Ryoo Seung-wan commence à être vétéran du FFCP dont il était notamment l’invité en 2010 lors de sa 5ème édition avec une master class à la clé. Il revient cette année pour présenter en séance d’ouverture sa dernière réalisation qui demeure son plus gros succès à ce jour avec pas moins de 13 millions de spectateurs.
Il faut avouer que Veteran se donne tous les moyens pour offrir un grand divertissement populaire sans pour autant tomber dans la facilité commerciale avec son histoire où Deo, policier au tempérament sanguin, tente de faire tomber un sadique héritier de la haute finance.
Sa grande qualité est son tempo soutenu, tout simplement étourdissant durant les 30 premières minutes qui enchaînent à un rythme effréné combats chorégraphiés au millimètre, gags hilarants, personnages haut en couleur et mise en scène virevoltante avec quelques petits plans-séquences certes peu révolutionnaires mais savoureux, comme celui qui se déroule au début du deal avec la mafia russe. Toute cette séquence est d’ailleurs éblouissante et chaque plan, même les plus courts, possède au moins une idée qui vient relancer les explosions de rires du public. La fluidité et la lisibilité de la réalisation comme les trouvailles humoristiques sont particulièrement originales pour un moment anthologique.
Après un tel morceau de bravoure (sans oublier tout ce qui précédait), on se demande bien comme le cinéaste va maintenir la cadence. La réponse viendra presque immédiatement : il va la ralentir considérablement pour raconter une histoire qui, il est vrai, était plutôt absente jusque-là. Il délaisse alors la pure comédie pour aborder des questions plus sérieuses avec un indic du policier confronté à une multinationale corrompue jusqu’à ses fournisseurs. Ces derniers trouvent des failles juridiques pour ne plus payer ceux qui se trouvent en bas de l’échelle. Un malaise social qui explose littéralement lors de l’entrevue dans le bureau du fils du PDG, où ce dernier exprime sa philosophie capitaliste avec un mépris dérangeant. Une longue séquence sans doute trop perturbante car on voit mal comment on pourra de nouveau rire à gorge déployée après ça…
Conscient de ce problème épineux, le cinéaste calme donc son jeu et recentre en bonne partie sa narration sur le duo de méchants, le genre d’ordures qu’on adore détester. A ce titre, on peut tout de même regretter que le vrai vilain de l’histoire (Jo, l’héritier hyper violent) soit à ce point caricatural et aussi peu nuancé, avec une caractérisation embrassant les plus gros clichés, allant, par exemple, lui faire passer un morceau de musique classique durant l’humiliation violente d’un de ses employés. On préfère de loin son bras droit, un membre de sa famille exploité à sa manière et qui se démène tant bien que mal pour essayer de sauver la situation mais dont les choix finissent à chaque fois par resserrer l’étau du héros incorruptible sur la société-mère. Avec une écriture plus « humaine » on finit même presque par le prendre en pitié, craignant les explosions de colère qui pourraient très facilement se retourner contre lui.
De manière générale, c’est dans les seconds rôles de Veteran qu’on trouve le plus de faiblesse, à commencer par les personnages féminins qu’on sent sacrifiés sur la table de montage. L’épouse de Seo voit sa présence réduite à trois scènes alors que son personnage s’avère très intéressant, parfait contrepoids à la nature impulsive de son mari. Le plus regrettable demeure cependant la maîtresse de Jo qui semble n’exister que pour subir les maltraitances de son amant et qui disparaîtra purement et simplement du récit.
Ces petites lacunes amoindrissent légèrement la critique virulente du capitaliste sans foi ni loi que dresse Ryoo Seung-wan, d’une Corée du Sud totalement gangrénée par la corruption, les abus de pouvoir, où les multinationales dictent la conduite de la police et de la presse. Les thèmes rejoignent par là le sujet d’un de ses précédents films : The Unjust dont le traitement était, lui aussi, premier degré. Cela ne fait pas oublier que l’état des lieux de son nouvel opus n’en demeure pas moins tristement réaliste (plus que les personnages qui l’incarnent). Avec de nombreux scandales qui ont désespéré la population ces dernières années, Veteran se pose donc comme un exutoire salvateur, expliquant sans doute en partie son plébiscite au box-office. Conscient de devoir symboliquement punir l’impunité de cette caste imbue de son pouvoir, Ryoo a l’intelligence de situer le final au milieu d’une foule armée de téléphones portables, pour une double condamnation qui se fait en direct, loin des tribunaux aux ordres. Une conclusion largement prévisible, bien sûr, mais qui renoue avec le dynamisme de la première partie, bien que l’humour n’y soit pas aussi présent. On retrouve donc avec bonheur un affrontement renvoyant aux glorieuses heures des années 80 de Hong-Kong avec notamment une succession de chutes et projections toutes plus douloureuses les unes que les autres tandis que le combat d’introduction renvoyait aux chorégraphies réglées comme du papier à musique de Jackie Chan ou de Sammo Hung.
Anthony Plu.
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Veteran de Ryoo Seung-wa. Corée. 2015. Présenté au FFCP 2015.