DVD – La Maison des perversités de Tanaka Noboru

Posté le 25 avril 2015 par

Depuis le 7 avril, Zootrope réédite une vague de pinku eiga indispensables, dont cet étrange joyau de Tanaka Noboru qui adapte ici Edogawa Ranpo.

Tokyo, 1923. Goda, directeur d’une pension de la ville, est un homme seul et introverti qui trouve son propre plaisir dans l’espionnage de ses pensionnaires à travers des fentes de son plafond. Parmi eux, la belle Lady Minako, femme riche à l’érotisme brûlant, s’adonne à des pratiques diverses, allant de la masturbation avec des sabots à des relations acrobatiques avec des prêtres libidineux. Un jour, alors que la belle s’ébat avec un homme déguisé en clown, elle l’étrangle, se sachant observée…

L’univers singulier de Tanaka Noboru rencontre ici celui du célèbre romancier japonais Edogawa Ranpo. On sera ici plus dans la veine psychologique que purement policière d’Edogawa Ranpo, tout en gardant son sens de l’étrange et du mystère. Une approche qui sied parfaitement au sens du bizarre de Tanaka Noboru et qui offrira un pinku eiga des plus déroutant. Tanaka, à l’image de son anxiogène La véritable histoire d’Abe Sada explore une nouvelle fois le désir féminin de manière coupable et libérée à la fois. Dans le Tokyo des années 20, Minako (Junko Miyashita) est une riche jeune femme à l’imaginaire riche en fantasmes. Pour les satisfaire, elle se réfugie dans une pension où elle peut s’abandonner aux pratiques les plus troubles, aux situations les plus déroutantes – les autres pensionnaires n’étant pas en reste, entre un prêtre défroqué ou une peintre à l’art très particulier. Comme souvent avec Tanaka, l’érotisme prend des détours inattendus par la grâce de la mise en scène.

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La scène d’ouverture donne le ton avec cette chambre baignée dans une photo diaphane, Minako habillée à l’européenne y cédant aux assauts d’un homme déguisé en clown. Comme dans La véritable histoire d’Abe Sada (qui constitue avec Bondage (1977) et La maison des perversités une trilogie où l’on retrouve Junko Miyashita), le désir féminin, même s’il doit se cacher pour s’exprimer pleinement est libéré et ce, jusqu’à la folie. Tanaka Noboru se situe ainsi à contre-courant des pinku eiga de la Nikkatsu plaçant la femme en victime soumise des hommes ou faisant de cette émancipation féminine un véritable chemin de croix (le film sadomasochiste de Masaru Konuma et Naomi Tani, Harcelée (1976)). Le fait que le film se déroule à l’ère Taishō (1912 – 1926), une des périodes les plus libres du Japon (entre la confusion de l’ère Meiji qui précède et de celle militariste de l’ère Shōwa qui lui succèdera) ne doit ainsi rien au hasard quant aux mœurs assumées des protagonistes et plus particulièrement des femmes.

Junko Miyashita excelle à exprimer l’abandon le plus lascif, le désir le plus dévorant.

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Ce sont les hommes qui se soumettront à ses volontés, volontairement réduits au rôle de spectateurs face à ses excès. Cela donnera une des idées les plus folles du film (et typique du sens du grotesque d’Edogawa Ranpo) avec le chauffeur de Minako dissimulé dans un fauteuil et vivant au plus près les expériences de sa patronne – idée déjà exploitée dans Horrors of Malformed Men (1969), autre adaptation d’Edogawa Ranpo. Ce voyeurisme s’exprimera à plein avec Goda, le tenancier de la pension (Ishibashi Renji) observant depuis les combles les écarts de ses locataires par un trou au plafond. Ce sera une source de plaisir supplémentaire pour Minako qui remarquera le voyeur, instaurant un jeu curieux entre exhibitionnisme et voyeurisme façon Fenêtre sur cour (et préfigurant les écarts du Body Double (1983) de Brian De Palma).

Le lien entre espionnée et espion restera implicite jusqu’à ce que la mort s’invite, Minako étouffant un de ses amants lors d’une étreinte. L’amour retrouve une dimension morbide chère à Tanaka Noboru, Minako initiant Goda à l’expression de son désir transcendé en infligeant la mort. Le film part ainsi dans des directions surprenantes, l’odyssée érotique mortelle nous invitant dans une sorte de rêve éveillé macabre où le réel (et la morale) ne reprend ces droit que dans la conclusion ambiguë. Le séisme de 1923 de Kantō est ainsi autant une sorte de punition divine face à tant de dépravation que l’expérience ultime du plaisir avec une mort imminente en plein acte. Tanaka  Noboru est décidément un des auteurs les plus fascinants du Pinku Eiga.

Justin Kwedi.

La maison des perversités de Tanaka Noboru. Sorti en DVD chez Zootrope, disponible depuis le 7 avril.

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