Le film de la semaine – Un jour avec, un jour sans de Hong Sang-soo : Deuxième tour

Posté le 13 février 2016 par

Le 17 février prochain, Right Now, Wrong Then, le nouveau Hong Sang-soo, rebaptisé chez nous Un jour avec, un jour sans arrive en salles. Un très grand cru !

Comme chacun sait, Hong Sang-soo réalise toujours le même film. Plus exactement, l’une des approches coutumières de son œuvre désormais très fournie (un film par an, sinon deux, depuis Turning Gate en 2003) repose sur ce socle critique pas moins valable qu’un autre : HSS assume de plus en plus un penchant pour la reprise de situations déjà vues un ou deux ans plus tôt. Sunhi (2014), par exemple, aurait tout à fait pu s’intituler à son tour « Sunhi et les hommes », tant il n’y était pas moins question que dans le précédent Haewon et les hommes (2013) des allers-retours affectifs d’une jeune femme un peu rêveuse. The day he arrives (2011) et In another country (2012) faisaient par ailleurs de la relecture d’une situation, sa reprise, le moyen d’une relance de la fiction.

« Le HSS annuel est peut-être son film le plus risqué, par la radicalité de son concept. Il en est d’autant stimulant. »

Un jour avec, un jour sans

Cette dimension expérimentale et arbitraire du récit, ce principe de variation sur le même thème, justifient à eux seuls la place tenue depuis une dizaine d’années en paysage cinéphile par le Rohmer sud-coréen. Celle d’un auteur pur jus, un cinéaste au travail d’autant plus intéressant à suivre que chaque nouvelle livraison conforte notre savoir sur son art, ou, dans le meilleur des cas, défie ce savoir en poussant l’expérimentation plus loin que prévu. Ce dernier film, Un jour avec, un jour sans, figure parmi ces œuvres de défiance. Tout ce qui fait le cinéma de HSS (longs plans fixes sur une soirée arrosée au soju, discussion en extérieur entre un cinéaste trentenaire et une jeune fille pas insensible à son charme…) nous est donné. Cette familiarité, par la maîtrise toujours indéniable de la mise en scène, suffit à rassasier le fan club.

RIGHT-NOW-WRONG-THEN

Sauf qu’après la première heure plaisamment fluide de cet opus qui en compte deux (HSS nous avait habitués après Ha Ha Ha à la forme compacte d’environ 1h15), survient un bug assez inédit. Débute un nouveau film (Right Now, Wrong Then succède au précédent Wrong Now, Right Then), avec son propre générique, où figurent pourtant les mêmes noms d’acteurs et de techniciens que tout à l’heure. Ce deuxième film dans le film sera rien moins que le palimpseste du premier. L’histoire commence et s’achève aux mêmes lieux, avec les mêmes personnages. On craint d’abord, au constat de cette redite, de n’être pas armé pour ce type de proposition, revoir un même film dans la foulée d’une première fois n’étant pas un problème… si c’est notre choix. Car il n’est pas question ici, comme dans les films précités, de commencer le visionnage en anticipant les variations à venir. Hong Sang-soo nous met, cette fois, dans la position bien moins confortable du spectateur communément amnésique et hypermnésique.

RIGHT-NOW-WRONG-THEN-

Appuyons-nous sur l’histoire. Ham Cheon-soo (Jae-yeong Jeong), cinéaste connu, arrive à Suwon avec un jour d’avance, à l’occasion d’une rétrospective. Devant un palais restauré, il fait la connaissance de Yoon Hee-jeong (Kim Min-hee), une jeune et jolie peintre. Celle-ci l’invite à voir ses toiles dans son atelier. Ils vont ensuite boire quelques verres dans un restaurant du coin, où ils envisageront la possibilité ou non d’une relation, avant de finir la soirée chez des amies de la jeune femme. Le lendemain, le cinéaste quitte Suwon après sa conférence. Les deux versions partagent cette trame. Mais l’enjeu du film sera de déclencher, comme dans un jeu des sept erreurs, l’observation à une heure d’intervalle des plus infimes différences entre deux scènes supposément identiques. Là où, dans le « premier film », le tableau analysé en direct par Cheon-soo était à notre portée, il reste hors-champ dans le second, où importe avant tout le lien entre la parole du personnage et son regard amoureux sur Hee-jeong. On ne peut donc appréhender cette reprise en occultant le souvenir de la première fois.

RIGHT-NOW-WRONG-THEN-

La variation a ceci de radical, dans Un jour avec, un jour sans, qu’elle fait de nous, même à notre corps défendant, des spectateurs également dédoublés. Le spectateur de la version 1 est celui d’un HSS classique et de plutôt bonne facture. Celui de la version 2 est quant à lui plus actif, plus travailleur. Chaque scène de Right Now, Wrong Then invite à se repasser mentalement Wrong Now, Right Then, pour se rappeler les premières réactions des personnages et autres angles de caméra. Voici un film d’autant plus majeur de la filmographie qu’il interroge littéralement sur la possibilité de refaire ou non le même film, à deux trois détails près.

Sidy Sakho.

Un jour avec, un jour sans, de Hong Sang-soo. Corée. 2015. En salles le 17/02/2016.

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