Portrait de Hosoda Mamoru, réalisateur du Garçon et la bête (en salles le 13/01/2016)

Posté le 16 janvier 2016 par

Retour sur le passionnant Hosoda Mamoru, alors que son denier film, le magnifique Le Garçon et la bête (lire notre critique ici) est parti à la conquête des salles françaises depuis le 13 janvier dernier.

Ce qui frappe dans la filmographie de Hosoda Mamoru, c’est l’équilibre permanent qu’on y trouve entre art populaire et veine personnelle. A partir du début des 90’s, son apprentissage se fait effectivement via l’animation télévisée ou à différents postes (animateur clé principalement, mais aussi storyboarder ou scénariste) où il se familiarise à différentes esthétiques, modes de narration et genres à travers les séries abordées. Le shonen dans toute sa splendeur bourrine (la série Dragon Ball Z et certains des films) et épique (la série Kenshin le Vagabond), de même avec le grand shojo populaire (Sailor Moon) ou sophistiqué (l’excellent Utena la Fillette révolutionnaire), sans parler des séries enfantines codifiées mais autorisant un visuel surprenant (Digimon ou encore Magical Doremi). Le passage au cinéma et à la réalisation de Hosoda témoignera d’un même éclectisme sur des commandes adaptant manga et série avec deux films Digimon (en 1999 et 2001), un One Piece : Le baron Omatsuri et L’île secrète (2005) mais aussi des films publicitaires fameux pour Vuitton et le quartier de Roppongi Hills à Tokyo. Hosoda aura manqué une première tentative d’émancipation lorsque, face à l’immobilisme de Ghibli, il sera écarté de la production du Château ambulant qu’il devait réaliser.

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Cette période de formation au sein de la Tôei aura permis à Hosoda de se façonner une patine visuelle où, dans l’expression de ses thématiques récurrentes, se disputent constamment la grâce et le chaos. Le réalisateur donne au premier abord un faux sentiment de trait et style impersonnel tant il cherche à fondre son style au sujet auquel il se confronte, ce qui sied parfaitement à la thématique récurrente de l’extraordinaire nourrissant des préoccupations intimistes dans chacune de ses œuvres. L’appropriation se fait de manière subtile, tant visuellement que narrativement, comme on le verra dans La Traversée du temps où il intègre le célèbre Studio Madhouse et qui le révèlera en France. Adaptant un roman de Tsutsui Yasutaka (fameux auteur de science-fiction japonais dont le Paprika de Kon Satoshi est également adapté), Hosoda se l’approprie en décalant l’histoire d’une génération (la jeune héroïne est en fait la nièce de celle du roman) et en ancrant la thématique si vaste du voyage dans le temps dans le quotidien d’une adolescente dont il capturera les premiers émois par cette voie inattendue. Hosoda y collabore pour la première fois avec la scénariste Okudera Satoko avec laquelle il façonne cette narration croisant réalisme et visions envoûtantes, s’exprimant ici avec le quotidien amusant de l’héroïne laissant place à une poésie et des envolées visuelles flamboyantes. La retenue du trait et le réalisme des environnements se laissent ainsi déborder par l’étrange, la perte de repères puis enfin exprimer l’accomplissement de l’héroïne capturée dans le mouvement avec cette course éperdue – motif que l’on retrouvera dans tous les films suivant de Hosoda.

La Traversée du temps

Summer Wars poursuivra la tentative en se laissant un peu plus déborder par le chaos. Le film est une sorte de remake plus abouti du moyen-métrage Digimon Adventure: Our War Game (2000) où il évoquait déjà le danger d’un monde virtuel parasité. Hosoda ne cède pas à la facilité d’une confusion entre réel et virtuel, séparant bien les deux dans son approche visuelle : ludique, rond et ergonomique pour le virtuel et ancré dans la tradition avec la maison de campagne d’une famille japonaise. Hosoda condamne autant le refuge dans le passé qu’une fuite dans le réseau social Oz, le dépit familial étant une des sources de la dérive du hacker tandis que la famille devra se reconnecter au monde qui l’entoure pour le sauver de la menace. Le thème de la famille et de la transmission s’exprime là pour la première fois chez le cinéaste, prolongement de sa vie personnelle où il assistait sa mère mourante et jeune marié découvrant la famille de son épouse (d’où l’empathie amusante pour le maladroit personnage principal). D’une ampleur et d’un foisonnement visuel impressionnant, Summer Wars réconcilie les générations sans passéisme, la tradition et la modernité avançant d’un même pas tant qu’elles sont guidées par le cœur à l’image de la victoire finale dans le monde virtuel se faisant sur une partie de jeu de carte japonais Hanafuda.

Summer-wars

La maturité des thèmes de Summer Wars et l’introspection de La Traversée du temps trouveront leur parfait aboutissement avec Les Enfants Loups. Hosoda aura créé à l’occasion du film sa propre société de production avec le Studio Chizu. Fort de cette liberté, c’est l’œuvre où Hosoda s’affranchit le plus de son passé télévisuel en multipliant les audaces. Ayant coup sur coup perdu sa mère puis étant devenu père, le réalisateur décide d’exprimer ses espoirs et ses doutes à travers la trame du film. L’argument fantastique de l’homme loup et de ses enfants est une manière pudique de ne pas se dévoiler trop ouvertement et aussi d’introduire plus douloureusement le drame. Après deux films se déroulant sur des temporalités très resserrées, Hosoda ose la lenteur, laisse défiler les saisons et les années pour témoigner du bonheur et de l’angoisse de cette mère devant élever des enfants loups. Le style naturaliste et contemplatif atteint des sommets de poésie (la course dans la neige, l’adieu final) où une nouvelle fois il inscrit la tradition (ici rurale) dans une attente future avec l’avenir représenté par Ame et Yuki. Un vrai grand mélodrame où cette notion de filiation s’accompagne d’un questionnement sur la manière de laisser évoluer et grandir nos enfants, même si cela conduira à une naturelle et irrémédiable séparation.

Les-Enfants-Loups-Ame-Yuki-

Le Garçon et la Bête creusera un même sillon mais en équilibrant les regards du parent et de sa progéniture. Hosoda inscrit le film dans un style shonen plus identifiable (héros masculin adolescent, bestiaire fantastique, tournoi et scènes d’entraînement) tout en donnant une plus grande profondeur à la définition de la filiation. L’hybridation d’enfant loup constituait la richesse comme la malédiction des personnages devant dompter ou s’abandonner à leur nature dans le film précédent. Loup et/ou humain, cette identité était inscrite dans leurs gènes. Le Garçon et la Bête développe la filiation au-delà des seuls liens du sang pour aller vers le quotidien où l’amour s’incarne dans l’habitude, la complicité plutôt que dans la démonstration explicite. Après le point de vue maternel et mixte du côté des enfants du film précédent, Le Garçon et la Bête explore les rapports père-fils avec la quête d’un modèle pour l’un et la responsabilité d’en représenter un viable pour l’autre – aspect évoqué en plus tragique avec Ame dans Les Enfants Loups. Les moments de mimétisme offrent de belles scènes de comédie où la complicité naît du geste quand le tempérament masculin plus maladroit exprime cet amour père-fils dans le conflit. Le côté shonen s’explique donc, traité aussi respectueusement qu’allusivement (le long voyage initiatique martial en accéléré) et Hosoda reprend le questionnement sur le moment de laisser partir un enfant que l’on a su façonner tout en nous montrant les troubles de celui ayant grandi dans le mensonge. On retrouve cette narration étirée dans le temps et laissant mûrir les personnages mais l’épure des Enfants Loups laisse place à un monde de fantasy bariolé où Hosoda se rappellera au bon souvenir de ces débuts dans Dragon Ball Z.

Un parcours passionnant qui fait déjà de Hosoda Mamoru un des maîtres de la japanimation actuelle.

Justin Kwedi.

Le Garçon et la bête de Hosoda Mamoru. Japon. 2015.En salles le 13/01/2016. 

Lire notre critique ici.