Le Film de la semaine – Black Stone de Roh Gyeong-tae (en salles le 27/07/2016)

Posté le 25 juillet 2016 par

Alors que le cinéma indépendant coréen connaît une crise, des films arrivent à se frayer un chemin jusqu’à nos écrans. C’est le cas de Black Stone de Roh Gyeong-tae, errance sombre et mélancolique dans un monde en perdition, en salles le 27 juillet.

Black Stone nous montre les pérégrinations en Corée d’un jeune homme métis, Shon Sun, et de sa famille. Après avoir subi le pire à l’armée et avoir commis l’irréparable, le jeune homme se lance à la recherche de sa famille qui, entre temps, s’est disloquée. Il entreprend un voyage pour rejoindre son père qui est retourné dans son village après la mort de sa mère. Ce voyage est un mouvement aussi bien géographique que mental pour le héros qui est en fuite. Dans sa première partie, Black Stone a les aspects du film indépendant coréen et, malheureusement, ses tares : des plans fixes naturalistes, un montage pas très dynamique, des acteurs ternes (pour « faire réaliste » ?) et une mise en scène assez illustrative. Par exemple, pour montrer que le personnage étouffe dans son environnement et que sa vie à l’armée l’empoisonne, on nous montre Shon Sun qui s’étouffe littéralement durant un exercice militaire. La mise en scène vient doubler un propos énoncé. Mais le développement du film et la violence des situations viennent peu à peu troubler ce système qui semblait bien trop conforme pour un propos aussi véhément. Le film évolue après cette première partie trompeuse et prend rapidement une ampleur onirique que ne laissait pas présager cette introduction naturaliste.

black stone

Roh Gyeong-tae nous montre l’errance d’un jeune homme au-delà de toutes considérations morales dans un monde où il n’a plus sa place. Shon Sun et sa famille sont corrompus et oppressés par un système archaïque : la société coréenne. Le cinéaste justifie des scènes violentes ou des situations extrêmes comme l’utilisation de la séropositivité comme une arme de vengeance par la violence politique et sociale de la Corée du Sud. Il parvient à capter une sorte de spleen urbain qui n’est pas sans rappeler le cinéma de Kim Kyung-mook ou de Kim So-yong qui sont de la même génération. Il y a cette volonté de montrer la ville comme un lieu de solitude extrême où les rues et les couloirs vides ne font que résonner avec le vide intérieur du personnage. Le personnage n’est plus confronté qu’à lui-même, et devant l’obscure impasse de son avenir en Corée, décide de fuir pour retrouver sa famille, son identité, sa place.

Il ne s’agit pas seulement d’une quête rédemptrice mais également d’une recherche d’équilibre dans le chaos que représente la vie moderne. Roh Gyeong-tae, dans le dossier de presse, revendique un propos écologiste. Il l’exprime dans les plans larges durant l’errance du personnage dans le pays de son père. Il marche sur des plages emplies de déchets et d’ordures. Paysage désastreux qui saisit aussi bien l’angoisse du héros que celle que ressent Roh Gyeong-tae pour la planète. Alors que le monde se délite autour de lui, Shon Sun trouve refuge dans l’onirisme. Le rêve est la réponse car il rend tout possible. Le cinéma est un rêve que l’on partage. Ainsi Roh Gyeong-tae oublie totalement le dispositif naturaliste du début du film pour invoquer le pouvoir onirique du cinéma à travers les rêveries de son héros. Les plans sont plus longs, avec des légers travellings ou panoramas. La nature déborde du cadre, elle accompagne le personnage dans un monde où il a enfin une place. Comme ses personnages, Roh Gyeong-tae nettoie la pierre noire, il fait ce qu’il peut en tant que cinéaste pour éclaircir le futur. Cette vision du cinéma peut se rapprocher de celle de Apichatpong Weerasethakul (dont Roh Gyeong-tae revendique l’influence). L’onirisme atteint son apogée dans une scène de résurrection digne de Ordet, où nous nous flottons dans des visions d’un monde sans gravité. La séquence va jusqu’à l’abstraction qui évoque un cinéma expérimental proche de Stan Brakhage où la sensation prend le pas sur le sens.

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Ce n’est donc pas un brûlot politique sombre et violent que propose Black Stone, mais une ode à la rêverie qui viendrait au secours d’un monde perdu et abrupt. C’est un trip à travers des paysages mentaux qui reflètent la triste réalité d’une Corée, d’un monde qui suffoque dans le silence. Certes, ce n’est pas parfait, et l’écraser sous les influences qu’il convoque ne servirait pas le film. Mais le mouvement d’apaisement que propose Roh Gyeong-tae à travers cette fuite mérite qu’on s’y attarde. Contrairement à ce qu’on veut bien croire, la machine à rêves ne s’est pas arrêtée, elle en propose toujours des singuliers à ceux qui sont prêts à les recevoir.

Kephren Montoute.

Black Stone de Roh Gyeong-tae. Corée. 2015. En salles le 27/07/2016.