais discutez plutôt de sa digestion.

Ces cinéastes, comme Tarantino par exemple, font preuve d’un savoir-faire évident. C’est du bon savoir-faire, ça fonctionne et les gens aiment. C’est efficace et nous pouvons tous le ressentir, bien que je ne trouve pas que ce soit satisfaisant. La plupart du temps, c’est de la pure déconnade. C’est un cinéma complètement en surface. En revanche, si vous souhaitez donner un sentiment plus poignant de l’existence, quelque chose qui participe à vous faire découvrir vos propres sensibilités, à vous faire entrer en vous-même et à vous ouvrir ces portes au fond de vous, il faut autre chose, soit une exploration plus profonde et sincère de l’âme au lieu d’une simple attitude. » (1)

Il est un peu facile de réduire son cinéma à la simple question du beau, tant le cinéma de Tran Anh Hùng transcende sa forme pour parler de choses infiniment moins vaines.

Du beau, mais pas seulement

La femme, l’amour, le deuil : les trois constantes

Il est assez facile de dégager des thèmes récurrents dans l’univers du réalisateur. Tran Anh Hùng est un cinéaste qui n’est pas difficile à décrypter, et c’est aussi ce qui fait partie de son charme. Ce n’est pas un cinéma hermétique malgré les apparences d’un certain cinéma auteurisant.

La femme tient une place centrale dans tous ses longs métrages. D’abord en la personne de la sublime Tran Nu Yên-Khê, muse et épouse du cinéaste, présente dans tous ses films (sauf La Ballade de l’impossible où elle était derrière la caméra, l’aidant pour les costumes), y compris les courts-métrages. Elle est tour à tour servante (L’Odeur de la papaye verte), prostituée (Cyclo et I Come With The Rain) ou simple femme cherchant l’amour (À la Verticale de l’été).

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Tran aime les femmes, il est sensible à leurs évolutions, d’abord dans la société vietnamienne mais aussi en général. Dans sa trilogie vietnamienne (L’Odeur de la papaye verte, Cyclo et À la Verticale de l’été), les femmes sont le cœur des films. Elles sont toujours bafouées, violées, mises à l’écart. Une scène des plus marquantes à ce sujet se trouve dans À la verticale de l’été, bien que la scène, anodine comparée aux différentes séquences plus violentes de Cyclo, demeure édifiante. Un homme parle avec son meilleur ami de la femme qu’il fréquente : « Je ne me vois pas avec elle. Je suis plus éduqué, je suis plus vieux, pourtant je sens qu’elle me domine ». Le constat est cruel pour les hommes vietnamiens avec lesquels le cinéaste n’est pas tendre dans cette trilogie. La femme, de son côté, est sublimée, toujours du côté des justes, toujours belle, quoi qu’elle fasse. Dans cette trilogie vietnamienne, on note toutefois une évolution significative du statut de la femme. De complètement asservie (L’Odeur de la papaye verte), elle finira plus libre de ses choix (une certaine libération sexuelle dans À la verticale de l’été), mais toujours prisonnière et même conditionnée (la réaction des deux femmes quand elles apprennent que leur  sœur est enceinte en dehors du mariage).

Le cinéaste s’intéresse aussi au lien d’amour unifiant les femmes aux hommes. L’amour est une drôle de chose dans les films de Tran Anh Hùng, quelque chose qui surgit en un regard pendant un dîner, un lien qui se crée un peu par hasard. Les hommes semblent toujours tomber des nues, comme un des personnages d’À la verticale de l’été qui n’en revient pas d’avoir une ouverture avec la femme à côté de lui dans l’avion. L’amour est un don qu’on reçoit sans forcément le vouloir.

Tran Anh Hùng célèbre la vie, toujours. Pourtant, les personnages sont toujours en deuil. Les fantômes du passé hantent continuellement son cinéma. Une mère, un père, un ami, il manque quelqu’un aux personnages. Cette idée de manque, de deuil, traverse de part en part les films du cinéaste. Comme s’il lui manquait lui aussi quelque chose, comme s’il était incomplet. Dans L’Odeur de la papaye verte, il faisait clairement le deuil d’une certaine idée du Vietnam, lui qui ne le connaît qu’au travers de souvenirs d’enfance. Quoi qu’il en soit, on retrouve cette mélancolie, cette nostalgie, dans chacun de ses films. On sent cette tristesse diffuse, ce petit malaise qu’on ne saurait expliquer.

Un deuil permanent

Politique ?

On a souvent reproché au réalisateur de ne pas s’engager politiquement dans ses films, de totalement occulter les aspects historiques et politiques. Plus qu’une volonté d’oublier ces aspects, il est plus question de ne pas laisser la politique écraser le reste, et transformer les films en autre chose. Les aspects historiques et politiques sont effleurés du bout des doigts. On entend la sirène du couvre-feu (L’Odeur de la Papaye verte) ou un hélicoptère s’écrasant dans la ville (Cyclo). Qu’on lui reproche de ne pas faire de politique est quelque peu hors propos : Tran ne détourne pas les yeux des problèmes passés et présents de son pays de naissance, il choisit juste de se concentrer sur l’individu, son quotidien. Mais cela ne l’empêche pas de livrer des messages sociaux forts.

Un héros qui regarde passer l’Histoire (La Ballade de l’impossible)

Et maintenant ?

Avec 6 films en plus de 20 ans de carrière, Tran Anh Hùng est un cinéaste rare, parfois plus par manque de chance que par réelle envie. La sortie d’Éternité demeure un véritable événement qu’Eastasia célèbre comme il se doit.

Jérémy Coifman.

(1) Entretien avec le réalisateur par Panorama-cinéma.com

Éternité de Tran Anh Hung. France. 2016. En salles le 07/09/2016.

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